M. Samba Thiam président des Forces Progressistes du Changement (FPC) : ‘’Ceux qui nous gouvernent ne sont, manifestement, pas encore ouverts à l’instauration d’un Etat de droit’’

24 January, 2024 - 16:26

Le Calame : Nous sommes à quelques mois de la prochaine présidentielle, on n’entend pas l’opposition se positionner ; elle est presque inaudible. Ce n’est pas votre constat ? Y’aurait-il une chance pour l’opposition puisse se choisir un candidat unique ?

 

Samba Thiam : C’est vrai, hélas, que nous de l’opposition, sommes à peine audibles ces derniers temps. Mais, bon, il ne faut peut-être pas non plus désespérer. Je crois que nous essayons de nous ressaisir, même si le déficit de confiance, encore perceptible, ne facilite pas tellement les choses.  Mais espérons ensemble, car tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir, dit l’adage.

 

Certains disent que le président est déjà en campagne ; que vous inspirent ces visites présidentielles ? La présidentielle de mai serai-t-elle déjà pliée ?

-Effectivement ces visites menées au pas de charge ont tout l’air d’une campagne, avant l’heure ! Mais si la présidentielle semble déjà pliée, comme vous l’insinuiez, ce serait bien moins par l’intérêt que suscitent ces visites auprès des populations que par le morcellement, la division de l’Opposition, encore incapable de peser en parlant d’une même voix !

 

-Un pacte républicain est signé depuis quelques mois entre deux partis de l’opposition, le RFD et l’UFP, d’une part et le parti INSAF, principal parti de la majorité présidentielle, d’autre part. Ce document a été désavoué par le reste de l’opposition, mais les signataires continuent à espérer le ralliement des autres partis de l’opposition. Qu’en pensez-vous ? A quelles conditions les FPC pourraient-elles rallier de pacte ? Que reprochez-vous à ce pacte censé régler des problèmes du pays ?

-On ne peut pas empêcher les porteurs du projet d’espérer rallier des fractions de l’opposition à leur initiative. Mais, s’ils acceptaient de marquer un temps d’arrêt et de le consacrer à une réflexion, sérieuse, lucide, ils feraient certainement marche arrière, pour comprendre que leur place et leur intérêt premier se situent dans le camp de l’opposition, à moins que…. En tout cas, lors de notre première rencontre commune il y a quelque temps, c’est l’invitation qui leur avait été adressée.  Logique qui suppose un dialogue en paliers ; d’abord au sein de l’opposition pour s’accorder, ensuite entre cette opposition et la majorité présidentielle ; si toutefois  ils se réclament  encore  de  l’ancrage de cette opposition.   Avons-nous été entendus ? Je ne n’en suis pas sûr.

Pour ce qui concerne les  Fpc,  il est bon de rappeler que nous avons toujours été favorables au Dialogue ; toujours  preneurs  de  dialogues sérieux et sincères. Critères  loin de se  refléter  dans ce que l’on nous propose  actuellement, tant par  la forme  que  par le  fond.

En effet, un dialogue sérieux et sincère ne se négocie pas en catimini, dans un timing et  une légitimité questionnable ...Ensuite il ne saurait  être la  propriété privée de  quelqu’un. On n’invite pas des partenaires à un dialogue en s’arrogeant un  ‘’droit de propriété’’… Une forme discourtoise qui  vous  impose de prendre le train en marche  ou de rester en rade.  Enfin, que je sache, il ne s’agit pas là d’une course de vitesse, mais  d’efficacité  et d’efficience,  pour l’intérêt du pays.

Et, puisqu’on parle d’efficience, je crois que pour mieux rassurer et gagner en crédibilité, ce dialogue   devrait résulter  d’un appel, solennel,  du chef de l’Etat, fait en direction de  toutes les forces vives de la ‘’nation’’ !  Même si…Même si l’espoir et le capital de confiance qui avaient été placés en Ghazouani se sont largement érodés après ces quatre ans d’exercice, particulièrement du côté des victimes de ses politiques chauvines !  Déception pour beaucoup, pour ne pas dire générale, partout !  Vous avez dû noter la dernière mesure prise en conseil des ministres concernant l’armée qui accentue la pagaille, déjà installée, au sein de cette institution à la tutsi…

 

 -Des milliers de jeunes mauritaniens continuent d’émigrer illégalement vers les Usa, certains ont même déjà été rapatriés. Que vous inspire cet exode ?

-Il faut, à mon sens, distinguer deux catégories de migrants. Il y a ceux qui n’ont plus aucune perspective, aucun espoir dans ce pays en raison du racisme d’Etat anti-noir qui les frappe,  et  qui, partant,  se raccrochent  à tout mirage qui s’offre à  eux, et il y a ceux–là  qui, bien que n’étant pas victimes directes  du  Système, se laissent  séduire  par le chant des Sirènes, le mythe des Usa. Le mirage des Etats-Unis, très fort, envahit le monde, enveloppe jusqu’aux jeunes  de l’Europe occidentale !

Je crois, pour ma part, que les premiers se devraient de rester pour faire valoir leurs droits, que l’émigration ne règlera pas  la question de notre oppression. Du reste, à quoi servirait l’argent amassé de cette émigration  si  l’on reste étranger chez soi?  

Il est  regrettable  et hautement dommageable  que l’Afrique se vide de son potentiel humain  à cause  de l’incapacité  et  de  l’incompétence  de ceux  qui  nous gouvernent, surtout.

 

Les jeunes sont très peu engagés dans la politique. Quelles sont, à votre avis, les raisons ? Que font les FPC pour les amener à s'engager ?

-Hélas, vous avez bien raison de souligner cette faiblesse chez nos jeunes. Les choses ont changé, et bien changé; la jeunesse n’est plus ce qu’elle était ...

 En effet, notre génération était dans la contestation, animée de l’idéal de ’’changer le monde’’ et d’instaurer un mieux-être, pour le peuple. ’’La sagesse à 20 ans c’est de n’être pas sage’’,  nous  dit l’adage. L’ambition, noble, que nous nourrissions pour notre pays a cédé le pas, de nos jours, à l’ambition personnelle, à l’opportunisme. A notre époque, il ne viendrait à l’esprit d’aucun jeune de moins de 40 ans, de songer à des sinécures, chercher  des promotions  politiques, briguer des mandatures.  La politique reste pour ceux-là un tremplin ...

D’autres assimilent, naïvement  et à tort, la politique  à  versalité, à  la roublardise. La politique ce n’est  pas que  manger, boire et dormir, mais penser  et acter, par moments, les affaires  de la Cité. C’est cela la politique et rien d’autre. Mais, tristement, pour le grand nombre -c’est encore pire-, qui   reste dépourvu  de  conscience politique  et  se laisse porter  par le sport, les jeux ; ceci  constitue   un de  mes  plus grands soucis. Heureusement qu’il existe une infime minorité pour faire exception.

Pour notre part nous faisons ce que nous pouvons, voilà dix ans, pour redresser  les choses, sans nous faire toutefois  beaucoup d’illusions ….

 

-Le gouvernement a fait voter la loi d'orientation pour la réforme du système éducatif mauritanien. La tutelle s'est engagée à sa mise en œuvre. Que pensez-vous des implications de cette loi qui selon le gouvernement vise à consolider l'unité nationale ?

-J’avais déjà dit que les porteurs du fameux  Pacte donnent l’impression de vouloir nous le fourguer à travers  la pilule alléchante  de  ‘’l’officialisation des langues nationales pulaar, sooninke et wolof’’.  Que ce projet était une vaste supercherie …

Reprenons les choses par le début : des Journées Nationales de Concertation sont organisées sous l’égide du ministère de l’Education Nationale, pour donner à cette réforme un semblant de caution populaire. Mais pour cacher son jeu, le ministère  choisit, dans les résolutions finales, de rester, volontairement, dans  le flou  sur  le statut dévolu à chaque langue. Beaucoup de polémiques  avec  ceux  qui, maintenant, ont  déchanté, mais qui refusaient de voir alors le danger et de le dénoncer avec force, préférant voir le verre à moitié plein. Cette ambiguïté, ce  flou, délibéré, est levé avec cette rentrée scolaire 2023 qui stipule que ‘’ l’enseignement des mathématiques et des sciences se fera en arabe’’, exclusivement ; et cela, sans  respecter  ni  une période de transition, normale en pareil cas, ni  attendre le résultat de la nouvelle expérience, en plus de faire table rase totale sur les acquis, hautement positifs, de l’expérience antérieure  de l’ILN. Un projet viable et crédible ne s’enclenche pas de cette façon…

 Il y a une sorte d’antinomie dans la démarche, car on ne saurait reconnaître la valeur de ces langues et le droit légitime des peuples à s’enraciner dans leurs langues et cultures et  imposer, en même temps, à  ces peuples non arabes  la langue arabe comme seule langue véhicule ! On admet  l’enracinement  pour  les  uns dans leur langue et culture  arabe pour  dénier  ce même  droit  aux  autres  nationalités  pulaar, Sooninke  et  wolof !!!

Toutes choses qui démontrent que ce régime fait peu de cas des  langues négro-africaines, reléguées au statut de langue de communication tout court. Il  ne fait montre d’aucune  volonté politique réelle d’instaurer une politique linguistique juste et équilibrée.

Bref, ce projet de  réforme, de bout en bout, constitue une vaste supercherie visant  l’assimilation forcée, à moyen et long termes, des  populations non arabes de Mauritanie. Et c’est inacceptable !

Les tenants du Système croient avoir gagné la bataille linguistique et de l’exclusion, tout comme Israël pensait avoir enterré la question palestinienne.  Ils se trompent !

Si nous étions animés de bon sens, il nous soufflerait  d’ouvrir  les yeux  sur  ce monde agité et  sur  cette   turbulence  inquiétante de notre sous-région,  pour nous éviter  des  ingrédients  de  la dislocation…

 

-Le recensement général enclenché par le gouvernement mauritanien, lancé, depuis le 25 décembre 2023, tire vers sa fin. Quels enseignements en tirez-vous ?

- L’Inde avec son milliard et demi d’habitants a pris dix ans pour boucler l’enrôlement de sa population et chez nous, depuis 2009, le nôtre tire en longueur. On n’y arrive pas voilà dix ans, malgré notre faible population, et voilà qu’on nous parle d’arrêter le processus, comme pour rajouter à l’incohérence ! C’est bien par manque de volonté politique qui dissimule une politique de discrimination qu’il n’en finit pas ; il y a, en effet, des franges entières de population, des composantes nationales -harratines et négro-africains- que l’on ne tient tout simplement pas à enrôler, voilà tout, pour être plus clair. Sinon, comment expliquez, ou comment comprenez-vous que pour enrôler une population pluriethnique on choisisse des commissions techniques, quasiment mono ethniques, à tous les niveaux ? Le soupçon sous-jacent, récurrent, que dans la vallée du fleuve on serait en train d’enrôler des sénégalais n’est pas complétement éteint …

 

-Malgré votre décision de vous inscrire dans la voie démocratique en rentrant au pays, certains mauritaniens continuent de vous taxer d’extrémiste. Comment comprenez-vous leur attitude ?

-Vous savez, ce type d’attaque ne mérite pas que l’on s’y attarde, car elle relève de la mauvaise foi et participe de la cabale conçue par nos adversaires politiques  historiques, amplifiée sous  Ould Taya, qui  tiennent à nous figer dans cette image. On ne saurait, en effet,  trouver dans aucun de mes propos ou dans les textes du parti quoi que ça soit qui justifie une telle caractérisation. Simple mauvaise foi  donc et calcul politique mesquin de positionnement derrière, rien de plus.

 Mais bon, ne dit-on pas qu’il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! Montrez-lui le soleil, il ne verra toujours pas. Peut-être me reprocherait-on le tranchant du propos qui ne souffre pas de compromission. Mais qu’on le sache bien, j’aime mon pays, mais je l’aime d’un amour critique qui vise à l’élever !

 

- On observe depuis les dernières élections locales, une sorte de rapprochement entre les FPC et le RAG, tous deux partis non reconnus. Jusqu’où peut aller ce rapprochement qui inquiète certains milieux ?

- Oui ce rapprochement se justifiait et se justifie toujours et de façon encore plus impérative en ces temps de crise, pour partager une commune condition d’opprimés, de laissés pour compte dans ce pays…Prions pour qu’il se poursuive et il le devrait, si chaque partie mettait l’intérêt de la cause suprême au-dessus des égos et des intérêts personnels. Ce fut le cas et ce sera toujours le cas pour les FPC.

 

-Les Fpc courent derrière leur reconnaissance. Après la saisine de la Cour Suprême, existe-t-il aujourd’hui un petit espoir de voir ce parti reconnu ?

- Pour être franc, je suis de plus en plus sceptique, en raison de l’inféodation de  nos institutions, chaque jour,  plus marquée  d’une part et, d’autre part, au  regard des nombreuses promesses  de  campagne, non tenues de ce président, de donner à chacun ses droits. Ceux qui nous gouvernent ne sont, manifestement, pas   encore ouverts à l’instauration d’un Etat de droit.

Malgré tout, je continue d’interpeller le président de la chambre administrative et le président de la Cour Suprême, mais toujours en vain !

 

-Où en êtes –vous avec votre dossier administratif relatif à  votre pension  de retraite ?

-.Au point mort. Je l’avais soumis, en premier, à Me Bouhoubeyni  qui m’avait promis, ferme, d’en faire son affaire, voilà des  années, mais rien, aucune suite. Maître, à bien l’observer, donne  plutôt  l’impression  d’être plus prompt et plus enthousiaste  à démolir la thèse de l’existence  de l’esclavage en  Mauritanie qu’à  s’occuper des droits légitimes  et  bafoués du  citoyen  ordinaire,  injustement  frappé d’injustice.  J’en avais aussi parlé au représentant local des Nations-unies qui avait promis, à son tour, de s’en occuper. Mais depuis, rien là aussi ; on ne prend même plus mes appels téléphoniques…. J’ai enfin saisi le commissaire aux droits de l’homme, sur recommandation du représentant en question. Courtoisie et sympathie dans l’accueil, mais marge de manœuvre délicate et étroite pour ce jeune que je ne comprends que très  bien ….

Je dois rappeler que parmi les prisonniers politiques de Walata vivant à l’intérieur du pays, je demeure aujourd’hui le seul à se voir privé de ses droits à une pension.  Mais Dieu est grand !

 

Propos recueillis par Dalay Lam