Nouvelles d’ailleurs : Des pauvres, du gasoil, des ânes et des Nous Z'Autres...

4 February, 2016 - 02:24

J'ai décidé de m'acheter un âne. Un vrai âne, un âne de compétition, un âne dans toute sa splendeur d'âne, un âne membre de la grande confrérie des Nous Z'Autres, ânes assermentés et rectifiés. Non pas que je ne puisse m'offrir autre chose qu'un âne. Un chameau par exemple, animal presque « frère » de mes ancêtres et dont nous avons – le « nous » est pour les Nous Z'Autres du grand Nord – hérité du caractère sympathique et quelque peu querelleur. Je pourrais aussi décider de m'acheter une chèvre, ou une vache « Z'à cornes » et à mamelles. Et pourquoi pas un coq ?

Non. Je veux un âne. Un âne bien âne. Un âne qui serait chargé de me trimballer. Ok, j'entends d'ici les (rares) défenseurs des animaux qui crient déjà au drame national et dénonçant la maltraitance à animal. A cela, je rétorque qu'un âne de chez nous est habilité à transporter mes rondeurs... Il n'est habilité qu'à ça, d'ailleurs, au vu de certaines matrones plus que pulpeuses que je vois transportées de ci, de là, de par les rues de notre capitale... Mes rondeurs à moi n'ayant, ni plus ni moins, le même charme et le tampon estampillé «  pur produit féminin du bled, à consommer avant le … » que les autres rondeurs, je ne vois pas pourquoi je me passerais de m'acheter un âne.

Oui, je veux un âne ! C'est devenu l'urgence du moment. J'ai décidé ceci en écoutant notre ministre chargé des relations avec le Parlement nous expliquer le pourquoi du comment de la non-baisse du prix du gasoil. Exercice jouissif, truculent, bien à la sauce de chez nous, blédards festifs. Quand il nous a expliqués que, non, le prix à la pompe ne baisserait pas ; que, non, notre république dattière ne se passerait pas de la manne des taxes sur l'essence, au moment où tout va mal ; que, oui, nous étions gonflés, nous les râleurs, de râler en rond devant la facture salée, gonflés alors que nous étions les « riches » car possédant une voiture ; je me suis dit : «  La Derwichette, achète toi un âne ».

C'est la première fois qu'on me fait un truc pareil : m'expliquer, à moi simple quidame, que les « heureux » propriétaires de voitures sont des riches, donc à même de se payer le gasoil au prix où il est. Que les pauvres, ne possédant pas de voitures, ne râlent pas et qu'ils sont même très heureux d'être pauvres car ils bénéficient du programme social Emel ! Et, datte sur les niébés, qu'ils bénéficient des transports gratuits.

Mouais... Et re mouais... On ne nous l'avait jamais faite, celle là. Du moins, personne n'avait encore osé : «  Les pauvres ne sont pas affectés par le prix élevé des hydrocarbures.... ». Une belle lapalissade, si l'on s'en tient à la pauvreté fantasmée, selon nos dirigeants qui veulent nous faire avaler qu'être pauvre, c'est ne pas avoir de voitures... Basique, d'une simplicité enfantine. Tellement simple qu'on se demande pourquoi nos économistes en herbe n'avaient jamais encore osé ce genre de raccourci.

Bref. Notre Ministre a illuminé ma semaine. Grand merci à lui et toutes les bénédictions sur lui. Devant tant d'à propos ministériel et de démonstration savante, je me demande si je vais oser gâcher la fête et émettre quelques petites remarques. Oh, des remarques insignifiantes, juste histoire de ne pas rester bouche bée, devant tant d'intelligence politique et sociale. L'ânesse en moi ne peut s'empêcher de braire un peu, braire de rire d'abord, puis braire de désespoir. Car je suis une ânesse, à l'image de la majorité de mes compatriotes, vos administrés, soit « émelisés », soit « riches » ou, si vous préférez, « Z'A voitures » ou « Z'A sans voitures ».

Mais, toujours à l'image de mes compatriotes (très chères sœurs et très chers frères...), mon porte-monnaie prend ses babouches à son cou quand il passe à « l'essencerie ». Si vous avez déjà tenté d'ouvrir un porte-monnaie récalcitrant et en grève de paiement, vous savez de quoi je parle... Souvent le porte-monnaie n'abrite que de maigres billets bleus – au fait, bravo pour les billets en plastique, ça fait Monopoly des sables ! – Dans mes jours fastes je lance un royal «  5000 UM » au pompiste qui s'empresse d'abreuver ma machine auto mais, la plupart du temps, je me contente d'un « elfein » contrit... Et je vous prie de croire que ces 2000 UM de gas-oil, je les use jusqu'à la dernière goutte, avant de me représenter devant une pompe à gasoil !

Si tous ceux qui possèdent une voiture étaient riches, ça se saurait, Mheusieur le Miiinistre ! On peut être pauvre et avoir une voiture, du moins la version « carcasse » de ce que, sous d'autres latitudes, on appelle voiture. Chez nous, tant que ça roule, ça roule. Et quand ça ne roule plus, ça roule quand même ! Chaque Mauritanien fait sa prière rituelle, tous les jours, en regardant sa voiture ou autre objet roulant et à quatre pneus qui lui sert de véhicule : «  Mon Dieu, Mon Dieu, Ya Rabbi, évite-moi le mécanicien et la panne ! ». Car aller chez le mécanicien, c'est un peu comme la roulette russe. Tu as plus de chance de te prendre la balle que de l'éviter. Et, après, tu dois rentrer chez toi annoncer à toute la famille que, ce mois-ci, ça sera pâtes et patates à tous les repas et la viande que le vendredi...

Bref. Ce Nous Z'Autres-là, qui est, quand même la grande majorité, est pauvre mais pas pauvre au point de bénéficier des boutiques Emel. Il se démerde comme il peut. Il zigzague entre sa carcasse à moteur, le prix de l'essence, les pots de vin aux autorités en uniforme censées nous protéger sur la voie publique, les amendes pour non assurance – ça coûte cher, une assurance… – ses factures, son loyer, les soins onéreux pour le petit dernier, ses crédits, sa famille qui pense qu'il est un arbre à ouguiyas, etc., etc.

Et ce péquin-là, toujours la grande majorité, je vous le rappelle respectueusement, Monsieur notre ministre des « Pauvres non affectés », il trouve, quand même, que l'essence coûte un bras, et une jambe, et la tête entière... Il trouve que tout augmente trop. Que le riz qu'il mange, le midi, doit être en or, vu son prix ; que le sucre qu'il met dans son thé lui coûte les yeux de la tête ; que la viande est devenue produit de luxe ; que le poisson, le lait, le pain, l'huile, le beurre, etc., etc., que tout ça devient inabordable ; que les commerçants s'en mettent un peu trop dans les poches, quand ses poches, à lui, rétrécissent, elles. Il trouve que ce qu'il met dans sa voiture, pour la faire avancer, est devenu produit de luxe. Et il trouve qu'il a le droit de protester et de s'indigner, quand il entend les propos tenus par votre grandeur gouvernante et ministrée.

 Vous comprendrez, Monsieur le Ministre, mon désir d'âne à quatre pattes (un âne à deux pattes ne me servirait à rien...) : un âne ne tète pas de gas-oil. Un âne ne passe pas à l'essencerie. Un âne n'enrichit pas mon mécanicien. Un âne, on lui donne à manger, on lui parle gentiment et il fait son boulot d'âne. Un âne à quatre pattes ne me raconte pas de sornettes. Il n'en a que faire, des « pauvres » ou des « riches ». Et il n'en a que faire du prix de l'essence et des ministres chargés des relations avec le Parlement... C'est le propre des ânes à quatre pattes : ils ne font pas dans la sculpture sur les nuages, ils sont dans la vraie vie.

Je rejoins donc le cri de guerre des soi-disant « riches Z'à voitures », véritables vaches à lait du politique : « Maa ni chaari gas-oil ! », slogan des mécontents après la sortie peu éclairée de notre ministre... et je m'achète un âne. Serais-je, alors, assez pauvre pour être «  Pauvre non affectée » ? Plus pauvre que pauvre ? Tellement pauvre que je serais l'argument ultime pour expliquer et cautionner une politique économique qui étrangle les Mauritaniens ? Tellement pauvre, encore plus bas que le tellement pauvre, que j'expliquerais, à moi toute seule, la non baisse des prix à la pompe ?

Nous n'avons pas édifié de pyramides, ni inventé le zéro, ni le fil à couper le beurre, mais nous inventons des concepts – chacun fait ce qu'il peut, hein ? – après celui du coup d'Etat permanent, le concept de la Rectification, le concept du Dialogue, nous voilà avec le concept du « pauvre riche, du riche pauvre, du pauvre, du riche et du Ministre » ou, si vous préférez, du « Manuel d'économie à usage des ânes ». Sur ce, je vous laisse. Je dois trouver un nom à mon futur âne. Les choix ne manquent pas… Salut.

 

Mariem mint Derwich