Lettre épistolaire à Michel Onfray, philosophe français (troisième partie) / Par Ahmedou Ould Moustapha

5 October, 2017 - 01:23

Rappelons que de tels sentiments furent jadis exploités par le poète italien Alighieri Dante (mort en 1321) qui croyait faire preuve de bon goût, dans sa pièce de théâtre intitulée « Divine Comédie », en condamnant les musulmans  et le Prophète de l’Islam, ne voyant en ce dernier qu’un hérétique dangereux, semeur de scandales et de troubles, qui a abjuré le christianisme pour fonder une secte et qui devait déjà se trouver en enfer.

Il avait alors utilisé une méthode cynique qui a pu faire rire tant que ses attaques visaient exclusivement les musulmans et leur prophète, mais le rire jaunissait à mesure que ses accusations se dirigèrent contre les privilégiés qui bénéficiaient d’un prestige surfait et illégitime, ce qui n’était du goût de personne dans une société où les qualités se mesuraient par leur allégeance à l’Eglise, contrairement aux sociétés d’aujourd’hui où les élites courbent l’échine devant la volonté de l’oligarchie financière.

 Ainsi donc, Dante devint franchement mauvais et maléfique lorsqu’il commença à ne plus respecter les règles du jeu, à s’en prendre au Pape Boniface VIII qu’il prédestinait, lui aussi, au supplice de l’enfer eternel, la géhenne, comme le premier et le pire des criminels.

Il en était d’ailleurs de même pour Voltaire qui a connu la même trajectoire, peu reluisante du reste. S’il était considéré à son époque, notamment dans les cours royales, comme le prince de l’esprit et le chantre de la tolérance ou encore l’homme universel, il fut loin de porter tous ces titres avec une égale constance. Et si aujourd’hui la considération qu’on lui porte peut différer du tout au tout, selon le camp où l’on se trouve, il est certain que rien ne

pouvait justifier la hargne et la mauvaise foi qui ont guidé la rédaction de « Mahomet ou le fanatisme », une pièce de théâtre présentée au public en 1741 et jouée dans presque toutes les salles d’Europe, rencontrant ainsi un succès retentissant.

D’emblée le titre en dit long sur l’orientation du sujet et les intentions de l’auteur, se traduisant par des caricatures destinées à disqualifier les fondements de l’Islam.

Sa méthode consistait à déformer le portrait du Prophète Mohamed en le présentant comme un homme sanguinaire, perfide et fanatique, ne reculant devant rien pour réaliser ses desseins. C’est à croire que la pièce continuait encore aujourd’hui à inspirer les journalistes de Charlie Hebdo et autres intellectuels du même acabit, près de trois siècles plus tard, sous le seau de la liberté d’expression pour le moins sélective dans ce domaine !

En effet, dans cet ouvrage, Voltaire essaya de réduire la portée du Message coranique en dénigrant celui qui en était le porteur, en s’y employant de manière calomnieuse et donc indigne, comme d’aucuns l’avaient fait avant et comme d’autres le feront après lui.

 Aussi, dans sa reconstitution historique, il déforma les événements et les faits avérés afin de renforcer la trame de sa pièce qui versait gratuitement dans l’outrage, le mensonge et finalement dans le délire. Il s’est acharné à dénaturer les traits d’un homme qui a pourtant changé la face du monde, un homme dont le message et la renommée ont su réunir autour de sa personne des centaines de millions d’individus de tous les continents et comprenant bon nombre d’esprits supérieurs dont ceux-là mêmes qui ont apporté le « matin grec » à l’Occident – via l’Andalousie.

Le grand philosophe maniait ainsi, plus que quiconque, le fanatisme qu’il reprochait au Prophète de l’Islam. Et par opportunisme, pour se retrouver dans les bonnes grâces de l’Eglise, il dédia son ouvrage au pape Benoit XIV qui s’empressa de lui envoyer en retour une double bénédiction.     

 Mais, plus tard, Voltaire s’attira les critiques d’éminentes personnalités qui ne partageaient ni ses caricatures ni la hargne injustifiée qui le motivait, lesquelles ne pouvaient traduire qu’une malveillance ou une méconnaissance réelle du Prophète de l’Islam…

On peut citer, à titre d’exemple, le plus grand poète allemand Wolfgang Goethe et l’Empereur Napoléon Bonaparte : ils ont pu discuter de la pièce au cours d’un entretien que ce dernier avait accordé à l’immense poète et essayiste qui avait lui-même écrit auparavant : « Pendant de longues années les prêtres de l’impiété nous ont privé des richesses du Coran et nous ont caché la grandeur de son prophète ».

Quant à l’Empereur, il dira en ce jour d’octobre 1808 : « je n’aime pas cette pièce, c’est une caricature ! ». Mais Bonaparte fut plus sévère encore lorsqu’il écrivît ailleurs : « Mahomet a été l’objet de sa plus vive critique dans le caractère et les moyens. Voltaire avait ici manqué à l’histoire et au cœur humain. Il prostituait le grand caractère de Mahomet par les intrigues les plus basses. Il faisait agir un homme qui avait changé la face du monde comme le plus vil scélérat, digne au plus du gibet. Les hommes qui ont changé l’univers n’y sont jamais parvenus en gagnant les chefs mais toujours en remuant les masses. Le premier est du ressort de l’intrigue et n’amène que des résultats secondaires, le second est la marque du génie et change la face du monde ».    

 Voilà une reconnaissance sincère – dépourvue de tout préjugé – et un hommage appuyé d’un grand homme qui avait lui-même changé la face du continent européen, qui a fait de la France ce qu’elle est devenue, une grande nation, et qui avait une vision des réalités historiques autrement plus appropriée que celle de Voltaire qui, lui, s’ingéniait dans de basses manœuvres intellectuelles.

Quatre siècles séparent Dante du ‘’prince de l’esprit’’, mais il est intéressant de constater la similitude de leurs destins. Plus que le premier, Voltaire reçut les honneurs de l’Eglise avant de voir ses œuvres contestées et mises à l’index par ses propres bienfaiteurs, notamment après la publication de  son « Charles XII » où il se montra  très  « séduit par la tolérance des ottomans » qu’il opposait à « la barbarie des défenseurs de la croix ».

Il poussa même la comparaison jusqu’à conclure que « l’Islam est le pur théisme, la religion naturelle et par conséquent la seule véritable ». 

Il faut souligner ici que son ouvrage « Mahomet ou le fanatisme » avait été voué à l’oubli dès que voltaire s’est repenti, en opérant un revirement radical, ce qui signifie que le succès de la pièce était dû non pas à une quelconque qualité ou valeur mais uniquement aux diatribes contre l’Islam et son Prophète. 

Toutefois, désormais, pour Voltaire, « toutes les religions à l’exception de l’Islam ont été établies sur des cabales et sur la démagogie ».  

Il sera plus précis encore : « La religion de Mahomet est la plus brillante, la seule qui semble être, en naissant, sous la protection de Dieu ». Et il écrira ensuite : « Les lois de Mahomet subsistent encore dans toutes leur intégrité, et nul prétendu docteur n’y a rien changé (…) Le Mahométisme n’a jamais changé, et vous autres vous avez changé 20 fois toute votre religion » (voir son œuvre Mélanges).

 Pourquoi la vision de Voltaire sur l’Islam et le Prophète Mohamed avait-elle changé de manière aussi radicale ?

 En fait, peu de temps avant la publication de son célèbre ouvrage « Candide », au crépuscule de sa vie, ne cherchant plus les honneurs ni les biens matériels, savourant la sérénité d’une vie tranquille et indépendante dans sa propriété non loin de Genève, où il réside depuis deux ans « sans rois, sans intendant, sans jésuites », il explique à l’un de ses correspondants  (Bibliothèque de la Pléiade, tome IV)  :

« Je jouis du présent, j’achève en paix ma vie

Dans le sein de la liberté.

Je l’adorai toujours, et lui fus infidèle ;

J’ai bien réparé mon erreur :

Je ne connais le vrai bonheur

Que du jour que je vis pour elle ».

Sa disgrâce par l’Eglise et par Louis XV n’est plus qu’un mauvais souvenir ; il s’est départi de son obsessionnelle envie de vivre dans l’entourage des rois. « J’aime mieux gronder mes jardiniers que de faire ma cour aux rois », écrit-il dans une autre correspondance…

Mais revenons au contexte actuel de la France : en parlant d’intellectuels surmédiatisés et de Charlie Hebdo, j’ai voulu dire qu’ils savent parfaitement que  derrière les mots il y a la chose et que les images font voir ce que l’on veut  voir.