Notre pays face à la mondialisation/ Cheikh Ahmed ould Mohamed

13 March, 2024 - 16:25

 La mondialisation suscite de nombreuses controverses. De nombreux penseurs dans les domaines de la philosophie, de la culture, de la sociologie et de la politique s’emploient à surveiller le phénomène et tenter d'en étudier les effets sur l'individu et le groupe. La mondialisation a suivi le rythme des développements scientifiques et techniques, intégrant tous les humains dans un même village, sans considération de frontières et de séparations entre les pays et les sociétés, sous le contrôle de la civilisation occidentale. Cette influence a mélangé les données intellectuelles, culturelles, politiques et économiques, dans le but de contenir ses effets sur les pays les moins développés.

La manifestation la plus dangereuse de ce confinement est qu’il exerce une influence directe sur la formation de la pensée et la construction des valeurs et des comportements. Cela implique de se méfier de ses conséquences sur la vie sociale et l’identité des personnes en ce qu’elles poussent celles-ci à perdre toutes leurs références traditionnelles et à parier sur d’hypothétiques variables futuristes dont nous ne connaissons ni les implications ni, évidemment, les résultats.

Cette situation ambiguë a conduit certains chercheurs à affirmer que la mondialisation n'est qu'un concept qui ne renvoie à rien de concret, mais plutôt à une interprétation d'un processus sociétal global. Même si cela ajoute plus de difficultés et de complexité à cette situation et quels que soient les aspects positifs engendrés par la mondialisation, posons-nous donc une question d’importance : est-il légitime de s'interroger sur ses aspects négatifs qui pourraient affecter notre pays ? De fait, la culture mondialisée tente de se trouver des centres publics dans l’espace afin de s’affirmer en termes de souveraineté, propagation et enracinement. À quels défis notre pays est-il alors confronté ? Comment notre culture et l’identité authentique qu’elle porte peuvent-elles suivre le rythme des nouvelles valeurs portées par cette autre culture victorieuse ?

Parce que les conséquences de la mondialisation s’inscrivent au cœur des préoccupations quotidiennes, il importe d’en saisir les tenants et aboutissants. L’interdépendance des pays et des régions, des organisations publiques et privées et des citoyens de la planète n’est plus à démontrer ; notre société évolue sous l’influence de ces interactions à la fois multiples et globales. On peut ici distinguer quatre défis posés à la société mauritanienne. Elles tout d’abord affectée sur le plan économique avec la réalisation d’un marché gagnant-gagnant, des chaînes de valeur ajoutées toujours plus intégrées, la transition démographique, l’essoufflement du modèle industriel occidental et la concurrence régionale.

 

 

Penser le développement économique

Sur le plan environnemental, la gestion durable des ressources, la transition vers une économie verte, les effets des énergies fossiles et des procédures plus exigeantes d’évaluation des risques révèlent autant d’opportunités que de menaces pour notre pays. En ce qui concerne la sécurité, l’instabilité politique sous-régionale, les menaces terroristes connues et à venir, la lutte contre la pauvreté, la géopolitique des ressources naturelles et les conflits idéologiques constituent des risques non financiers considérables et des sources d’inquiétude pour le gouvernement. Quant au plan politique, penser le développement économique sur le long terme amène à chercher de nouveaux équilibres entre une dynamique d’innovation impérative en matière de politiques publiques (règlementation, fiscalité, investissement…) et les préférences légitimes des citoyens.

Dans cet esprit, il est de mon devoir de proposer aux autorités un plan d’intervention publique, de formation et d’animation guidés par plusieurs objectifs : sensibiliser les citoyens aux défis de la mondialisation en élargissant les horizons et en élevant le niveau du débat public ; former une nouvelle génération de spécialistes de l’international, qu’ils soient chercheurs ou praticiens ; innover en s’inspirant de l’expérience des autres pays et en diffusant le savoir sur différentes plateformes physiques et numériques ; favoriser les échanges entre les chercheurs, les journalistes, les gens d’affaires, les décideurs et le grand public.                                                                                                                                                       

Parmi les défis actuels auxquels sont confrontés notre pays, le plus préoccupant est sans doute celui de répartir équitablement les gains et de rétablir les déséquilibres causés par la mondialisation.  L’ouverture des marchés entraîne des bénéfices et des pertes qui se répercutent sur les populations et appellent à des transformations sociales. Il faut donc trouver comment redistribuer les richesses qui découlent de la libéralisation économique, afin de soutenir ceux qui sont en position de fragilité. En ce sens, l’État doit gérer les contrecoups par des mesures compensatoires envers les individus lésés et tenter de prévenir la répétition de ces dols. Ce travail devrait être au cœur des préoccupations de notre gouvernement et de tous les partis politiques…

Pour l’heure, il ne s’agit pas de distinguer les causes des mutations observées ni de proposer une solution unique. L’analyse qui suit tente plutôt de mettre en lumière la nécessité – malgré la complexité que cela engendre… – d’élaborer des politiques économiques et commerciales cohérentes avec les politiques sociales et de l’emploi.  On s’interrogera donc sur la façon dont notre pays peut maîtriser les conséquences de l’accélération du processus d’intégration de notre société dans la mondialisation, en l’examinant à travers l’un des secteurs les plus importants de son développement économique, celui de l’emploi et du travail. En constante mutation, en continuelle adaptation, en pleine concurrence, c’est ainsi que l’on peut qualifier le marché du travail. Les manifestations de la mondialisation sont perceptibles à plusieurs égards sur l’emploi : la mobilité des travailleurs en matière  d’immigration vers notre pays s’est accentuée, la délocalisation des opérations des firmes a été grandement facilitée et les évolutions technologiques ont fait diminuer le besoin de main d’œuvre nécessaire pour une tâche particulière.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            

 

Mesures préventives

Outre les mesures d’ajustement visant à d’aider les individus défavorisés par les distorsions commerciales, notre pays doit également agir en amont pour prévenir les déséquilibres causés par l’environnement commercial international. Certaines voies peuvent être priorisées puisqu’elles sont rentables, dans un horizon à plus long terme. Bien que le retour au protectionnisme commercial puisse être envisagé, cette solution n’est pas souhaitable. Le repli et la résistance de notre pays ne sont pas les meilleurs moyens de se prémunir contre les aléas des marchés dans un monde où l’ouverture est gage de progrès. Il faut donc trouver une voie qui réponde aux préoccupations des individus et qui ne fasse pas obstacle aux échanges. Une politique commerciale alliée à une politique sociale défendant les travailleurs plutôt que les frontières pourrait ici s’avérer efficace. N’entravant pas les relations commerciales entre les États et le secteur privé, cette forme de protection serait donc plus acceptable, au regard des accords commerciaux.

Ce protectionnisme social passe notamment par des mesures atténuant l’impact de la mondialisation sur l’économie. Il s’agirait donc d’élaborer une stratégie qui harmonise les politiques de ces différents domaines. Pour que la division du travail soit bénéfique face à la mondialisation, notre gouvernement doit effectuer un redéploiement de la main d’œuvre, des secteurs qui ne sont plus compétitifs vers des secteurs performants. Ce déplacement des travailleurs demande, d’une part, que soit facilitée la mobilité des individus et, d’autre part, que ceux-ci bénéficient d’outils permettant une mise à niveau de leurs connaissances et compétences pour intégrer des emplois exigeant souvent plus de qualifications. Il faut en ce sens opter pour une approche centrée sur l’individu. 

S’ajoute à cela l’investissement en recherche, développement et innovation pour permettre à notre société de se démarquer des économies centrées sur la fabrication plutôt que sur le savoir. Stimuler l’emploi spécialisé et les activités de recherche et développement est devenu une voie incontournable par laquelle doit passer notre pays pour assurer son développement économique. L’investissement dans ces activités peut se traduire par des mesures encourageant les entreprises à réinvestir les profits des échanges commerciaux internationaux.

Enfin, notre pays a opté d’inscrire son évolution dans le cadre d’une démocratie conforme au modèle de société moderniste auquel aspire notre peuple. La Mauritanie doit ainsi relever l’ensemble des défis posés par une mondialisation qui favorise l’expression conflictuelle des intérêts contradictoires et amplifie les revendications sociales. Il s’agit là d’une mutation de grande amplitude qui implique une volonté politique de longue haleine dans laquelle s’inscrivent, d’ores et déjà aujourd’hui, les orientations prises par le gouvernement. L’économie mauritanienne est sur la bonne voie.  Tous les indicateurs   de performance en termes de stabilité macroéconomique, d’investissement, de croissance et d’emploi semblent présenter l’avenir sous de bons auspices et engagent les partenaires économiques et sociaux à l’aborder avec moins de morosité et de frilosité. Certes et comme dans tout projet de société à venir, des aléas toujours possibles peuvent perturber les conjonctures les plus favorables, surtout en ce monde dominé par les conflits géostratégiques : envolée des prix de l’énergie et des produits alimentaires, multiplication des foyers de tensions, voire de guerres plus ou moins localisées, etc. Le risque zéro n'existe en nul domaine. Les enjeux extérieurs et le projet sociétal face à la mondialisation que sous-tendent les efforts de développement économique et social exigent pourtant des opérateurs politiques et économiques réellement capables de s'inscrire dans des démarches anticipatives privilégiant le long terme et l'intérêt de la collectivité nationale sur le court terme et les intérêts catégoriels, voire politiciens. C’est un domaine où notre pays peut être considéré encore à la croisée des chemins.

 

Cheikh Ahmed ould Mohamed

Ingénieur

Chef du service Études et développement

Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)