Croissance et développement

16 July, 2014 - 04:46

(Traduction d’un article récemment publié en arabe par Mohamed Lemine OULD DEIDAH)

Le taux de croissance économique de 6,7% que le Gouvernement déclare avoir réalisé en 2013 a suscité un grand débat entre ceux qui y croient et ceux qui en doutent. Débat qui a pris de l’ampleur à l’occasion de la dernière campagne présidentielle.

Maintenant que la campagne est terminée, nous espérons que les idées exposées dans ce modeste papier contribueront à apporter quelque éclairage à ceux qui s’intéressent au sujet.

Malgré la nature du thème, et pour éviter l’ennui du lecteur,  nous ne le noierons pas dans les chiffres et les détails techniques.

Commençons par la définition rapide et simple du  taux de croissance. Le taux de croissance mesure l’augmentation de la production et de la richesse nationale pour une année par rapport à celle qui la précède : si la production nationale (Produit Intérieur Brut ou PIB) était de 100 en 2012 et qu’elle est estimée à 106,7 en 2013, le taux de croissance est de 6,7%.

Naturellement, le Gouvernement mérite des félicitations pour toute croissance qu’il réalise, à condition toutefois que cette croissance se traduise par une amélioration effective des conditions de vie des populations. Car croissance n’est pas forcément synonyme de développement. Supposons à titre d’exemple qu’un citoyen découvre une mine d’or et qu’il arrive à l’exploiter clandestinement. Cette production contribue, certes,  à augmenter la croissance (de manière « invisible »), mais les retombées de cette nouvelle richesse profitent exclusivement à ce citoyen chanceux et, au meilleur des cas, à son proche entourage.

 

Croissance vulnérable

La croissance d’aujourd’hui peut aussi être réalisée aux dépens de la croissance de demain : le Pérou, par exemple, a connu dans les années 70 du siècle dernier une forte croissance, grâce à l’exploitation de ses ressources halieutiques considérables. Mais en raison de la surpêche, ces ressources se sont brusquement raréfiées, plongeant ainsi le pays dans une grave crise économique qui a duré plusieurs années.

Par ailleurs, toute croissance générée par une économie de rente, basée sur l’exportation des minerais bruts et des produits halieutiques, et qui n’est pas le produit d’une économie forte assise sur des activités industrielles et des services, tirée par un secteur privé dynamique, reste fragile et vulnérable par rapport aux fréquentes fluctuations du marché international.

Supposons que le prix du fer baisse, que Dieu nous en garde, parce que la croissance en Chine et dans d’autres pays grands importateurs a fléchi, ou que de nouvelles mines à faible coût d’exploitation ont été découvertes ou mises en exploitation, la croissance sera automatiquement tirée vers le bas, avec les répercussions économiques et sociales que l’on  peut facilement imaginer.

Ce funeste scénario s’est malheureusement réalisé l’année dernière – avec toutefois des répercussions moindres que dans le cas du fer, heureusement – quand Kinross et MCM ont licencié des centaines d’employés, suite à la baisse du prix de l’or sur le marché mondial.

Par ailleurs, pour de nombreux économistes, le taux de croissance n’est plus suffisant pour déterminer le niveau de développement d’un pays donné, même s’il reste un indicateur important. C’est pour cette raison que le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) a créé un indicateur composite appelé Indice de Développement Humain (IDH) incluant plusieurs indicateurs, en plus du taux de croissance, pour mieux refléter la situation économique des pays étudiés et celle de leurs populations. Ces indicateurs ont trait à la couverture des besoins fondamentaux et à l’accès aux services de base (eau potable, habitat, électricité, alimentation, santé, éducation…), l’emploi, l’espérance de vie, la préservation des ressources naturelles,  et même la bonne gouvernance et  la jouissance des libertés.

Suivant cet indicateur composite, un pays avec un revenu par habitant et une croissance élevés, peut être classé plus bas qu’un autre où ces deux indicateurs sont plus bas.

Selon le dernier classement effectué par le PNUD, la Mauritanie a occupé le 155ème rang sur 184 pays classés.

Il faut également noter qu’un taux de croissance de 6,7%, même s’il n’est pas négligeable, n’a qu’un impact relatif par rapport au niveau de pauvreté : les experts de la Banque mondiale estiment en effet que pour obtenir un impact réel sur le niveau de pauvreté, la Mauritanie doit réaliser un taux de croissance de 7% au moins pendant 10 années consécutives.

Par ailleurs et pour revenir à la polémique, le doute sur le chiffre du taux de croissance revendiqué par le Gouvernement est justifié parce qu’il ne résulte après tout que d’estimations et de projections contestables d’un point de vue scientifique. Par exemple, la croissance des ressources animales est basée sur ‘l’appréciation’ de la qualité de la saison des pluies, et dans le secteur agricole, sur la base des superficies emblavées (en utilisant peut être les photos-satellites), mais ces estimations ne sont pas affinées par des enquêtes et sondages statistiques scientifiques, pour déterminer au plus près le croît du bétail et la productivité à l’hectare pour le secteur agricole.

 

Loi sur la transparence bafouée

Et pour ajouter à la difficulté de déterminer le taux de croissance, rappelons que la grande majorité des entreprises et des activités économiques dans le pays relèvent du secteur informel, pour lequel il est difficile par nature d’obtenir des données fiables. D’ailleurs, même les entreprises publiques qui sont supposées être formelles  ne le sont pas tout à fait : en effet, aucune de ces entreprises, pourtant propriété du peuple, ne publie ses états financiers alors que le principe de transparence et la morale l’y obligent. C’est à se dire que ce pays a un réel problème avec la bonne pratique de publication des situations financières des institutions publiques, malgré la promulgation depuis plusieurs années de la loi sur la transparence.

Autre motif de doute, l’institution chargée de ce domaine, et qui aurait dû en être la référence incontestable, l’Office National de la Statistique (ONS), se débat depuis quelques années dans de grandes difficultés financières qui ont atteint le degré d’incapacité à régler les salaires de ses fonctionnaires ; et il suffit d’observer l’état de délabrement et de dégradation de son siège pour douter de toute information statistique produite par le Gouvernement.

Il est vrai que le Gouvernement brandit la ‘certification’ du Fonds Monétaire International (FMI) pour accréditer le taux de croissance qu’il prétend avoir réalisé et il est indéniable que cette Institution jouit d’une excellente réputation au plan mondial, de par la grande compétence de ses experts. Cependant, cette institution n’est pas aussi apolitique qu’elle le prétend, pour la simple raison que son Conseil d’Administration, qui est sa véritable instance de décision, est largement dominé par les puissances occidentales et leurs nombreux alliés. Il suffit donc que cette coalition soit prédisposée à l’égard d’un pays, parce qu’il sert ses intérêts dans le domaine de la guerre contre le terrorisme ou la lutte contre l’immigration clandestine, par exemple, pour que les ‘papiers’ soumis par ce pays soient examinés avec la bienveillance du fonctionnaire corrompu, et que l’on ferme les yeux sur ses infractions, même si elles concernent les stratégies et réformes prônées par le FMI visant la libéralisation de l’économie et la promotion du secteur privé. Dans le cas de notre pays, ces infractions ont porté sur la création par le Gouvernement, en toute ‘impunité’, d’entreprises publiques dans le secteur des transports aérien et urbain notamment, inéluctablement vouées à la faillite, et sur la concurrence, forcément inégale, livrée par l'Etat aux entreprises privées dans le domaine des travaux publics.

En conclusion, il n’est pas utile de trancher le débat : peu importe le taux de croissance pour nos populations. Ce qui les intéresse c’est plutôt l’amélioration concrète de leurs conditions de vie, par une meilleure  couverture de leurs besoins fondamentaux, par un meilleur accès aux services de base et par un accès plus équitable aux opportunités.