Horizon 2019 : Où va la République ?

24 August, 2017 - 09:45

C’est la question que tout le monde se pose, depuis quelques jours, aux personnalités, acteurs de la politique et de la société civile. En cause, les résultats du referendum, le recours, très contesté par le pouvoir et certains éminents  constitutionalistes, à l’article 38 et l’absence de clarté sur un troisième mandat de l’actuel Président : autant de points qui  laissent planer des incertitudes sur les échéances  de 2019. Les réponses sont diverses, souvent pessimistes. Tous évoquent un horizon presque bouché.

 

Position inconfortable du pouvoir

Entre un président  de la République, dont le dernier mandat s’achève en Juillet 2019, qui  ne cesse de répéter, à qui veut l’entendre, qu’il ne modifiera pas la Constitution limitant le nombre des mandats présidentiels  à deux, un entourage qui  ne cesse de prêcher pour un troisième, et l’évocation, récurrente, d’une  troisième République, les observateurs y perdent leur latin, tandis qu’une bonne partie du peuple est gagnée  par le scepticisme. La majorité croit, dur comme fer, que le Président ambitionne un troisième mandat pour parachever, claironnent ses  inconditionnels, ses « grandioses » chantiers. Lui aussi croit avoir sorti la Mauritanie de l’abîme et entend donc que soit poursuivie l’œuvre de reconstruction du pays, entamée, par ses soins, le 6 Août 2008. Il voudrait, selon diverses interprétations, préserver ses acquis. Vaille que vaille ?  La déclaration présidentielle, à Nouadhibou, sur le troisième mandat semble accréditer la thèse selon laquelle le tombeur de Sidi ould Cheikh Abdallahi  ne quitterait pas le pouvoir en 2019.  D’aucun lui prêtent, à tort ou à raison, de recourir à un congrès du Parlement pour déverrouiller l’article 26 de  la Constitution. Ce qui n’est pas sans risque, soulignons-le. Encore que, sans désormais plus de Sénat ni gênants sénateurs…

Le Président, avance-t-on encore, voudrait conserver le pouvoir au-delà de 2019, parce qu’il aurait des craintes sur son avenir. Après avoir exclu toute idée d’exil, Ould Abdel Aziz  a cependant laissé  entendre qu’il  resterait en Mauritanie et y ferait de la politique, pour contribuer à toiletter l’actuelle Constitution qui comporte, selon lui, de nombreuses imperfections.  Mieux,  il a affirmé, lors de sa tournée référendaire, qu’il n’a pas peur de poursuites judiciaires, au lendemain de son départ du pouvoir. Pourquoi cette déclaration ? Parce qu’on lui reprochait sa volonté de supprimer la Haute cour de justice, chargée, justement, de juger le président de la République et les ministres, en cas  de fautes commises dans l’exercice de leur fonction.

Autre élément à verser à ce dossier, le leader du RFD a déclaré, lors d’une conférence de presse,  que si Ould Abdel Aziz acceptait de quitter le pouvoir, on le garantirait contre toutes poursuites judiciaires. Typique débat politicien. Face à cette situation, le pouvoir pourrait, après avoir tiré toutes les implications de la campagne du referendum, tendre, pourquoi pas, la main à son opposition, afin de convenir de modalités consensuelles, en vue d’élections en 2018 et 2019. Une aile de son pouvoir y serait favorable, l’autre non, relève un observateur averti de l’arène politique.

Pendant que le pouvoir cogite sur les perspectives de 2019, il semble déterminer à régler ses comptes au sénateur Ould Ghadda, détenu, depuis quelques semaines, par les services de la sécurité. Le président Aziz serait-il donc désormais décidé à opérer un tour de vis et reprendre la main, au lendemain d’un referendum pas vraiment réussi, c’est le moins qu’on puisse dire. Selon le communiqué, étrangement tardif, du Parquet général, le sénateur est suspecté de collision avec des personnes visant à« semer des troubles et porter atteinte à la stabilité  du pays ». Figurent également, dans le collimateur du pouvoir, divers autres hommes d'affaires et politiques dont certains sont  en exil. L’arrestation d’Ould Ghadda amène l’opposition à évoquer « l’acharnement et la politique de fuite en avant » menée, par le pouvoir, pour détourner l'opinion. Certains de ses leaders n'hésitent pas à parler, même, de « dérive » du régime. « La Mauritanie est en train de rompre avec toutes les pratiques démocratiques », ajoutent-ils.

 

Incapacité de l’opposition

Les spéculations sur ce qui pourrait arriver en 2019 viennent inquiéter l’opposition qui a, jusqu’ici, laissé le champ libre au pouvoir, incapable qu’elle s’est d’imposer un rapport de force en sa faveur. Pouvait-elle faire mieux, que de revendiquer, aujourd’hui, d’être pour quelque chose dans l’adresse, sans équivoque, des Mauritaniens au pouvoir, lors du referendum du 5 août dernier ? La majorité de ceux-ci ne s’est pas déplacée  pour voter, en dépit des pressions, de la corruption et de la fraude, dont la grossièreté ne peut cacher que l’ampleur du désaveu. Les renseignements ont-ils dit la vérité à Ould Abdel Aziz ? La question reste posée. Toujours est-il que le Président doit tirer les leçons de sa piètre « victoire », en recadrant son pouvoir.

Même si l’opposition a, de son côté, réussi à sauver son unité, celle-ci ne demeure que de façade. Les divisions sont  très profondes, entre ceux qui se complaisent dans une situation de boycott ou d’attente et ceux qui ne voudraient  plus être menés par le bout du nez,  par certains grands partis dont les intérêts pourraient être fort perturbés par un changement quelconque. CDN aurait ainsi décidé de briser la glace, en participant au referendum  dernier,  à cause, justement, de cette situation préjudiciable à l’opposition. Que peut alors faire celle-ci ? Pas plus que protester, marcher, écrire, ce qui ne semble faire, pour le moment, ni chaud, ni froid au pouvoir d’Ould Abdel Aziz. Accepter, alors, une négociation avancée par celui-ci, dans la perspective des échéances électorales prochaines ?

 

Au final, passions ou… sagesse ?

En réponse, dans une récente interview sur Al Wataniya, à la question d’un journaliste qui insinuait que l’opposition refuse systématiquement la main tendue du pouvoir, le président de l’UFP, le docteur Mohamed ould Maouloud, s’est inscrit en faux, en rappelant que ce n’est pas le dialogue que l’opposition refuse mais n’importe quel dialogue : elle ne participe à aucun dont elle ignore les tenants et les aboutissants ; en somme, à tout dialogue non préparé  par l’ensemble des protagonistes et dont elle n’est pas assurée de la mise en œuvre des résolutions. Le pouvoir n’est pas, en l’état actuel des choses,  disposé à accepter de telles modalités de travail.  Mais, si celui-là accepte de répondre aux préalables (plate-forme actualisée du FNDU), l’opposition doit-elle pour autant s’engager dans un tel processus, à quelques dix-huit mois de la prochaine présidentielle ? Non, répond un observateur de la place considérant qu’en telle hypothèse, elle offrirait  une chance, à Ould Abdel Aziz, de reprendre la main qu’il a déjà perdue, suite au referendum  et à la situation chaotique  de l’économie du pays. Pour cet analyste, il faut laisser Mohamed Ould Abdel Aziz « foncer droit vers le mur de 2019 », avant d’envisager quoi que ce soit d’autre.

Mais l’homme fort de Nouakchott semble, aujourd’hui, compter plus sur  ses amis de l’extérieur à qui il rend de gros services, dans la lutte contre l’extrémisme au Sahel. Un combat qui se vend bien auprès des Occidentaux. Jusqu’à quand ? Si la sagesse l’emporte sur la passion des hommes, la réponse est, somme toute, de moindre importance… à moins qu’elle n’en soit, tout simplement, la meilleure.

DL