A l’Avocat et procureur en même temps

9 August, 2015 - 01:10

Le début de ce mois de vacances nous met dans un état de désœuvrement volontaire durant lequel on ressasse dans sa tête les couacs de sa vie active durant  les mois antérieurs, mais aussi ses points jugés importants. Malgré le repos, on devient tout à coup victime d’un léger anonymat et d’une inaction certes limités dans le temps. Et, soudain, en faisant ma visite des sites d’informations,  j’ai été interpellé, comme il m’arrive de l’être de temps à autre, par une réplique signée par un certain Maître Takioullah Eidde en réponse au Colonel (ER) Oumar Ould Beibecar. Lequel juge la dénomination officielle du nouvel aéroport, encore en chantier,  comme inappropriée, et justifiant son opinion par des données historiques.

       Notre respecté avocat, et procureur en même temps, – car il signait ses sorties médiatiques, il n’y a pas longtemps, par cette dualité dénominative tout de même pompeuse et bizarre, et qu’il a changé récemment depuis son exil canadien – sauta sur l’occasion pour déverser sa haine sur toute une région. En l’occurrence le Trarza. Comme qui dirait j’étais disposé et l’occasion s’est présentée. Pêchant ainsi dans les eaux troubles des marécages de la valorisation d’une région au détriment d’une autre. Réveillant du coup, par ailleurs, les frustrations de la guerre du Sahara dont le souvenir, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, est encore vivace dans la conscience nationale et celle des ayant droits de ses victimes. 

        D’aucuns penseront, tout de suite, que ma réaction est dictée par le fait que notre « en même temps » ait eu à s’attaquer au défunt Emir Mohamed Vall Ould Oumeir. Ce que je reconnais parfaitement. Mais aussi toucher au défunt, et non moins  notre Cheikh Baba Ould Cheikh Sidiya, mais aussi, et pourquoi pas, à l’ancien président Mokhtar Ould Daddah ne nous laisse pas indifférent. Sur ce point, en particulier, je reviendrai plus loin. 

Dans un registre plus général et large, et dans un contexte de déliement de l’expression, je ne me dérobe pas, là  aussi. Car, il est question d’une région mal aimée et qui a tout donné. Allez savoir pourquoi.C’est « beaucoup de blanc » pour paraphraser l’adage local bien de chez nous, mais corroboré par le fait que c’est par la plume et la voix  que l’on réplique en ces temps de construction étatique et d’observation du légal. Dés lors que l’excès de pudeur et de dépassement relèvent plus de nos jours de l’incompris, voire de faiblesse, que d’être des critères, comme il n’y a pas longtemps, valorisants. 

       Par ailleurs, je ne veux, et ne vais pas verser dans un débat manichéen étant entendu que rien ne pourra changer l’Histoire. Dans ce domaine l’égocentrisme et l’exil n’y peuvent rien. Les écrits et la tradition orale  de nos ancêtres et  contemporains sont là et bien datées. Le Procureur que vous êtes peut désigner une commission rogatoire sui generis pour en savoir plus. L’interdépendance socio-politique et guerrière, entre le nord de Blad El Bidhan et son Sud, -  qui servira d’assise géographique, je le précise, à l'actuelle Mauritanie - connut plusieurs variantes. Tantôt belliqueuses, revanchardes de part et  d’autre, tantôt marquées par des alliances de circonstances, et là je pense au rôle de Sid’Ahmed Laroussi lors de la conquête du Trarza par Ahmed Ben Daman en 1632. Je pense, également, à l’appui logistique important que Les Tekna, en particulier les Zirguiyyine, apportèrent – sur instruction du Sultan Moulay Ismail– au profit de la Mhalla qui revint avec l’Emir Ely Shandhora sur le chemin du retour de Meknès vers son Trarza mauritanien. Cet appui eut même comme effet, et par reconnaissance, l’envoi annuel d’un chameau de selle au profit de cette tribu du Ouad Noun. Je pense, aussi, aux représailles, faites en commun,  diligentées par la colonne Mouret, en 1912,  contre la Zaouia de Cheikh Melainine à Smara. Les restes du site seront redécouverts plus tard,au début des années 1930, par le français De Vieuchange.

      Cela dit, je m’en vais voir, successivement, le cas du défunt Cheikh Baba, de l’ancien président Mokhtar Ould Daddah pour terminer avec l’émir Mohamed Vall. A travers ces trois points, je vous donnerai l’occasion « d’ordonner une instruction » portant sur ma propre personne. Ce sera un honneur de voir votre éternelle cravate couleur sang dans le sens d’une réponse à cet écrit. Ne laissez rien ou la main ne passe et repasse comme dit La Fontaine. Soyez rassuré, au Trarza on n’est pas assez bavards, et aucune réponse ne vous sera adressée. Là, je m’arroge ce dépassement.

I. Le cas de la Fetwa du Cheikh Baba

  Parmi sa descendance, vous  ne manquerez pas de trouver la personne, capable de le défendre d’abord, et qui saura vous entrainer sur le terrain des sources scripturaires de cette fetwa, et par delà celle-ci, il vous permettra d’avoir accès à un certain nombre d’éléments combien nécessaires à « la tranquillité de l’âme » comme dit Sénèque ( stoïciste romain de l’an 4 av. J.C. ) Je ne prétends nullement vouloir lui donner une explication académique. Je crois qu’il serait d’un grand intérêt que vous débattiez de cette question, urbi et orbi, avec la personne, qui reste à désigner, de cette question. Le spectacle sera digne d’être vu.

    La notoriété du Cheikh Baba au Trarza, qui n’est qu’un ascendant de son auguste père Cheikh Sidiya El Kébir, est importante et il sut garder une influence sur les détenteurs du pouvoir temporel, ou en tout sur la branche familiale qui sut le détenir longtemps au Trarza. Les historiens me comprendront. 

       Le paradoxe le plus significatif, dans ce contexte de spiritualité mais aussi de politique, est souligné par les incursions de l’Emir Mohamed Lehbib en vue de repousser, tant soit peu, l’avancée coloniale, vers les cinquante dernières années du XIXe siècle, qui plus atteignit la rive gauche du fleuve. Cinq ans après la pénétration coloniale,  le 28 novembre1908, l’histoire de la résistance à Legoueichichi au Trarza est sans équivoques. Je ne vous apprends rien peut être. Cette date ne serait-elle pas choisie, quelques années après,  pour symboliser celle de l’indépendance nationale ?  

      Peut-être vous n’ignorez pas que le premier contact entre le colon français  et le Blad El Bidhan commença  par l’Est vers la fin du XIXe siècle. A une époque où cette région du territoire faisait partie du Soudan français, actuel Mali, avant qu’elle soit rattachée par le même colon à partir des années 1940, pour mieux circonscrire la révolte Hamalliste, au reste du territoire mauritanien. En reconnaissant, toutefois, que la pénétration, proprement dite, eut lieu à partir du fleuve Sénégal.  

     Ce qu’il y a lieu de retenir, c’est la parfaite cohésion entre les deux CheikhsSidiya et Baba,d’une part et les détenteurs du pouvoir temporel d’autre part. Les uns avaient su comprendre les autres dans leur dissidence, mais aussi ils surent les recevoir lors de leur ralliement au colon, à partir des années 1910 (cf. Gouraud. La Pénétration coloniale.) A ce stade, le lien spirituel et affectif qui liait, également,  les uns aux autres ne put contenir une avancée coloniale inéluctable. Et il lui faudrait bien une porte d’entrée. Déjà l’Espagne tente de préparer l’occupation du Sahara, entamée dés la fin du XIXesiècle (Rio de Oro et Oued Eddahab), territoire qui sera dépecé en partage entre la Mauritanie et le Royaume du Maroc, au milieu des années 1975. Pour connaitre la conquête totale de ce dernier à l’issue de l’accord de paix, du 05 aout 1979, entre la Mauritanie et le Polisario.  

II. L’ancien Président Mokhtar Ould Daddah

     D’abord, relativisons un peu les choses car, le domaine politique n’e saurait être propice, et même incapable d’accepter, les errements à caractère sentimental et nostalgique. Machiavel sut le comprendre assez tôt, auprès de la dynastie des Médicis, dés le XVI e siècle. Jetant ainsi la base de ce qui est devenu, cinq siècles plutard, la Science politique. Ceci pour dire que je m’inscris en faux contre la facilité avec laquelle on fustige l’entrée en guerre du régime de Mokhtar Ould Daddah au Sahara. Il avait  ses propres raisons, ses calculs politiques, en tant que responsable de la souveraineté d’un pays. Pourquoi avait il révisé les accords avec la France en 1972 ? Pourquoi a-t-il nationalisé la MIFERMA ? Pourquoi la création de la monnaie nationale en 1973 ? Pourquoi pas, justement, une guerre au Sahara, jugé terra nullius par la Cour de justice de La Haye en 1975 ? Pourquoi ne pasmontrer, sur le plan politique et géostratégique, que son Etat était en mesure de mener une guerre ? Les militaires qui l’avaient renversé avaient aussi leursmotivations. Mais, quoi qu’il en soit,  le Sahara demeure un territoire comme un autre, et rien ne peut le prémunir d’une guerre. Elle s’est passée et n’incriminons pas, à tout va, l’élite qui l’avait initiée. La paix aussi pouvait se passer, mais pas à n’importe quel prix, dixit Feu Colonel Bouceif.

     Monsieur Eidde, je crois que vous êtes encore obnubilé par ce passé récent de notre vie nationale. Je ne connais rien de votre parcours politique. Encore moins de votre passé. Avez-vous quitté Zouératt, au début des hostilités, pour le Canada ? Le Maroc vous a une fois capturé et vous avez échappé belle ? En tout cas, il revient toujours, en leitmotiv, cette hantise qui vous trahit : la guerre du sahara, le Maroc. Un peu à l’image de la comédie parodiant l’émission « question pour un champion.» Le fou candidat répond en criant, dés qu’on lui pose une question : Stéphanie de Monaco !

 

III. L’Emir Mohamed Vall Ould Oumeir

      Dans un article intitulé «  Les dirigeants politiques des années 1960 n’avaient pas le monopole du nationalisme », paru sur le site CRIDEM du 02 février 2010, j’avais expliqué que l’on ne doit pas, là aussi, aller vite en besogne. Justifiant cela par le fait que la Mauritanie avant son indépendance avait bien une élite assez mûre et non détachée du contexte politique de l’époque. Les négro-africains penchaient vers l’africanité et le flanc sud du pays, la Nahda, quant à elle, militait pour le panarabisme. Le régime embryonnaire de Mokhtar Ould Daddah avait le soutien de la métropole. Donc, ce sont là des orientations, assez légitimes du reste, comme à un carrefour, de recherche d’un ancrage existentiel politique et institutionnel.

     Avant d’entrer dans les détails, je vous invite à consulter ma thèse de doctorat (Histoire du Pouvoir politique mauritanien : du XVIIe siècle à l’émergence de l’Etat moderne) au fichier de Nanterre,  soutenue à l’Université Montesquieu IV de Bordeaux,  en date du 19 janvier 2005. D’autres paramètres d’analyses, en rapport avec ce point, y figurent et qui débordent du cadre limitatif de ce billet.

      Pour revenir à l’Emir, il fut député à l’Assemblée territoriale, et des rapports de renseignement militaires français, que vous pouvez également consulter aux Archives nationales du Sénégal, dénotent sa mise à l’écart programmé du projet de construction parrainé par la Loi Deferre de 1956. Tout comme l’avait été le petit fils de Cheikh Sidiya, Souleiman.

Ces mêmes rapports évoquent des éditions d’un journal égyptien qu’il recevait, de façon assidue, dés le milieu des années 1940. Vous n’avez plus besoin d’un dessin. L’Emir était un fervent panarabe. L’Egypte du Colonel Nasser avait été son premier point de chute. Peu après, il regagna le Maroc avec ses compagnons. 

      Ils furent, bien entendu, entourés de tous les égards de la part du défunt  Roi Mohammed V mais aussi par les dirigeants du Mouvement national sous la houlette de Allal El Fassi. Ils avaient leur credo politique de confédération arabe, et Nasser leur conseilla le Maroc comme étant le plus proche de la Mauritanie, leur pays. Thèse qu’ils défendirent devant tous les forums internationaux.  

    Mais le plus important à retenir, à cet effet, et vous n’êtes pas obligé de me croire est le suivant : durant leur existence au Royaume, beaucoup de dissensions étaient apparues. Elles avaient porté, entre autres, fortjustement et contrairement à ce que vous avancez, sur les moyens de lutte politique. Pour votre gouverne, l’Emir parraina une aile qui milite, justement, contre l’usage de la violence contre le territoire mauritanien. L’autre aile, dont je tairais les noms de ses dirigeants mauritaniens, par pudeur et par manque de cravate rouge dans tout le Trarza, milita bel et bien pour l’action violente (Nema en 1960, assassinats et autres.) Ces dissensions quant à l’attitude à l’encontre du territoire mauritanien, pas encore indépendant, conduisirent à l’arbitrage même du défunt Roi Hassan II. Heureusement que des témoins,  encore vivants, l’un acteur et d’autres sympathisants de l’époque, peuvent être consultés à ce sujet : j’ai nommé Mohamed El Mokhtar Ould Bah, Mr Ahhmed Baba Ould Ahmed Miske, et Mohamed El Hanchi Ould Mohamed Salih. Prenez le soin de les consulter. 

     Son retour, en 1963 avec ses compagnons, le plus simplement du monde est éloquent quant à l’attachement à leur patrie. Empruntant un vol régulier, ils se soumirent, joyeusement, aux contraintes sécuritaires de rigueur (Voir Mohamedhen Ould Babbah, il se trouvait, en ce jour, de mars 1963 dans le vol. Il partit aussitôt prévenir le Président Mokhtar qui ignorait tout de leur arrivée. Et l’ouvrage, en langue arabe, de Sid’Amar Ould Cheikhna, Mouritania El Mouassir2010.).) Pourquoi ne finirent ils pas leurs jours au Royaume ? Pourquoi le défunt Roi Hassan II manifesta au correspondant du journal Le Monde, en 1960, l’anachronisme des prétentions d’Allal El Fassi sur la Mauritanie (Cf. Thèse, op. cit.) ? Tout cela pour vous dire que leur vision était dictée plus par des motifs de confédération que d’être ceux d’absorption, comme vous le prétendez. Reconnaissant l’existence de l’Etat, et sans illusions, ils se plièrent devant le fait accompli. La cabale médiatico politique monté contre eux en 1963 par la cellule Foccart de l’Elysée était venue sans nul doute précipiter sa mort en détention à Dakar (Voir, à cet égard, les Mémoires, « Croire et oser », en deux tomes, de Jean François Deniau, Ambassadeur de France à Nouakchott de 1963 à 1968. Et  le témoignage d’une victime de cette cabale, et des procès politiques après la mort de l’Emir en 1965, du nom d’El Madani Ahmed Essoubai est aussi capitale. L’intéressé travaille à l’office du patronnat mauritanien. Voir l’ouvrage de Mohamed Ould Cheikh, sous le pseudonyme de Hamid Al MouritaniyyiL’indépendance néo coloniale, éditions six continents, Paris 1970, préfacépar Mr Ahmed Baba Ould Ahmed Miske.)

  

        Enfin, Monsieur Eidde, je m’excuse du peu. Je suis, quant à moi avocat et nullement procureur. Profession que j’exerce à mes heures perdues, à défaut d’une fonction publique officielle. Je ne pus empêcher mon bureau d’être poussiéreux : sans nul doute à cause de notre harmattan et brise marine terrouzienne. Ce dont je me réjouis. Restons modestes.

   Ce tableau ne vous dit rien peut être. Vous préférez certainement, a contrario, le « Souper presque parfait : cuisines du monde » organisée par la chaîne canadienne V.TV dont vous dites avoir été l’avocat.

                                                                              Monsieur Sidi Mohamed Ould SIDI