Exclusif. Matteo Renzi, président du Conseil italien : «L’Afrique est une priorité de la politique étrangère italienne»

13 August, 2015 - 02:49

« L’Afrique est la plus grande opportunité qui se présente à l’Italie, malheureusement nous sommes victimes de décennies d’incuries et d’une approche parfois idéologique du continent africain. Au contraire, je reste persuadé que, dans les vingt prochaines années, l’Afrique sera à l’origine de bon nombre de phénomènes économiques ». C’est ce qu’a déclaré le président du Conseil italien, Matteo Renzi, dans une interview exclusive accordé au site d’information Afronline.org et à un pool de médias partenaires africains. « Ce n’est pas uniquement un slogan », assure celui qui est devenu, à l’âge de 39 ans, le plus jeune chef de gouvernement en Europe. Sa récente tournée africaine au Kenya et en Ethiopie (14-15 Juillet) – il y fut le seul leader des pays du G7 à assister, à Addis Abeba, à la Conférence des Nations Unies sur le financement du développement – confirme sa volonté de faire, du continent, « une priorité de la politique étrangère italienne ». Depuis son accession à Palazzo Chigi en Février 2014, le jeune président du Conseil a déjà visité huit pays africains. Un record. Francophones, anglophones ou lusophones, peu importe. Il affiche, partout, la même ambition, fondée sur trois piliers : culture, coopération au développement et investissements. « Ce sont les moyens les plus efficaces pour combattre la pauvreté en Afrique, un fléau qui est à l’origine des problèmes liés au terrorisme et aux flux migratoires ».

Dans cette interview, l’ex-maire de Florence et actuel homme fort de l’Italie affirme que « la coopération italienne a un rôle très important à jouer dans notre stratégie. Le gouvernement italien que je dirige a, par ailleurs, adopté, l’année dernière, une réforme historique de sa coopération internationale ». Malgré une tendance à la hausse, l’aide publique au développement représente à peine 0,16 % du PIB italien. « Aujourd’hui, l’Italie occupe la dernière place parmi les pays donateurs du G7 », soutient le Premier ministre. « C’est inacceptable. À Addis-Abeba, j’ai annoncé que nous allions changer de cap pour remonter à la quatrième place du G7 en 2017 ».

Sur la lutte contre les terroristes islamistes, l’Italie a récemment confirmé son engagement au Sahel, à travers un soutien aux missions PSDC au Mali et au Niger, ainsi qu’à la MINUSMA, qui s’ajoute à sa présence aux côtés des pays menacés par les Al Shabaab en Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique. La gestion des flux migratoires est un dossier tout aussi brûlant et sensible. Alors que le cap des deux mille décès de migrants, cette année en Méditerranée, a été franchi, le « Processus de Khartoum », lancé par l’UE, l’UA et une dizaine de pays africains (dont l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie), en Novembre 2014 à Rome, subit de sérieux revers, en raison, notamment, des réticences des partenaires africains. « Dans certains cas, celles-ci sont compréhensibles », admet Matteo Renzi. « Pour un pays africain qui a l’habitude de gérer un million de personnes dans un camp de réfugiés, il est difficile de concevoir que cinq cents personnes, à la gare ferroviaire de Tiburtina de Rome, constituent un problème en Italie. Lorsque nous demandons, à un Premier ministre africain, de s’engager davantage dans le Processus de Khartoum, il vous répond qu’il a besoin d’investissements pour créer des entreprises dans son pays ». Parmi les soixante-dix mille migrants qui sont arrivés sur les côtes italiennes au cours du premier semestre 2015, plus de dix-huit mille étaient des érythréens fuyant la pauvreté et la répression. « L’Ethiopie accueille des érythréens sur son territoire mais, tant que ces derniers ne trouveront pas d’emploi, il y a aura toujours un citoyen érythréen prêt à défier la mort pour traverser le désert, atteindre les côtes libyennes et arriver en Europe. Les communiqués de Matteo Salvini [chef de file de la Ligue du Nord, parti italien anti-immigrés et anti-européen] ne seront jamais en mesure de stopper un érythréen fuyant la dictature », poursuit-il. « Si vous ne mettez pas en œuvre des conditions favorables au développement économique pour créer des emplois sur le continent africain, vous aurez toujours un candidat à l’émigration prêt à tout sacrifier pour venir en Europe ». Pour Matteo Renzi, « le vrai défi qui se pose est la manière dont le modèle de développement africain réussira à réduire les inégalités qui persistent sur ce continent. Le sort de l’Afrique ne peut dépendre de l’aide au développement ou des investissements ; en tout cas, pas uniquement. Il faut prendre en considération la dimension culturelle et investir dans le capital humain ».

 

Afronline : Au cours de votre dernière tournée africaine, vous avez déclaré, à maintes reprises, que « l’Italie est de retour en Afrique ». Qu’est-ce qui justifie cet engouement ? Et quelles sont les priorités stratégiques de l’Italie sur le continent africain ?

Matteo Renzi : La première des priorités est d’ordre culturel. Avec l’Afrique, le partage de valeurs et d’idéaux est un enjeu crucial dont dépendent des défis majeurs, comme l’aide au développement ou les investissements. Concrètement, cela doit se traduire par davantage d’efforts au niveau universitaire, à travers une multiplication des programmes d’échange entre étudiants africains et italiens. Miser sur les prochaines générations africaines est une priorité absolue, d’autant plus que la possibilité d’accueillir les dirigeants de demain nous permettra de renforcer les liens entre l’Afrique et notre pays, véritable pont entre l’Europe et le continent africain.

La coopération italienne a, elle aussi, un rôle très important à jouer dans notre stratégie. Malheureusement, elle n’a pas été suffisamment soutenue, ces dernières années. Et les conséquences sont lourdes : aujourd’hui, l’Italie occupe la dernière place parmi les pays donateurs du G7. C’est inacceptable. À Addis-Abeba, j’ai annoncé que nous allions changer de cap pour remonter à la quatrième place du G7 en 2017 [année où l’Italie accueillera le sommet des sept pays parmi les plus grandes puissances économiques du monde, ndr]. Au-delà des chiffres, il y a une question de méthode. Le gouvernement italien que je dirige a adopté, en 2014, une réforme historique de sa coopération internationale ; le fait que le Ministère des Affaires étrangères soit devenu le « Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale » doit nous permettre de renforcer les relations entre notre coopération au développement et notre politique étrangère. C’est d’ailleurs inscrit dans la loi : la coopération fait partie intégrante de la politique étrangère de l’Italie.

Enfin, nous ne pouvons faire abstraction des investissements, qui doivent nous permettre de conquérir de nouveaux marchés et créer des emplois sur le continent africain. Culture, coopération au développement et investissements sont les moyens les plus efficaces pour combattre la pauvreté en Afrique, un fléau qui est à l’origine des problèmes liés au terrorisme et aux flux migratoires.

 

- Selon le dernier rapport publié par l’OCDE, en Avril dernier, l’aide publique au développement représentait, en 2014, à peine 0,16 % du PIB italien. Si les pourcentages du classement actuel des pays du G7 ne changent pas d’ici 2017, l’Italie devra dépasser le Canada et son aide atteindre 0,24 % du PIB national pour occuper la quatrième place. Votre objectif n’est-il pas trop ambitieux ?

- Attendons de voir ce que feront les autres. L’Allemagne, par exemple, a annoncé qu’elle augmenterait ses fonds en faveur du développement. Certes, l’aide italienne a diminué, ces dernières années, mais – comme je l’ai dit – les choses vont changer dans les trois prochaines. Si l’Italie avait adopté des réformes il y a dix ans, elle ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui ; et cela vaut aussi pour notre coopération internationale, qui n’est pas faible, mais qui n’a pas bénéficié du soutien de nos gouvernements. Et pourtant, bon nombre d’ONG et de missionnaires ont apporté et continuent à apporter, chaque jour, une aide précieuse aux plus démunis, parfois dans des contextes très difficiles. Je pense, notamment, aux comboniens à Korogocho, au Kenya, ou bien à la Communauté de Sant Egidio au Mozambique. Ce sont des exemples à suivre.

 

- Les migrations constituent un dossier brûlant en Europe et en Italie. À plusieurs reprises, vous avez déclaré que la crise migratoire devait être affrontée en Afrique subsaharienne et pas uniquement dans le bassin méditerranéen. En Novembre 2014, à Rome, l’UE a adopté une déclaration commune avec une dizaine de pays africains, pour contenir les flux migratoires en provenance de la Corne de l’Afrique. Mais depuis son lancement, la « EU-Horn of Africa Migration Route Initiative » (« Processus de Khartoum ») subit de sérieux revers, en raison notamment des réticences des partenaires africains. Quels en sont les motifs ?

- Dans certains cas, les résistances sont compréhensibles. En Italie, une polémique éclate autour de soixante-dix mille réfugiés, alors que, sur le front opposé, vous avez des pays africains et du Moyen-Orient qui en accueillent des millions dans des camps. Nous essayons de leur expliquer que nous avons un problème avec notre opinion publique et nos media mais c’est compliqué. Pour un pays africain qui a l’habitude de gérer un million de personnes dans un camp de réfugiés, il est difficile de concevoir que cinq cents personnes à la gare ferroviaire de Tiburtina, à Rome, constituent un problème en Italie. Lorsque nous demandons, à un Premier ministre africain, de s’engager davantage dans le Processus de Khartoum, il vous répond qu’il a besoin d’investissements pour créer des entreprises dans son pays. Lors de mon dernier voyage officiel en Afrique, j’ai discuté avec les autorités éthiopiennes et kenyanes, à propos des profils et des compétences des migrants et, dès que nous avons abordé le sujet, leurs chefs de gouvernement ont évoqué les ressources et les moyens dont ils ont besoin pour augmenter les investissements afin de créer des entreprises et du travail dans leurs pays. L’Éthiopie accueille des érythréens sur son territoire, mais tant que ces derniers ne trouveront pas d’emploi, il y a aura toujours un citoyen érythréen prêt à défier la mort pour traverser le désert, atteindre les côtes libyennes et arriver en Europe. Les communiqués de Matteo Salvini [chef de file de la Ligue du Nord, parti italien anti-immigrés et anti-européen] ne seront jamais en mesure de stopper un érythréen fuyant la dictature. Si vous ne mettez pas en œuvre des conditions favorables au développement économique pour créer des emplois sur le continent africain, vous aurez toujours un candidat à l’émigration prêt à tout sacrifier pour venir en Europe. Les petites et moyennes entreprises italiennes ont un rôle à jouer en Afrique pour freiner les flux migratoires, et notre modèle entrepreneurial est en train de susciter un certain intérêt chez les Africains. Calzedonia, par exemple, va créer trois mille emplois en Éthiopie, d’ici début 2016. C’est un exemple parmi tant d’autres.

 

- Parmi les soixante-dix mille migrants qui sont arrivés sur les côtes italiennes au cours du premier semestre 2015, plus de dix-huit mille étaient des érythréens fuyant la pauvreté et la répression. N’y-a-t-il pas une contradiction entre la volonté de freiner les flux migratoires africains et le dialogue que l’UE a instauré avec le régime dictatorial de l’Érythrée, qui contribue à alimenter ces flux ?

- Je ne veux pas évoquer ici de cas spécifiques. Par contre, je me permets de souligner que la politique s’efforce toujours de trouver le juste milieu entre la situation idéale et la réalité. Toutefois, ce compromis varie en fonction des zones géographiques et au cas par cas. Il y a des pays avec lesquels il est impossible d’instaurer le moindre dialogue et des pays où certains principes démocratiques sont remis en question mais avec lesquels il est nécessaire d’établir un canal de communication. Prenons l’exemple de Kadhafi. Il a été décidé de bombarder son régime et, aujourd’hui, la Libye échappe à tout contrôle. La discussion sur ce sujet oppose deux camps : ceux qui disent que « lorsqu’il y avait Kadhafi, les migrants n’arrivaient pas chez nous » et ceux qui rétorquent que « c’est normal, puisqu’il les laissait mourir dans le désert ». Je cite l’exemple le plus banal de Kadhafi car tout le monde en parle mais il est difficile de trouver des solutions valables pour l’ensemble du continent africain. Il s’agit de dialoguer, en gardant à l’esprit que certaines valeurs telles que la démocratie, la paix, la tolérance, le respect des droits de l’homme ne sont pas négociables. Je citerai deux exemples qui symbolisent l’action de ce gouvernement et l’attachement de notre pays à ces valeurs. Le trajet effectué, en mobylette, par notre vice-ministre Carlo Calenda au Mozambique, pour aller à la rencontre des rebelles et contribuer à un accord de paix avec le gouvernement mozambicain ; et la lutte contre la peine de mort, un combat dans lequel nous sommes engagés depuis des années auprès des Nations unies et que nous n’abandonnerons jamais.

 

- L’expression « Aidons les Africains chez eux » est devenue monnaie courante en Italie, au point de devenir un des seuls critères de lecture du continent africain. Pourquoi est-il si difficile de changer le regard des Italiens sur l’Afrique ?

- L’Afrique est la plus grande opportunité qui se présente à l’Italie. Malheureusement, nous sommes victimes de décennies d’incuries et d’une approche parfois idéologique du continent africain, entre ceux qui considèrent l’Afrique comme une terre à conquérir et ceux qui la perçoivent comme un continent exploité par les multinationales. Ces deux extrêmes ont toujours décrit l’Afrique comme un lieu fascinant, d’un point de vue culturel, mais privé d’un réel potentiel économique. Au contraire, je reste persuadé que, dans les vingt prochaines années, l’Afrique sera à l’origine de bon nombre de phénomènes économiques. Il faut savoir miser sur les gouvernements capables d’obtenir des résultats concrets et dont les pays sont en pleine croissance économique, et ce, malgré une dépendance, encore très forte, à l’aide au développement. Ceci dit, l’Afrique reste un continent traversé par de profondes contradictions et l’opinion publique italienne est très divisée à ce sujet. Il serait bon d’élever le niveau des débats mais ce n’est pas facile. D’autant plus qu’il y a toujours un leader politique prêt à passer à la télévision pour dire « Aidons-les chez eux », tout en appartenant à un parti qui a contribué à réduire notre aide publique au développement, mais personne ne prête attention à ce genre de contradictions. Dès mon arrivée à la Présidence du Conseil, nous avons dit que l’Afrique serait prioritaire. Et ce n’est pas qu’un slogan : notre visite officielle à Tunis a précédé celle effectuée à Berlin ; j’ai été le premier dirigeant européen à me rendre au Caire, après l’arrivée au pouvoir du général Al-Sissi, et à lui donner notre confiance ; nous avons effectué des visites officielles au Mozambique, en Angola, au Kenya, au Congo-Brazzaville, des pays dans lesquels aucun président du Conseil italien ne s’était jamais rendu. Nous essayons d’expliquer, à nos compatriotes, que ce continent offre de grandes opportunités mais cela nécessite des années d’efforts ; il faut semer pour récolter et c’est ce que nous faisons. Aujourd’hui, l’Afrique est une priorité de la politique étrangère italienne.

 

- Quelles sont les régions géographiques stratégiques pour l’Italie ?

- Comme vous le savez, l’Italie a des liens historiques avec la Corne de l’Afrique mais, aujourd’hui, nous voulons écrire une nouvelle page de l’histoire des relations entre l’Italie et le continent africain. Nous avons renforcé notre présence dans les pays francophones et lusophones. Nous sommes ainsi très présents au  Maghreb, alors que notre présence est moins forte en Afrique de l’Ouest, et ce, malgré les nombreux projets de coopération, notamment au Sénégal ou, plus récemment, en Sierra Leone, dans le cadre de la lutte contre Ebola. Mais l’intensité des flux migratoires, la menace terroriste que représentent AQMI et Boko Haram et les risques liés à des fléaux comme Ebola ont changé notre regard. Nous avons tenu des rencontres bilatérales avec le Ghana et le Nigeria, un pays-clé qui poursuit son ascension économique, malgré les attaques terroristes. Ces risques ne doivent pas nous empêcher de saisir les opportunités, formidables, qui se présentent sur le continent africain. Et pas uniquement dans les secteurs  du pétrole et du gaz naturel mais, aussi, dans ceux de l’agroalimentaire et des énergies renouvelables.

 

- La concurrence est cependant très rude…

- Nous en sommes bien conscients mais prenez l’exemple de l’agroalimentaire. L’Italie possède un  potentiel énorme ; je pense, notamment, aux machines et à la distribution où nous sommes en mesure de rivaliser avec n’importe quel pays. Ce qui nous freine, sans doute, c’est l’absence d’un modèle d’investissement adapté à  l’Afrique et une certaine tendance à l’autodénigrement qui nous fait voir plus petits que nous le sommes en réalité. Ceci dit, face à des colosses comme la Chine, c’est un autre discours…

 

- A ce propos, les entreprises européennes se plaignent de perdre du terrain en Afrique, au bénéfice des  sociétés chinoises, car, contrairement à leurs concurrents chinois, brésiliens ou indiens, elles font face à des pressions, notamment concernant les droits de l’homme, le droit du travail, l’environnement. Qu’en pensez-vous ?

- Tout d’abord, je pense  que les droits de l’homme doivent être respectés et ce, indépendamment des principes directeurs de l’OCDE, si c’est à cela que vous faites allusion. Mais le problème que vous soulevez est très important et ne se limite pas à l’Afrique, bien au contraire. La concurrence, entre la Chine et les pays européens, se joue sur le fait que les Chinois se présentent sur les marchés avec une force de frappe financière supérieure à la nôtre et avec un projet cohérent, alors que les Européens misent sur la qualité. Maintenant, mettez-vous à la place d’un gouvernement africain qui veut investir dans les infrastructures. Il a le choix entre une entreprise qui propose une offre 20 % plus chère que son concurrent chinois – et aucun soutien financier – mais supérieure d’un point de vue qualitatif ; en face, vous avez un pays comme la Chine qui sera 20 % moins chère, avec, à la clé, 100% de financement. Voilà où se situe l’enjeu. L’Afrique est un continent où nous risquons de perdre d’importantes parts de marché mais on ne les conquiert pas en sacrifiant les droits, au contraire : l’unique moyen d’être durable, c’est d’éviter de telles pratiques. L’Éthiopie, par exemple, connaît un taux de croissance économique formidable mais le coût du travail y est très bas. Il augmentera, lentement mais sûrement, comme en Chine ou au Vietnam. D’ici dix ans, il y aura des centaines de millions de nouveaux consommateurs africains. Les entreprises italiennes doivent exporter des produits de qualité pour les consommateurs africains issus de la classe moyenne-aisée, déjà attirés par le made in Italy. C’est le marché de niche que nous devons viser ; il est inutile de copier le modèle du marché du travail de l’Espagne et des pays d’Europe de l’Est, semblable au modèle vietnamien. Il y a un an, mon gouvernement a restitué 80 euros par mois à plus de dix millions de contribuables italiens, afin de soutenir le consommateur moyen et d’éviter que l’Italie ne devienne un pays qui produit  à moindre coût. Nous devons concevoir des produits de haute gamme ou de gamme moyenne, destinés à une nouvelle génération de consommateurs. Aujourd’hui, ce type de consommateurs est peu fréquent en Éthiopie mais leur nombre devrait augmenter. Il y a vingt ans, nous produisions, pour le marché chinois, des produits à faible coût et, aujourd’hui, la Chine est le premier marché de la mode et du luxe.  Pareil scénario pourrait se produire en Afrique.

 

- Malheureusement, seule une minorité d’Africains profitent de la croissance économique du continent. Dans quelle mesure l’Italie peut-elle contribuer à réduire les inégalités sociales flagrantes qui persistent en Afrique ?

- Il est clair que le vrai défi qui se pose est la manière dont le modèle de développement africain réussira à réduire les inégalités qui persistent sur ce continent. Or ce pari est loin d’être gagné. Les raisons sont multiples. Tout d’abord, le fossé entre les  plus riches et les plus pauvres n’est pas l’apanage du continent africain : ce fléau touche toutes les régions de la planète. Mais, en Afrique, ce fossé est beaucoup plus criant qu’ailleurs. Le cœur du problème réside dans le fait que certains pays africains tirent des richesses de leurs matières premières, sans jamais réussir à éliminer les bidonvilles. Le défi est de savoir comment réduire les inégalités en Éthiopie, au Vietnam, en Angola. La culture, l’éducation, l’enseignement peuvent permettre de relever ce défi. Le sort de l’Afrique ne peut dépendre de  l’aide au développement ou des investissements ; en tout cas, pas uniquement. Il faut prendre en considération la dimension culturelle et investir dans le capital humain. Nous comptons y contribuer, en faisant, de l’Italie, un lieu de débats et d’échange sur le capital humain. Nous serons en première ligne de la lutte contre les injustices et les inégalités, c’est du devoir de la politique.

 

- Monsieur le Président, en Décembre prochain, le Monde se réunira, à Paris, pour tenter de parvenir à un nouvel accord international sur le climat. Quelles sont vos ambitions ?

- La Chine, le Brésil, l’Inde et, dans une moindre mesure, les États-Unis sont dotés de normes environnementales moins strictes que l’Union européenne. Nous constatons une augmentation générale des émissions de CO2, une tendance que les règles européennes rigides ne parviennent pas à inverser. Pire, cette réglementation appauvrit l’Europe, tout en renforçant les autres pays qui continuent à polluer. C’est un défi sur lequel l’Italie s’engagera fortement, de Septembre jusqu’à la Conférence de Paris en Décembre, au même titre qu’ENI. Ce sera loin d’être facile. La Chine atteindra son niveau maximal d’émissions de CO2 en 2030, alors que les Européens poursuivront leurs efforts pour diminuer les leurs. C’est un vrai problème.

 

Interview réalisée par Joshua Massarenti

© Le Calame (Mauritanie), Sud Quotidien (Sénégal), Les Echos (Mali), Le Courrier (Niger), Mutations (Cameroun), L’Autre Quotidien (Bénin), Le Confident (République Centrafricaine), Addis Fortune (Ethiopie) et Afronline.org (Italie).