Se faire enrôler : un parcours de combattant

7 December, 2017 - 02:15

Pour autant qu’ils retrouvent la liberté, les anciens esclaves sont confrontés à l’épineux problème de l’état-civil qui vient aggraver un implacable constat : liberté ne signifie pas, systématiquement, accession à la dignité. Peu ou prou éduqués, ne possédant rien ou très peu, ils se retrouvent, en effet, dans le dénuement le plus total, luttent pour survivre et restent difficilement identifiables, faute d’enregistrement à l’état-civil.

Moubarak ould Mahmoud n’y va pas par quatre chemins. Pour le représentant de SOS-Esclaves en Adrar, « Il n’y aucune possibilité, pour les anciens esclaves, d’obtenir des pièces d’état-civil. Sans parents enrôlés, ni père ni oncle, ils viennent de nulle part. C’est un cercle vicieux. Même si l’on présente des témoins, ces derniers sont récusés par les cadis ». Triste réalité à laquelle sont confrontées, dans tout le pays, les anciennes victimes, à l’instar de la grande majorité de ceux des Mauritaniens qui cherchent à se (re)construire une nouvelle vie.

Sans pièces d’état-civil, les anciennes victimes ne peuvent porter plainte ni, même, établir procuration. Le cas d’El Id, fugueur, depuis quatre ans, et prétendant être victime d’esclavage de la part de proches d’une famille religieuse  de l’Adrar, est édifiant. Les autorités judiciaires régionales refusent d’enregistrer, sous prétexte que son « cas ne serait pas authentique », la plainte d’El Id  contre ses bourreaux qui détiennent toujours, avance-t-il, sa mère et ses sœurs.

Khyra mint Habott qui dit être née lors des inondations d’Atar, en 1984, a pu bénéficier de pièces d’état civil – l’exception qui confirme la règle ? – grâce à la subtilité d’esprit de Moubarak ould Mahmoud. « Nous l’avons libéré, de Tourine, en 2007, de nuit, sur ordre de la justice, accompagnés par la gendarmerie. Ironie du sort, c’est grâce à une carte d’identité frauduleuse, établie par son maître et géniteur, lors des élections, que Moubarak a pu obtenir des pièces pour Khyra et le reste de sa famille. Elles n’ont aucune ressource et squattent le terrain d’un particulier » (1).

 

« Génocide biométrique »

Sans papiers, il est très difficile de s’insérer dans la société moderne, aussi bien socialement que professionnellement, il devient même quasiment impossible de se sentir citoyen (ceux qui ne sont pas recensés ne peuvent pas voter) et de participer, activement, à l’unité nationale si plébiscitée, pourtant, par le gouvernement mauritanien.

 « Daghveg, c’est une commune négligée, à 620 kilomètres de Nouakchott, où vivent environ neuf mille personnes. Une centaine de familles n’y ont aucun papier. Des cultivateurs, tous Haratines, leurs anciens maîtres habitent à 25 kilomètres de là. Au moment des pluies, ils sont coupés du monde, la route devient impraticable pendant trois ou quatre mois, l’État ne va jamais là-bas et le centre de recensement le plus proche est à plus de 30 kilomètres. Mais les jeunes, aujourd’hui, se révoltent, ils ne veulent plus de la condition de leurs parents et réclament reconnaissance de leurs droits », témoigne Samba Diagana, chargé de la communication du comité de la paix de l’IRA (2).

Très majoritairement issues des communautés haratine et négro-mauritanienne, les personnes dépourvues de cartes d’identité se heurtent à une administration peu coopérative et difficilement contestable. Samory Ould Bèye le faisait remarquer, dans une lettre au Secrétaire Général  de l’ONU : « les Harratines connaissent des difficultés  énormes, avec  l’état-civil, vu que la majorité d’entre eux se trouvaient sans papiers ; certains n’ont aucune identification patronymique, à part celle des maîtres avec lesquels ils ont passé toute leur vie ; l’Etat n’a pas voulu tenir compte de cette situation et susciter les conditions adéquates pour leur enrôlement normal ; cela vise, entre autres, à réduire leur poids électoral et à limiter leur nombre, dans le décompte démographique officiel, tout cela relève d’une idéologie de purification raciale et ethnique ».

Que deviendront les personnes non-enrôlées victimes d’un tel « génocide biométrique ? », s’interrogeait l’organisation abolitionniste IRA. « Des apatrides dans leur propre pays ? C’est, évidemment, inadmissible. Où devront-elles aller, une fois privées de leurs droits civiques ? Les mêmes critères devraient être appliqués à tout le monde. Des touaregs ont envahi la Mauritanie, en 1992, à la faveur de la guerre civile au Nord du Mali, tandis que des sahraouis étaient, déjà, omniprésents, dans le pays. Personne n’ose rien dire. Le pire, c’est qu’il n’y a aucun recours possible, quand on est débouté. Du jamais vu dans un Etat de Droit ».

Le secrétaire général de l’APP, Ladji Traoré plaide pour « un recensement exhaustif et universel des populations mauritaniennes sur la base desquelles nous pouvons faire tous les documents sécurisés, une identification définitive mais sur la base, d’abord, d’un recensement général, complet, objectif et transparent. Il faut quitter cette opacité qui entoure ce projet » (3).

De l’avis de plusieurs observateurs, les problèmes liés à l’état-civil aggravent le sentiment d’injustice, favorisent le travail illégal et l’impunité des auteurs de crimes relevant de la traite des êtres humains.

 

THIAM Mamadou

Au service du programme : « Liberté, droit et justice

pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »

promu par le Département d’Etat des Etats-Unis.

 

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(1)Crime d’esclavage : Quand la Justice traîne les pieds

(2) « Esclavage et discriminations en République Islamique de Mauritanie : braver le déni » Marie Foray, Juriste

(3)http://www.cridem.org/C_Info.php?article=58271)