Examen Périodique Universel (EPU) sur les droits de l’homme : Au-delà du satisfecit officiel : Un tableau peu reluisant

19 November, 2015 - 00:35

La Mauritanie a présenté il ya quelques jours son Examen Périodique Universel (EPU) devant le conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme à Genève. Avant la présentation faite par le gouvernement, des organisations de la société civile, notamment SOS Esclaves et l’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA) ont procédé devant la même instance à cet exercice qui permet de prendre le pouls des droits de l’homme dans les pays où des pratiques comme l’esclavage existent encore. Pour cette fois, la Mauritanie a mis les petits plats dans les grands en mobilisant une forte délégation composée entre autres du ministre de la Justice, de la  présidente de la Commission nationale des droits de l’homme et de plusieurs responsables nationaux dont des élus généralement Harratines pour mieux faire entendre raison à une communauté internationale accusée à tort ou à raison de prêter souvent l’oreille aux voix discordantes dont les réquisitoires ne font pas reluire l’image du pays sur la scène internationale en termes de respect des doits et des libertés. Les présentations de Boubacar Messoud, président de SOS Esclaves et d’Abidine Ould Merzough, représentant d’IRA en Europe sont à ce titre particulièrement éloquentes. Durant quatorze minutes, les deux militants ont sévèrement mis la Mauritanie à l’index, en l’accusant ouvertement devant le conseil de pratiques esclavagistes et de non application de toutes les lois liées à l’esclavage.

Recommandations rejetées

 Comme d’habitude, la Mauritanie a orchestré une grande campagne juste après la présentation de son examen périodique selon laquelle elle aurait recueilli la « bénédiction » de la majorité des pays (85) pour ses prestations dans la promotion des droits de l’homme en général et de la lutte pour l’éradication de l’esclavage en particulier. Ainsi, au cours de son point de presse hebdomadaire, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement n’a pas tari d’éloges à l’égard des autorités et des administrations nationales pour le rôle positif qu’elles ont joué dans cette lutte qui aurait entrainé les félicitations que les pays du monde entier leur auraient adressées. Naturellement, les médias officiels et certains médias privés (télévisions, radios, journaux et sites) ont relayé cette campagne d’autosatisfaction gouvernementale. Or, sur les 200 recommandations formulées par le Conseil des droits de l’homme en 2015, 40 sont liées à l’esclavage contre 18 seulement sur les 152 recommandations de 2010. Ce qui signifie que ce satisfecit officiel doit être pris avec beaucoup de réserves. Surtout que la Mauritanie est considérée par certains rapports d’organisations internationales des droits humains (comme celui d’Anti Slavery) comme le pays le plus esclavagiste du monde. Cette année, sur les 40 recommandations émises sur l’esclavage, la Mauritanie a systématiquement rejeté celles introduites par l’Allemagne, l’Angleterre et l’Irlande liées à la libération des militants des droits de l’homme, Birame Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Abeid emprisonnés depuis le 11 novembre 2014 à Aleg. Tout comme elle a refusé de prendre l’engagement de diligenter une enquête de recensement des esclaves en Mauritanie. Cependant, certaines recommandations comme la nécessité d’organisation de stages au profit des autorités sécuritaires, administratives et judiciaires afin de permettre une bonne prise en charge des dossiers d’esclavage ont été acceptées par le gouvernement.

Nouvelle approche

Aussi, le gouvernement mauritanien s’est-il engagé à  monter une base de données méthodique et détaillée sur toutes les formes d’esclavage et à enquêter sur les cas d’esclavage et de pratiques mettant en cause la protection des enfants. Dans son examen périodique, la Mauritanie prétend avoir réalisé certains progrès dans la lutte pour l’éradication de l’esclavage et des pratiques assimilées. A ce titre, l’agence Tadamoun, dotée d’un budget de plus de treize milliards, est habilitée à la conception et à l’exécution des programmes et projets de lutte contre l’esclavage. Le gouvernement a promis de lui apporter soutien et appui en collaboration avec la Commission Nationale des Droits de l’Homme. Le gouvernement s’est aussi engagé à poursuivre les efforts visant à l’éradication totale de toutes les formes traditionnelles et contemporaines de l’esclavage y compris le travail des mineurs. Des indiscrétions officielles rapportent que le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz  est en voie d’adopter une nouvelle approche sur l’esclavage basée sur une reconnaissance claire de l’existence de ce phénomène en Mauritanie. Dans la perspective de cette nouvelle politique, certaines personnalités, issues essentiellement de milieux harratines, auraient été contactées pour mener des campagnes de sensibilisation sur l’urgence d’une véritable éradication des pratiques esclavagistes. Il s’agit ainsi pour le gouvernement de faire d’une pierre deux coups. D’un, se débarrasser tant que faire se peut d’une pratique rétrograde qui menace dangereusement l’unité nationale. Et de deux, couper l’herbe sous les pieds de certains (militants des droits de l’homme et hommes politiques) qui font de l’exclusivité de la lutte contre l’esclavage un programme de droit et de politique  sur lequel ils construisent l’essentiel de leur cause. Le transfert il ya quatre jours du président Birame Ould Dah et de Brahim Ould Abeid d’Aleg vers la prison civile de Nouakchott présage d’une libération imminente de deux militants des droits de l’homme. L’engagement de la Mauritanie à mettre en œuvre certaines recommandations formulées par le conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme et l’érection de l’esclavage en crime contre l’humanité et les mesures y afférentes (création de tribunaux spéciaux, révision de la loi 048/2007 le criminalisant…) sont peut-être des signes avant coureurs de cette probable nouvelle approche sur l’appréciation de la problématique de l’esclavage. En attendant, la Mauritanie est toujours malheureusement perçue comme l’un des rares pays au monde où subsiste encore l’une des pratiques les plus abjectes que l’humanité ait connue.

Sneiba El Kory.