Mohamed Lemine ould Dahi, ancien ministre, consultant, professeur de Droit : ‘’Un président de la République, dans un régime démocratique pluraliste, ne doit pas, en fin de mandat, modifier la constitution’’

27 October, 2016 - 02:47

Le Calame : Le dialogue politique vient de s’achever par un discours du président de la République déclarant qu’il userait d’un referendum, pour faire valider les réformes constitutionnelles auxquelles ont abouti ces concertations. Pensez-vous que ce referendum se justifie pour des questions qui ne sont pas d’ordre national et en l’absence de consensus politique ?

Mohamed Lemine ould Dahi : On ne peut que regretter l’organisation d’un dialogue politique qui exclut de ses assises des partis et forces politiques significatifs, comme le RFD et le FNDU qui sont, malgré tout, des acteurs politiques majeurs, dans toute construction démocratique mauritanienne. Les réformes constitutionnelles auxquelles ont abouti ces concertations ou dialogue politique partiel peuvent bien être adoptées par referendum, conformément aux dispositions de l’article 99 de la Constitution du 20 Juillet 1991 et ses différentes révisions de Juin 2006 et Mars 2012. En effet, après l’adoption, à la majorité des deux tiers, par les deux assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) du projet de révision constitutionnelle, le président de la République doit décider, par décret, de soumettre le projet de révision de la Constitution au référendum.

 

- La convocation du referendum doit donc être d’abord validée par les 2/3 de l’Assemblée et du Sénat. Quand on sait que le Sénat a exprimé son hostilité à toute réforme constitutionnelle, croyez-vous que le Président puisse passer outre cette condition et consulter le peuple directement ?

- Non, pour la révision de la Constitution, le président de la République, le Gouvernement et les parlementaires sont soumis à l’obligation de respecter la procédure du chapitre XI, intitulé « De la révision de la Constitution » qui confère, à la fois, le pouvoir constituant au peuple et au législateur, en prévoyant deux sortes de procédures de révision (dispositions des articles 99 et 101) : soit la révision ordinaire, le projet de révision de la Constitution, comme tu l’as dit, d’abord validée par les 2/3 de l’Assemblée Nationale et du Sénat, conformément aux dispositions de l’article 99, puis soumis  au referendum ; soit la révision extraordinaire, par le Parlement réuni en congrès, sur demande du président de la République (dispositions de l’article 101 de la Constitution).

En bref, la procédure de révision de la Constitution, prévue par les dispositions de l’article 99, suppose, en même temps : l'accord du président de la République et du Gouvernement ; l'accord de chacune des deux chambres parlementaires ; et, selon le cas, l'accord des citoyens (par référendum) ou celui du Congrès du Parlement (les deux chambres réunies se prononçant à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés). C'est au président de la République de choisir, dans ce cadre précis, la voie du référendum populaire ou du Congrès du Parlement que nous avons déjà utilisé, en 2012, pour la dernière révision constitutionnelle.

Si l’option retenue, par le président de la République, est le referendum, le Conseil constitutionnel doit être également consulté, par le Gouvernement, sur l'organisation de ces opérations électorales référendaires, puisque c’est à lui que revient la surveillance des opérations électorales et la proclamation des résultats du referendum, conformément à l’article 85 de la Constitution et à l’article 46 de l’ordonnance n° 004-92 du 18 Février 1992, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. 

 

- Au cours de ce même discours, le Président a déclaré qu’il lui était loisible de modifier la Constitution, conformément à son article 38, comme il l’a déjà changée deux fois par le passé, selon ses dires. En dehors de toute surenchère, pensez-vous que cela était sans risque ? La pression intérieure et extérieure a-t-elle fini par le dissuader d’emprunter ce chemin ?

- Il me semble que la position patriotique de quelques acteurs du dialogue a constitué une pression intérieure. La suspension de la participation puis le retrait total de ce dialogue partiel, du président de l’APP, Messaoud ould Boulkheïr, a été significative et déterminante, ainsi que celle de quelques autres partis démocrates dans les différentes commissions, comme El Wiam du président Boïdiel ould Houmeïd (communiqué de presse), de l’Alliance Nationale pour la Démocratie (AND) du docteur Yacoub ould Moine, le communiqué du Sénat,  ainsi que les interventions de quelques militants de l’UPR et autres acteurs des associations des jeunes, des femmes, des syndicats et autres représentants de la société civile.

Pour ce qui est de l’article 38 de la Constitution, il permet seulement, au président de la  République, dans le cadre de son arbitrage entre le Gouvernement et  le Parlement et sur leur proposition, de soumettre, au peuple, un projet de loi ordinaire sur lequel ils ne sont pas d’accord et qui peut porter sur différents sujets, comme l’autorisation de ratifier un traité international, l’organisation des pouvoirs publics, en matière de décentralisation ou de régionalisation, de politique économique, culturelle ou sociale. Le texte soumis, dans ce cadre, au référendum, par le président de la République, prend forme de loi ordinaire et ne peut abroger une disposition constitutionnelle. C’est ce qu’on appelle, en Droit, le référendum législatif, différent du référendum constituant, prévu par les articles 99 et 101 de notre Constitution. 

 

- Parmi les amendements proposés, il est dit que le Président peut, désormais, recourir au referendum sans passer par le Parlement. Cela n’ouvre-t-il pas la voie à des abus ?

- Comme je l’ai déjà souligné dans ma réponse précédente, pour tous les amendements constitutionnels proposés, seules les procédures de révision constitutionnelle prévues par les dispositions de l’article 99 sont applicables ou utilisables. Leur irrespect, dans les Etats de droit, relève de la haute trahison, prévue à l’article 93 de la Constitution et dont les sanctions sont politiquement et pénalement très lourdes, pour les autorités de l’Etat qui les violent. La haute trahison étant l'action ou l'acte qui consiste en une extrême déloyauté d’une haute autorité politique à l'égard de sa Constitution, de son Etat, de son Gouvernement ou de ses Institutions ou, également, l'action volontaire de cette haute autorité politique d'agir contre les principes que la Constitution le charge de défendre ès qualité.

Dans ce cas, l’irrespect, par l’autorité étatique, de ses engagements constitutionnels, comme le parjure (manque du responsable élu à son serment) ou la violation du serment, sont assimilables à la haute trahison. En plus, chez nous, en Mauritanie, le président de la République, comme le prévoit l’article 93 de la Constitution, peut faire l’objet d’une procédure de destitution ou de révocation, en cas de haute trahison ou de parjure, par sa mise en accusation par les deux assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) statuant, par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composants devant la Haute Cour de justice.

 

- Autre changement proposé, la supression de la Haute Cour de Justice qui n’a jamais eu d’existence effective mais qui pouvait être activée n’importe quand. Ould Abdel Aziz veut-il ainsi assurer ses arrières ?

- Non, je ne pense pas. D’ailleurs, je crois que ce sera une bonne chose de rationaliser nos institutions. Le transfert des pouvoirs de l’ancienne Haute cour de justice au Conseil constitutionnel, comme, également, la proposition relative au transfert des compétences du Haut conseil islamique et du Médiateur de la République au Haut conseil des fatwas et recours gracieux, sont tout à fait envisageables. Mais les constitutions ne doivent être touchées que lorsqu’il y a un large consensus, entre toutes les forces politiques significatives dans les Etats démocratiques. C’est la condition première de toute révision constitutionnelle.

 

- Pourquoi, selon vous, un président en fin de second mandat se hasarde-t-il à tripatouiller la Constitution, s’il n’a pas d’idées derrière la tête ? Ne pouvait-il pas laisser le soin à son successeur d’apporter les améliorations qu’il aura promises dans son programme et pour lesquelles il a été élu ?

- Comme je l’ai déjà expliqué, dans un entretien avec le journal Al Akhbar, un président de la République, dans un régime démocratique pluraliste, ne doit pas, en fin de mandat, modifier la constitution. Sinon, ce sera, souvent, pour satisfaire des intérêts personnels. D’ailleurs, c’est ce qui explique la complexité des procédures et les exigences de majorités qualifiées (2/3, 3/5) des assemblées parlementaires, avant la soumission de la révision constitutionnelle au referendum populaire.

En démocratie, les acteurs réels sont les partis politiques et un président de la République sortant peut bien laisser, à son successeur du même parti (candidat à la présidentielle), le soin de présenter les changements constitutionnels, dans son programme à réaliser, s’il est élu, car la Constitution est un texte fondamental qui ne doit être modifié que sur la base d’un large consensus politique, suffisamment mûri.

En fait, la démocratie est fondée sur la nécessité d’une alternance au pouvoir et c’est seulement cette alternance qui peut permettre de prévenir la confiscation du pouvoir d’Etat, par un président de la République en fonction, avec toutes les conséquences néfastes pour le développement d’un pays. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que la Transition de 2005-2007, prit soin, en Juin 2006, de prévoir cette alternance, par la limitation du nombre de mandats du président de la République, afin de constituer un vrai rempart, contre la tentation de s’éterniser au pouvoir.

 

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh