« L’Enfer c’est les autres » (1)

19 January, 2018 - 00:35

En transposant cette célèbre formule de Jean-Paul Sartre, on peut dire que de tous les dirigeants mauritaniens, le président  Mohamed ould Abdel Aziz est, tout à la fois, le plus vanté et le plus décrié.

 

Performance excellentissime…

Pour les uns, c’est un homme d’Etat aspirant à la croissance et au développement durable, qui a redressé un pays à genoux et affronte, avec courage, les problèmes du sous-développement, pour hisser la nation à la hauteur des défis qu’annonce le IIIème millénaire. Ils proclament, publiquement, que le pays a réussi, non seulement, la performance la plus remarquable de son histoire mais, encore, s’est situé sur une pente de croissance exceptionnelle, par rapport à son environnement régional et sous-régional. Un tour d’horizon  national de l’économie fournirait d’innombrables exemples de cercles vertueux qui ont des effets positifs considérables, sur la qualité de vie des citoyens. L’Etat a centré son action sur la fourniture des biens et services publics et assuré les prestations qui ont un impact favorable, sur la vie des gens, telles que l’eau salubre, l’électricité, les routes, la santé, l’éducation.

 

… ou imminence de l’implosion ?

Pour les autres, c’est, au contraire, le pire qui nous attend. Beaucoup d’observateurs répètent, même, que nous vivons au bord de l’implosion et que le sentiment, diffus mais tenace, que nous pouvons basculer, à court ou moyen terme, dans un vrai chaos stigmatisant la vie politique nationale, n’est plus un secret pour personne. Il n’est pas question d’explosion, impliquant des éclats se projetant au dehors et susceptibles de se disperser plus ou moins au loin. L’idée d’implosion est plus terrible. Les forces en jeu ne sont pas extérieures et les déflagrations sont tournées vers l’intérieur. Ce sont nos dysfonctionnements internes qui vont nous défaire et nous allons disparaître, disloqués par leurs contraintes. Bref, le mal est dedans.

Voilà certes deux visions paradoxales et contradictoires ! C’est pourtant dans ces paradoxes et contradictions que je tâcherai de démêler l’écheveau et l’enchevêtrement de cet imbroglio d’informations disparates, tenter de faire la part des choses, peser le pour et le contre des protagonistes dont l’attachement des uns n’a d’égal que l’opposition farouche des autres.

 

La crise réside dans l’essence même du pouvoir

Les professionnels clament, haut et fort, qu’aucun dirigeant mauritanien n’a divisé autant qu’Ould Abdel Aziz. Qu’au lieu de rassembler les Mauritaniens, dans un cadre politique national pas forcément unanime mais, en tout cas, consensuel, le régime actuel est celui qui les a le plus séparés, en différents camps diamétralement opposés et c’est pour cela que l’effondrement nous guette. Ce triste constat concerne à peu près tout : le système, la politique, l’économie, les institutions. Les énormes disparités de qualité de vie, entre riches et pauvres de tous bords, produisant le maximum d’inégalités sociales et les souffrances d’une population désemparée font que le pays se retrouve, en réalité, prisonnier du cercle vicieux de la pauvreté, bien en-deçà des slogans de politique politicienne. Ces slogans ne sont rien d’autre que « l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde ». La précarité sous toutes ses formes, le dénuement le plus total, le chômage le plus élevé, l’exclusion maximale, les inégalités criantes, la cherté de la vie, la grande pauvreté, le manque d’équité et de politique active de l’emploi : autant de preuves de ce que la crise politique, économique et sociale qui secoue notre pays, réside dans l’essence même du pouvoir.

 

 

L’Etat d’urgence pour l’emploi, notre salut national

Mais comme je ne me reconnais ni le droit de parler de problèmes politiques, ni la compétence d’aborder le domaine social, je me bornerais essentiellement a ce qui touche à mon domaine de formation : l’économie. C’est à ce titre que nous devons décréter l’Etat d’urgence économique pour la promotion de l’emploi. De tous les enjeux, l’emploi est bien le plus précieux. Donnez du travail aux jeunes Mauritaniens et vous verrez comment les choses vont évoluer favorablement. Portons le défi du chômage en priorité, dans toutes nos politiques sectorielles. Ensuite, il faut miser sur les offres d’emplois et faire, du combat contre le chômage, notre cheval de bataille, rempart, pour la société, contre le creusement des inégalités sociales et toutes les formes de précarité. On doit maximiser les opportunités d’emploi sur le marché du travail. Seule la lutte contre le chômage, cause principale des problèmes de société : extrémisme, intolérance, haine raciale ; est la voie de notre salut, pour un monde meilleur, un monde de cohabitation et de cohésion nationale.

 

Promouvoir la politique de bon voisinage

Maintenant plus que jamais, nous ne pouvons espérer, encore une fois, relever les défis qui nous assaillent, sans une fructueuse coopération économique régionale, fondée sur le respect mutuel de tous nos voisins, en particulier ceux qui ont les moyens de contribuer à la réussite des enjeux économiques auxquels notre pays est confronté. La coopération économique permet à un pays de profiter de l’expérience et des compétences déjà acquises par le partenaire émergent. Cela passe par un véritable partenariat et une politique de bon voisinage qui peut nous ouvrir de nombreuses opportunités de cercles particulièrement vertueux, en matière d’emplois parmi tant d’autres.

 

Faire passer la pilule d’un 3ème mandat

Sur le plan du partenariat justement, la tension, avec nos voisins, est malheureusement devenue, selon l’opposition, le domaine de prédilection de la diplomatie mauritanienne. Cela est surtout à usage interne, tribal et xénophobe. Les complexes et les préjugés nocifs font que Nouakchott ne peut manquer aucune occasion de faire monter la tension avec nos partenaires (le Qatar, le Maroc, la France, le Sénégal). Le régime a besoin de prétendus ennemis extérieurs, pour détourner l’attention et occuper la population, par un nationalisme étroit et chauvin, tribal et régional, et faire passer, même indirectement s’il le faut, l’amère pilule d’un 3ème mandat.

 

La parole au citoyen

Au chapitre des récriminations, il est  cependant un point que l’auteur que je suis tient à souligner, dès cette introduction, car je ne reviendrai pas là-dessus. L’Etat doit se rapprocher davantage du citoyen pour que ce dernier puisse faire entendre. Elle a beaucoup de mal à  atteindre les coulisses du pouvoir, seule celle des barons et sbires du régime trouve audience dans les instances de décision.

Grondant dans les airs, l’opposition parvient, elle aussi, à faire entendre sa voix, qu’on le veuille ou non, et sonne le glas « des ennemis de la Patrie », rendant ainsi la pareille à ses adversaires, par un discours mobilisateur. Reste le pauvre citoyen qui n’a, lui, pas droit à la parole ou plutôt dont le droit à la parole est aussi inégalement réparti que le revenu. Une vérité pourtant simple mais souvent perdue de vue, mérite d’être rappelée ici. Les pouvoirs publics sont plus efficaces, s’ils sont à l’écoute de tous les citoyens. Comme on dit : un bon administrateur  ne doit pas écouter un seul son de cloche.

Les décisions ne doivent pas être imposées seulement d’en haut. Elles risquent d’être vouées à l’échec. Elles doivent être prises, de préférence, dans un consensus national qui regrouperait la plus grande partie possible de l’opinion. Car même le président le mieux intentionné  ne pourra répondre efficacement aux besoins collectifs si trop d’entre eux lui sont inconnus. (A suivre).

Lehbib ould Berdid

Professeur chercheur et analyste stratégiste