Un dialogue, pourquoi ? Par Maître Mine Abdoullah, Avocat à la Cour

18 February, 2024 - 10:58

Depuis le 21 Septembre 2023, un Pacte Républicain, avec une Annexe à 18 Points, a été signé par INSAF (parti au pouvoir), RFD et UFP (partis de l’opposition) et le Ministre de l’Intérieur. Mais, 5 mois plus tard, le dialogue n’arrive pas à commencer, plusieurs partis de l’opposition (aussi bien ceux représentés au Parlement que ceux non encore reconnus) freinent des quatre fers, certains estimant ne pas être rassurés et d’autres, non contents de la forme (même s’ils sont d’accord sur le fond), suggèrent une autre démarche pour envisager tout dialogue avec le pouvoir. Cette situation où l’opposition censée demander le dialogue traîne des pieds, est symptomatique des rapports entre le pouvoir et ses contempteurs.

Alors même que la nécessité du dialogue s’avère un impératif, eu égard aux défis de tous ordres mais aussi aux problématiques liées à l’unité nationale et la cohésion sociale, il est particulièrement étonnant que les acteurs politiques peinent à se retrouver autour d’une table.

Rien que l’agitation que connaît le monde justifie que le climat politique soit apaisé (guerre Ukraine-Russie ; Offensive sioniste à Gaza avec son lot de milliers de morts et de destruction d’infrastructures ; putschs en Guinée, au Mali, Burkina, Niger, Gabon ; tentative de déstabilisation en Guinée-Bissau, Gambie, Serra Leone ; remous au Sénégal dans le sillage du report au 15 Décembre 2024 de la présidentielle initialement prévue le 25 Février 2024…).

Le dialogue étant l’outil le plus approprié pour pacifier l’espace public et les 18 Points de l’Annexe du Pacte Républicain étant assez suffisants (même s’ils peuvent faire l’objet de clarification et d’amendements), l’opportunité qu’il offre ne doit pas être ratée car les problématiques et problèmes à débattre ne manquent guère, à commencer par le Vivre ensemble, le problème de la gouvernance, la gestion des élections, les langues nationales, le passif humanitaire, l’esclavage et ses séquelles, l’enrôlement, l’insécurité intérieure et aux frontières, l’immi(émi)gration, etc.

 

Le dialogue, un moyen et une fin

Cette fenêtre qu’est le dialogue est à la fois un moyen et une fin pour confronter les idées, bousculer les habitudes, les inerties et l’immobilisme qui marquent la vie politique du pays, prioriser l’analyse et la réflexion sur les objectifs à atteindre, les stratégies à adopter et les potentialités devant être mobilisées, en particulier le capital humain.

En plus d’être un remède, le dialogue prémunit contre les risques des lendemains incertains, les sujets à débattre devant déboucher sur des résultats qui permettent, demain, une meilleure connaissance pour le peuple de la direction qu’emprunte le pays, la vision politique de ceux qui gouvernent, les mesures à prendre pour trouver des solutions aux divers problèmes structurels et des problématiques qui perdurent.

Les attentes sont nombreuses et revêtent, toutes, un caractère d’urgence. Ces attentes ne sont autres que les actes et actions qui renforcent la démocratie, assoient l’État de droit dans toute sa splendeur et contribuent au bien-être social, économique et culturel des populations. Bien entendu, ces attentes devraient transcender le simple formalisme des textes pour épouser les courbes de la réalité de tous les jours, car les notions d’égalité, de justice, d’équité, de développement seraient creuses si dans les faits le peuple n’en ressent pas le bénéfice et  les retombées à court terme.

Le dialogue se doit aussi d’inscrire dans ses thèmes les moyens de raffermir le sentiment d’appartenir à une seule nation, la culture patriotique, le vivre ensemble, l’apport de tous pour le façonnement d’un pays réellement indépendant, prospère et stable culturellement, socialement et politiquement. A ce titre, le parcours des Mouraboutine de football lors de la CAN 2024 en Côte d’Ivoire constitue un excellent exemple d’une Mauritanie plurielle.

Autant ce dialogue doit aborder, sans tabou ni langue de bois, tous les sujets qui préoccupent les Mauritanie, autant il doit être inclusif et ouvert ; ses conclusions devront être prises en compte et mises en œuvre par qui-de-droit.

 

Le mal qui nous gangrène

Nonobstant les Points de l’Annexe du Pacte Républicain, le dialogue devra porter, de façon non exhaustive et non limitative, sur la Loi fondamentale (Constitution), les modifications qui pourraient lui être apportées et toute réforme institutionnelle opportune. Les thèmes d’importance doivent être traités en profondeur. C’est le cas de l’unité nationale ternie par des passifs non encore définitivement soldés (aussi bien humanitaire qu’économique), l’esclavage (et ses séquelles) ou le système éducatif inadapté et les multiples réformes n’ayant jusque-là pas apporté de solution tangible. Ce système, qui manque d’uniformisation, contribue à la division des citoyens : écoles privées pour les riches et école publique pour les pauvres. Aujourd’hui, malheureusement, le manque de niveau est tel qu’on assiste à un nivellement aussi bien par le haut que par le bas. Et la place des langues nationales dont un projet de loi est déjà rédigé ne semble pas mettre d’accord tout le monde.

La lutte contre l’extrémisme (qu’il soit religieux ou autre) doit être renforcée et une attention particulière doit être portée à la justice dont l’indépendance est sujette à caution et elle souffre de plusieurs autres maux : lenteur, difficulté d’exécution des décisions, manque de spécialisation, garantie de l’égalité de traitement de tous, trafic d’influence, favoritisme.

La situation de l’administration est toujours un sujet de préoccupation : elle est malade et a besoin d’un diagnostic sous forme d’inventaire de tous les maux qui rongent ce corps métastasé, lequel diagnostic révélera sûrement le laisser-aller, les atermoiements et les fausses thérapies du passé. Le mal s’est enraciné ; mieux, il a généré une vraie gangrène qui a comme noms la gabegie, la corruption, la démotivation, le sureffectif, le gaspillage, l’absentéisme, l’hyper centralisation, l’inefficacité des contrôles existants, le népotisme, la lenteur, l’opacité, l’autoritarisme, l’absence d’évaluation.

Aussi, il est attendu du dialogue tant souhaité une meilleure prise en compte de la société civile qui doit être perçue comme un partenaire devant être associé à l’animation de la vie nationale car elle joue un rôle de veille et d’éveil ; elle est une sentinelle de défense des droits et de la démocratie qui considère que l’homme est l’alpha et l’oméga, le moyen et la fin de tout processus. Le moment venu, la société civile peut apporter à ce dialogue une précieuse contribution, puisque censée se tenir à égale distance des antagonistes.

Sur le plan de la gestion des élections, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) doit être recomposée de façon consensuelle.

 

Pour une démocratie apaisée

Quant à la bonne gouvernance, la nécessite s’impose d’adopter et mettre en place un mécanisme, notamment, une institution dédiée au recouvrement des biens spoliés et/ou mal acquis ainsi que la lutte sans merci contre la corruption.

Quoiqu’il en soit, le dialogue espéré doit aboutir à l’adoption d’une feuille de route consensuelle qui fixe les bases d’une démocratie apaisée, d’un climat social serein et d’une coexistence pacifique, car la Mauritanie nouvelle qu’on veut bâtir passe nécessairement par l’instauration d’un dialogue ouvert, inclusif et élargi à toutes les familles politiques, dans le respect de l’opinion et des choix de chacun afin de préserver le pays de l’appel des mauvaises sirènes ; ce qui suppose la rupture avec l’étroitesse d’esprit, le chauvinisme, l’esprit du clan ou de la tribu. Cela suppose surtout l’ouverture, la tolérance, l’acceptation de l’autre, avec comme priorité la solution aux problèmes cruciaux que connaît le pays.

Le dialogue espéré devrait poser les jalons d’une stabilité ne devant pas se résumer à la seule absence de troubles, de coups d’État mais plutôt une stabilité où la bonne santé des populations est une priorité, l’instruction est dispensée à tous, que tous disposent d’eau potable, d’électricité, de nourriture décente ; où l’homme jouit du respect, est vêtu et bien logé dans un État de droit garant du devenir de tous et de tout un chacun.

Enfin, il est important de souligner que l’image que se font les citoyens des politiques est assez écornée, l’élite étant perçue par l’opinion comme une horde d’égoïstes et d’assoiffés de privilèges et de prébendes. Il est reproché à cette élite, à quelques exceptions, son déphasage avec les réalités, et d’être peu ancrée dans son milieu social. On l’accuse d’être adepte des combines et des combinaisons dans le lucre, au point que cette classe dirigeante inspire peu confiance car, hormis les discours creux, nos « cadres » se distinguent plus dans les faits divers que dans les débats de réflexion, de création et de promotion de l’excellence. Leur béni-oui-ouisme a fini de faire d’eux les zélateurs de tous les pouvoirs. Or, l’opinion ne peut plus accepter la gouvernance de l’à-peu-près et la gestion patrimoniale. C’est donc de bon droit que les citoyens, preneurs d’un dialogue entre les acteurs politiques, ne sauraient accepter comme résultats dudit dialogue des ententes tacites qui ne seraient dans l’intérêt général ou des réformes superficielles ou des rafistolages…

Et pour conclure, les parties (pouvoir et opposition) se doivent de faire preuve de dépassement, de responsabilité pour aller dialogue, avec l’espoir que les résultats qui en sortiront soient à la hauteur des attentes car il ne servirait à rien que les protagonistes, versent dans l’entêtement, la contestation permanente, les voies sans issue de la part de l’opposition et le passage en force du pouvoir.

La démocratie et l’Etat de droit ne sauraient progresser, s’enraciner sans un dialogue fécond et des consensus forts.