Nouadhibou : Les MOCAS ou la mutation de l’économie maritime

19 January, 2017 - 02:11

Les farines de poisson, qui font beaucoup de bruit actuellement, sont des farines animales produites à l’aide de procédés parfois fort contestables. Elles sont obtenues par séparation de la phase liquide (eau et lipides, extraite par cuisson/pressage) et des protéines, puis broyage et séchage. Riches en protéines animales (lysineméthionine), elles sont faciles à digérer, pour de nombreux mammifères et oiseaux.

Pour des raisons d’évidentes commodités, les minoteries transformant le poisson en farine sont, généralement, à la fois proches de la mer et éloignées des habitations, faute aux odeurs dégagées par le processus industriel. Le poisson utilisé peut avoir été pêché en mer spécialement à cette fin (pêche minotière) ou il peut s'agir de déchets de l’industrie du poisson : rejet de la chaîne de filetage, essentiellement ; valorisation de captures excédentaires invendues ou de poissons abimés, lors de la pêche ou du transport, sinon, présentant des anomalies (déformations, cancers, tumeurs et parasitoses) qui défavoriseraient la vente à l’étal du poissonnier…

A Nouadhibou, les usines de farine de poisson sont appelées « «MOCA », qui vient du russe mouka (myka) qui veut dire farine. Un héritage linguistique de la MAUSOV (société MAUritano SOViétique) à l’époque où les marins des chalutiers soviétiques vendaient, aux Mauritaniens, des sacs de telle farine, pour s’acheter des produits manufacturés et des cigarettes de fabrication occidentale. Le produit se fabrique dans des proportions acceptables, du point de vue rentabilité, car cinq tonnes de poissons ou de déchets de poisson permettent de produire une tonne de farine, entre 3 et 18% d’huile, en fonction du taux de graisse du poisson et, bien entendu, de la période de pêche.                                                                

Les « MOCA », ce sont donc ces usines de farine et d’huile de poisson qui semblent prendre la relève des unités industrielles locales, depuis que la crise qui frappe le secteur maritime en a compromis l’évolution, pour n’en laisser que celles capables de s’adapter au nouveau contexte de récession. Compte-tenu de l’abondance des espèces aptes à la fabrication de la farine de poisson, des sous-produits issus de la congélation et du positionnement commercial de la farine, sur le marché international, certains opérateurs s’y sont orientés, alors que d’autres l’ont, tout simplement, substitué à leurs activités traditionnelles de pêche.

Si l’intérêt porté aux MOCAS a débuté avec des opérateurs sérieux et désireux de se projeter dans la durée, ceux-ci n’ont pas tardé à faire des émules, tout aussi intéressés mais beaucoup moins portés sur les formes, d’où la saturation du secteur, favorisée, à la fois, par l’inadéquation des textes réglementaires et l’absence d’astreintes aux normes de fabrication. D’une activité rentable, au plan économique, et exercée dans des proportions acceptables, aux plans domestique et environnemental, les MOCAS sont ainsi devenus la principale source d’insalubrité et de pollution de l’air de Nouadhibou.

Selon l’ONISPA et certains spécialistes du secteur, les désagréments causés par certaines MOCAS procèdent de plusieurs facteurs dont le non-respect des cahiers de charges, l’absence d’équipements de résorption des protéines dans les vapeurs d’eau et la carence en équipements de conservation du poisson, à bord des bateaux en cours de marée. Le bruit, de plus en plus persistant, faisant état d’un problème de santé publique à Nouadhibou et dont les MOCAS seraient la cause, nous a amenés à nous intéresser à la question et à tenter d’en séparer la graine de l’ivraie.

 

Une usine aux normes

Une enquête au cœur du secteur, avec l’appui de spécialistes, nous a permis de retracer le schéma qu’il conviendrait de mettre en place pour fabriquer la farine et l’huile de poisson, dans le respect de l’environnement, de la santé publique et du bien-être des populations. Dans ce cadre les manquements  sont légion. L’air de la ville est devenu irrespirable, la baie de Nouadhibou affiche des taux élevés de pollution mais il serait injuste de mettre toutes les usines dans le même sac. Certaines, et elles ne sont pas nombreuses, font en sorte de respecter les nomes et de se conformer au cahier des charges. OMAURCI, l’usine du groupe Boughourbal, est pratiquement la seule qui sort du lot.

 Le choix, qui consiste à faire d’OMAURCI un test-pilote, n’est cependant pas fortuit, puisque cette MOCA est la plus grande usine du pays, avec une capacité journalière de 900 tonnes et une certification ISO 22000 qui englobe les plus importantes certifications liées à la qualité, à la gestion et à la conformité avec les arsenaux juridiques de l’environnement, de l’entreprise et du travail.

La deuxième raison du choix d’OMAURCI découle de la réputation selon laquelle cette MOCA est une des rares à maîtriser tous les inconvénients de fabrication de la farine et de ses dérivés, caractéristique sur laquelle son directeur général, Aziz Boughourbal, semble intransigeant et prêt à mettre le prix pour être aux normes. Ce deuxième critère se vérifie par la mise en place et l’application rigoureuse du concept H.A.C.C.P. (Hazard Analisys Critical Control Point). Une visite entièrement libre d’OMAURCI nous a permis de constater qu’à la réception, le poisson est frais, en raison de réels moyens de conservation, sur les bateaux et lors de son transport, du port à l’usine, par des camions isothermes. C’est sur ce premier critère que repose l’ensemble du processus de transformation aux normes et c’est visiblement sur lui que les MOCAS polluants font défaut.

Après réception, le produit est envoyé, par un convoyeur à vis, dans le cuiseur, puis à la presse qui en sépare les trois composantes : l’huile, l’eau, et la matière brute destinée à la fabrication de la farine. L’huile, l’eau et les résidus qui auraient échappé à une première séparation vont dans un décanteur qui sépare les résidus solides et les composantes liquides (eau, huile). Puis les composantes liquides vont dans un séparateur qui renvoie l’huile dans des récipients de stockage et désagrège l’eau, par évaporation, en récupérant le concentré de poisson et de protéines qui s’y trouvent à hauteur de 30% environ. A sa sortie de la presse, la matière brute est mélangée au concentré, avant d’être renvoyée dans un séchoir, puis dans un broyeur, avant refroidissement et, enfin, mise en sac.

Dans cette filière le rôle du filtrage est très important, puisqu’il permet de maîtriser les odeurs et de limiter, à un taux synthétisable, les impacts environnementaux. Le filtrage consiste en un dispositif, très complexe et coûteux, qui condense les vapeurs nauséabondes, puis les lave et les déverse en mer, sous forme d’une eau de lavage sans odeur et où les agents de pollution sont réduits au minimum. A OMAURCI, ce processus de transformation est accompagné d’analyses de laboratoires systématiques qui permettent de s’assurer de la qualité du produit final et de la stabilisation de ses composantes organiques. Ces analyses portent sur les matières grasses, les protéines, l’acidité de l’huile, la réduction en cendre de prélèvements d’échantillons et de l’histamine.

Pour revenir à la question de santé publique, évoquée par certains segments de la société civile et dont les MOCAS seraient à l’origine, il est important de souligner que cette accusation repose sur un fond de vérité. Mais il est tout aussi important de préciser que toutes les MOCAS n’en sont pas uniformément concernées. Le préjudice porté à l’encontre du secteur farinier peut être perçu comme la manifestation d’une action de sape que certains disent menée, sous couvert de volonté politique, par certains récalcitrants à la politique de relance du secteur maritime. On dénombre, en Mauritanie, une quarantaine de MOCAS mais d’autres statistiques tendent à en compter plus, du fait d’autorisations annexes distribuées par l’administration.

 

M.S. Beheite

Envoyé spécial à Nouadhibou