Mémoires de Boutilimit /Par Brahim Ould Ahmed Ould Memadi

21 January, 2016 - 00:58

Chapitre 3 : Djenké l’originelle

C’était au début du 19ème siècle que Cheikh Sidia réalisait, à quelque quarante kilomètres, au Sud de Tendewge, le forage du premier point d’eau sur le site indiqué depuis Tombouctou. Pour ainsi amorcer l’érection de la future agglomération où, plus tard suivra la gestation d’un Etat-nation…

En ces temps lointains, ce bled n’était qu’une gigantesque dépression de terrain, argileuse, évasée et allongée sur plus de quinze kms environ…

De part et d’autre, elle est jusqu’alors jalonnée de deux grandes chaînes de dunes de sable immaculé. En saison d’hivernage, l’énorme vallée concave se jonchait de crételle des prés (Tilimit) et d’euphorbes arborescentes (Tourge). Il paraîtrait aussi qu’elle fut peuplée de pachydermes et de fauves.

Ce fut alors que la sainteté de l’homme sage et la dominante botanique du milieu, suscitèrent le terme « bou-tilimit », comme nom du puits ainsi foré au bas flanc de zirett-bokel…

Lorsque l’ouvrage atteignit la nappe aquifère (la plus grande d’Afrique et sous le Trarza), la sommité religieuse avait gravé une formule secrète de valeur « stricto-sensu » sur la dalle qui fut placée en son fond… Nos aïeuls, vétérans en ce domaine spirituel, recommandaient aux malades de boire sans cesse l’eau de tout le Trarza… Particulièrement à ceux atteints d’hypertrophie de la glande thyroïde (goitre), de l’anémie chronique du rachitisme, etc.… Certainement pour les vertus avérées de la secrète formule…

En effet, les débris de la margelle de l’authentique de Boutilimit sont actuellement ensevelis juste à l’angle Nord-est de la clôture de ce qui fut le célèbre campus de l’Institut de Boutilimit. Fondé par le charismatique feu Cheikh Abdallah Ould Cheikh Sidia, khalife de son père, puis décédé en 1964…

Le second forage fut celui de feu Mohamedou Ould Ahmed Taleb réputé ‘’Memadi’’, nom qui lui fut adapté par affection par son éminent Cheikh… Hassi Memadi juste en face de sa demeure au milieu du goud parmi l’oued. Cette maison en banco fut la première bâtisse élevée sur ce terrain devenu aujourd’hui le centre-ville.

Le troisième puits fut ARCHANE d’ehel Mazouk au Sud de H’reith Malik à quelques kms de la girouette du second aérodrome. Le premier étant plus à l’Ouest, parallèle au cimetière de N’tourjatt sur le même alignement que Harth Memadi (Boutechtaya) non loin de H’sey Cheddad et derrière Zirette’chara, ancien champ de tir…

Ce fut donc en cette sainte, très belle et fabuleuse contrée que feu Cheikh Sidia Babe et son intime disciple, feu Baba Mohamedou (Memadi) scellèrent à l’unisson leur destin commun pour la vie et l’au-delà… Ainsi, ils vécurent ensemble dans leur fief Boutilimit où ils y sont à jamais côte à côte au cimetière d’el Baelatiye où Memadi l’avait rejoint en Août 1970… Les géantes dunes de Djenke furent très hautes et difficiles à arpenter. D’où l’immortalisation « Taebé »  (l’éreintante), donnée à celle de l’Ouest par les prisonniers, forçats et autres condamnés aux galères… Des centaines d’hommes déportés de partout par  les colons pour servir à la construction du fort Copollani au sommet de cette plus élevée colline… Stratégiquement, elle offre une nette observation dans tous les azimuts et sur des distances assez considérables. Sur leur tête, sous les coups de fouets des geôliers, ces pauvres portèrent cahin-caha, toute l’argile des célèbres fosses (Lekhnadegh) du goud et autres matériaux qui avaient servi à l’édification de la forteresse, de ses guérites, de toutes ses fortifications et de la piste dallée qui y menait.

Au dessus des géantes fosses et la forêt d’euphorbes qui les dissimulait, se situe actuellement le quartier de l’école 4. Cette mine d’argile avait servi à la construction de toute la vieille et légendaire Djenke.

Une fois remplis d’eau de pluie, ces gouffres énormes devenaient pôle d’attraction de toutes les couches de marmailles. On y nageait, on s’y bagarrait durant toute la période d’hivernage et à longueur de journée. C’était le champ de bataille, l’arène de tous les combats, le FAR-WEST où la témérité et la rapidité du premier coup, bien placé, grâce à une tige verte et souple d’euphorbe effeuillé fut garante du laurier. Sous les auspices du patriarche H’moide qui ne prenait part à la bagarre qu’une fois terminée en publiant les résultats… Ce longiligne accompagnait et encadrait toutes les générations, sans exception. Un boutilimittois ignorant H’moide Ould Yiddah n’est tout simplement pas de Djenke… Cet homme, vieil-enfant était un grand chef partout présent, infatigable, « infâchable » et extrêmement précis au lance-pierres… Il nageait bien dans lekhnadegh tel un « m’meiss-elme », mais disait-il, il ne pouvait le faire dans un verre d’eau pour éviter de s’y noyer… Heureusement, notre niais monument est encore en vie.

C’était donc en 1905, la mise en implantation des blockhaus du fort, entre deux réserves réglementées. La grande fut derrière la dune au niveau de l’ancien dispensaire et de Gadaye, la seconde sur le flanc Est de la colline, protégeant la piste de la forteresse contre l’ensablement…

A cette époque, ma grand-mère, la méderdroise, Teslem mint el Meouloud allaitait  ma tante Zeinebou ; oncle Brahim sevré depuis trois ans. Quant à Abdellahi, Boullah, il avait sept ans et Vatimetou mint Memadi, fille aînée, en avait dix accomplis…

Plus tard, après Mariem et Meimoune, naquit mon père Ahmed, le même jour que son contemporain et grand ami, Moktar Ould Daddah, le père fondateur de notre chère patrie. En 1919, el Keit … En ces temps aussi et surtout, Djenke fut honorablement, l’unique Eden du très vaste désert où menaient tous les chemins du sauve-qui-peut dû aux ravages des grandes disettes successives. L’ampleur catastrophique des dégâts et l’énormité des ruées humaines furent des événements tragiques et simultanés. Leurs effets furent absolument les plus exponentiels et désolants des siècles derniers.

Boutilimit accueillait donc et hébergeait les rescapés qui affluaient de toutes parts, fuyant une misère rampante. Elle fut le grand sinistre collatéral aux âpres sécheresses, doublées des effets lugubres et accablants des grandes guerres mondiales de 1914-18 et celle de 1939-45… Ainsi donc, Boutilimit fut la délivrance providentielle où toutes les vagues désemparées s’ajoutèrent continuellement et massivement aux premiers citadins. Dont les premiers fonctionnaires coloniaux, les commerçants venus essentiellement de l’Adrar, du Tagant et d’ailleurs… Il y avait aussi tous ceux qui raccompagnèrent  Cheikh Sidia Babe en rentrant de sa célèbre tournée en Adrar… En plus bien sûr des dizaines de milliers de disciples, attirés par le solide et limpide savoir et par la sainte bénédiction avérée…

L’originelle cité fut alors une gigantesque mosaïque dont la parfaite harmonie suscitait bien assez de jalousie…

Bien avant l’exceptionnel exode rural du début des années soixante-dix (âm-breikilli), elle ne comptait exactement que sept quartiers qui subirent une explosion démographique sans précédent :

  • La vieille ville (Djenke), celle des plus anciennes familles… Au milieu du goud, avec son imposante « m’bediyett-bour ». La rue principale, incontournable épicentre de toutes activités commerciales, culturelles, sociales, festives et politiques… L’axe central joignant majestueusement les deux titanesques collines qui veillent éternellement sur notre ancestrale et légendaire cité… Creuset incontestable de sainteté, d’érudition de générosité, de courage, de tolérance, sans haine ni rejet et surtout de prédominance de l’humilité et de la dévotion inébranlables…

Ce fut bien la prestigieuse préséance du grand bâtisseur Memadi qui était à l’origine du tracé de cette rue et ses lotissements parallèles. Donc, le domaine des premiers citadins…

  • Lahwach (les clôtures), côté Nord, entre les deux flancs opposés des dunes. Constituées des familles Cheikh Sidia et tous ceux récemment arrivés de la brousse et qui s’installaient nécessairement à proximité de ces premières… Ce qui leur évitait en même temps la pesanteur de la vieille-ville trop basse pour des habitués au plein-air… Tout autour de leurs cases et tentes, ces gens dressaient des clôtures de paille de chameau (titarek) et branchage d’épineux afin de se protéger du saccage des animaux errants (quartier Est et celui Ouest).
  • Chorve, quartier Sud-Est, fief des grands commerçants et transporteurs venus du Tagant et de l’Adrar… Plus au Sud sur la grande colline pourpre, ehel Weddadih, ehel Sidi Ali, ehel Bah, ehel Minih, etc. Plus en bas, ehel Lekouar, ehel M’beirick, ehel Cheikh ould Abeidallahi, ehel Saleh, ehel Mareinah, ehel Beyatt, etc.
  • El Jedide, Sud-Ouest, elle s’étend à partir de la motopompe  de MAURELEC jusqu’au niveau de l’aérodrome. Elle abritait initialement ehel Weddad, ehel Mohamed Leebeid, ehel Abeidalla, ehel Abderrahmane Ould Memadi, ehel Abdel Barke, l’école I et sa cantine, ehel Balla, ehel Aboud, ehel Cheddad, ehel Ahmedoumou, ehel Ahmed Boussatt, Garmi, ehel Karve, T’feile mint Abderrahmane (m’rayett tourge) ehel Moctar R’rahali, ehel Bidar, et M’barek, etc. tout le reste du goud était couvert d’une opaque forêt d’euphorbes et de crételle… La seule éclaircie fut entre Lekhnadegh, Boughabra, el Guett (parc), Dar ould Issa (entrepôt) et l’école ; le terrain de tous les jeux et sports dont nous portions la marque à chaque passage. La boue qui couvrait nos jambes et pieds, telle des bas cendres…
  • Agadaye, derrière le fort, entre la réserve et l’ancien dispensaire… quartier pourvoyeur principal en Aich (gâteau de mil). Il fut aussi fief de l’un des plus envoûtants tam-tams du bled, puisque très ‘’chaud’’…
  • H’sey-cheddad, en la dépression à l’Ouest de la forteresse où habitait la grande famille commerçante d’ehel Atigh, celle de mon grand-père maternel, le saint-chérif feu Mohamed Mahmoud Ould Nagi. Il y avait aussi l’infirmier Yahye ould Mohamedein, ehel Assy et ehel Balla avant leur déménagement à Jedide.

Quant à Ain s’selame, Tid-molline, Habibellech, Ibel-gham, Archanatt, el Gham, el Khedherr, Boughabe, el qoube, beir-mirem, zem-zem, R’rabièe, elb-adresse, Tivekine, etc.… Ces campements de détente rustique (badia) du passé plu ou moins lointain, où se gavaient nos très belles filles (lembel-hatt), sont désormais ensevelis par le crépuscule de leur prospérité devenue effluve superflue… Face à l’accroissement anarchique et exponentiel des quartiers fondamentalement « communautaristes »… Mode devenue en vogue depuis l’instauration des tournées carnavalesques des hauts gabarits… De quoi justement, réviser les registres cadastraux, en vue d’éventuels baux ruraux…