Calamités

31 May, 2016 - 12:01

L’histoire de la comptable du projet Vaincre continue à défrayer la chronique. Commentant diverses mesures du dernier conseil des ministres, Moktar ould Djay, le ministre de l’Economie et des finances, est revenu sur l’affaire Jemila mint Mohamed, une comptable accusée d’avoir « perdu » plus de 700 millions d’ouguiyas. Pour échapper à la prison, la première femme impliquée dans une affaire de gabegie de cette ampleur aurait accepté un contrat l’enjoignant à régler, en quatre mensualités, le pactole « égaré ». Avant celle-ci, d’autres affaires furent « réglées » dans l’opacité totale, sans que personne ne sache les termes qui prévalurent, pour laisser courir des gens impliqués, pourtant clairement, dans des scandales financiers étalés au grand jour. La fameuse affaire de « l’argent de l’armée » s’est ainsi conclue. Son principal accusé court, depuis longtemps, à bord d’une superbe voiture sans immatriculation.  Les affaires du stade de Nouadhibou, de la Maurisbank, du port de l’Amitié, des caisses populaires et autres, ont abouti, comme d’habitude, en queue de poisson. Encore une fois sans que vraiment l’opinion nationale ne sache ni comment ni pourquoi. Exactement comme ce qui s’est passé, récemment, avec la libération, en catimini, de l’ancien secrétaire général du ministère de l’Intérieur et de la décentralisation. Un haut fonctionnaire emprisonné, sur la base d’un rapport de bureau londonien, et libéré, sur celle de ce que ses révélations auraient mis en cause de très hautes personnalités d’un système qui prétend, pourtant, avoir déclaré une guerre sans merci, contre la gabegie et les « gabegistes ». Le maire de Nouadhibou et son désormais ancien trésorier dorment, depuis quelques semaines, en prison, pour moins de cent millions d’ouguiyas qu’ils auraient illégalement envoyés se faire voir ailleurs. Des tractations sont en cours pour les libérer. Un élargissement qui ne serait plus qu’une question de jours, surtout pour le premier magistrat de la Baie du Lévrier, important responsable local de l’Union Pour la République (UPR). Ce qui n’est pas rien et constitue, même, un argument de poids dans le traitement de cette rocambolesque affaire. C’est une véritable calamité qu’à être proche d’une personnalité influente, issu d’une communauté puissante ou détenteur de révélations compromettantes, on puisse échapper, impunément, aux poursuites judiciaires et se faire exfiltrer par une justice aux ordres, via liberté provisoire, conditionnelle ou non-lieu. Alors que, pour beaucoup moins que les crimes de ceux qui courent, d’autres sont « oubliés » dans les prisons de Nouakchott, Aleg ou Bir Moghreïn. Dans quel pays peut-on passer des années et des années en détention préventive, sans pouvoir être jugé ? La Mauritanie est certainement un des pays où les procédures judiciaires sont les plus lentes. L’assujettissement du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif y est certainement pour beaucoup. La vingtaine de comptables du ministère des Finances attendent encore on ne sait quelle providentielle baraka, pour comparaître devant les juridictions nationales. Par deux fois, la justice a envoyé un juge d’instruction les entendre sur place. Mais aucune suite ne semble avoir été donnée, en termes de condamnation ou d’acquittement. N’importe comment, donc, comme sait si bien le faire la justice mauritanienne. Comme les fonctionnaires du Trésor, ceux de la SOMELEC attendent toujours le plus sommaire examen de leur dossier. Seul le présumé premier responsable dans l’affaire, le chef service de la comptabilité, a été jugé, sévèrement, en première instance. Sept ans de prison ferme et quatre-vingt millions d’ouguiyas à rembourser. C’est selon que vous soyez puissant ou misérable que la justice du roi vous rendra blanc ou noir. Véritable calamité que, même pour être jugé, il faut faire intervenir quelqu’un ou payer, pour faire programmer le seul examen de ton dossier. C’est incroyable, mais c’est comme cela. Sans ces dessous de table, le risque est grand de pourrir en prison pour de bon. Des gamins entrés, dans les geôles nationales, pour un petit larcin de guère plus de deux mille ouguiyas, banalement, y sont devenus adultes, avant d’y moisir, sinon endurcir, dix à vingt ans durant. Sans dossier. Sans avocat. Sans recours. Un univers véritablement à part. Où les enfants grandissent et meurent, sans aucune autre forme de procès. Véritable calamité que cette Cour spécialisée de Néma n’ait pu, on ne sait pourquoi, dire le droit, à l’encontre de criminels reconnus responsables de pratiques esclavagistes. A quoi servent, alors, les lois, si elles ne sont pas respectées par les juges eux-mêmes ? Le 16 Mai dernier, la Cour contre l’esclavage de Néma a condamné à cinq ans, dont un ferme, deux esclavagistes, alors que la loi 031/2015 en prévoit, au minimum, dix. Et venir, ensuite, nous parler de l’indépendance de la justice et de l’Etat de droit, l’inexistence de l’esclavage et autres idioties, comme la limitation des naissances et l’organisation des foyers ? Véritable calamité... Qui te donne un avis, regarde le « cou » de sa « zériba », nous dit l’adage populaire.