Professeur Lô Gourmo Abdoul, membre du collectif des avocats de la partie civile : ‘’ Aziz a attendu la fin de toute la procédure pour se lancer dans une accusation aussi grotesque que déplacée à l'encontre de son successeur’’

13 December, 2023 - 16:41

Le Calame : Le tribunal anti-corruption vient de condamner l’ex-président de la République à cinq ans de prison, a ordonné la confiscation de ses biens et l’a déchu de ses droits civiques. Il a en même temps acquitté certains de ses coaccusés. Comment votre collectif a-t-il accueilli ce verdict qui n’a pas manqué, il faut le reconnaître, de surprendre nombre de mauritaniens, tellement les charges étaient lourdes ?

Lo Gourmo Abdoul : Notre collectif a accueilli avec sérénité le verdict. Sans entrer dans le détail puisque nous sommes en train de nous préparer à un éventuel appel de notre part et de la part de la défense, il apparaît clairement que le tribunal nous a donné raison sur le noyau dur de notre accusation : l'enrichissement illicite à des hauteurs stratosphériques et le blanchiment, par l'ex-Président, des sommes ainsi obtenues. Pour des raisons juridiques diverses sur lesquelles nous reviendrons par la suite, une fois jugé l'appel, le tribunal a préféré écarter les autres chefs d'accusation (abus de fonctions, trafic d'influence, détournement de biens publics, avantages injustifiés dans les marchés publics, corruption etc.). Le juge s'en est probablement tenu au plus simple, au plus évident et au moins contestable des charges: l'enrichissement illicite. L'ex-Président n'a cessé de non seulement clamer être un « homme riche » mais, surtout, d'affirmer publiquement n'avoir jamais utilisé ses revenus officiels durant toute sa décennie au pouvoir. D'où lui vient cette richesse colossale en argent et en biens matériels divers dont une partie a été saisie par la justice ? Tout le monde sait qu'avant d'arriver au pouvoir en 2009, il n'était pas Crésus. Ses déclarations de patrimoine, écrites et signées de sa main, montrent clairement la réalité de l'énorme décalage entre le patrimoine déclaré et les saisies opérées. L'ex-Président a d'abord oublié cette donnée puis cherché à se couvrir mais en vain. Il n'a pas daigné s'en expliquer au moment des interrogatoires et des plaidoiries devant le juge. Il a attendu la fin de toute la procédure pour se lancer, une fois close cette étape décisive, dans une accusation aussi grotesque que déplacée à l'encontre de son successeur. Pas une seule fois, ni lui ni ses avocats n'avaient fait la moindre allusion de cet ordre durant toutes les phases de son accusation, aussi bien devant la Commission d'enquête parlementaire, devant la Police criminelle, devant le juge d'instruction que devant le Tribunal criminel. Clairement, il s'agissait, de sa part, d'une tentative désespérée de justifier l'injustifiable.

Ses déclarations antérieures et la réalité tangible des richesses saisies étaient un piège insurmontable. Il suffit qu'il y ait un décalage entre la déclaration de patrimoine initiale ou postérieure et la réalité des biens et valeurs saisies pour que l'obligation impérative de justifier cette augmentation de patrimoine pèse sur l'accusé. Soit il justifie cette augmentation, soit, s'il ne peut le faire, il est coupable d'avoir commis l'infraction. Ici, nul besoin d'invoquer une complicité quelconque. L'infraction est techniquement autonome. Cela ne veut pas dire que d'autres chefs d'accusation ne pouvaient ni ne devaient être retenus par le juge. Cela veut simplement dire que celui-ci pouvait s'en suffire, avec des conséquences très importantes sur la configuration des résultats du procès, en particulier en termes de complicité par exemple. À l'évidence, le juge a été minimaliste et précautionneux. Est-ce une démarche pertinente en l'occurrence ? Encore une fois j'y reviendrai plus tard. En tout cas, pour ce qui concerne ces deux chefs d'accusation retenus (enrichissement et blanchiment), ils sont ABSOLUMENT incontestables. Le juge pouvait-il faire plus ? Sans doute mais il faut se souvenir que parfois le mieux est l'ennemi du bien. Même en matière de justice.  On verra la suite. Il en va de même pour le verdict relatif aux co-accusés. Nous verrons au cas par cas et plaiderons en appel en fonction de notre approche globale du procès et des griefs que nous pouvons invoquer à l'encontre de chacun, en fonction de cette approche globale.

 

- Sur une vingtaine charges relevées contre l’ex-Président, ses proches et collaborateurs, le juge n’en a retenu que deux. Qu’est-ce qui explique cette décision du tribunal que d’aucuns considèrent comme « une volonté d’éliminer un adversaire politique » ?

 - Pour ma part, je dois très sincèrement louer le professionnalisme et le sens de la justice de la Cour. Malgré toutes les passions, confusions et préjugés qui entourent ce genre de procès – une Première historique, aussi bien chez nous que dans le reste de l'Afrique et du monde arabe – finalement, les débats se sont déroulés dans une ambiance généralement sereine. Le Droit a été dit et le procès contradictoire de bout en bout, dans le respect des droits de la défense. Le verdict a été accueilli avec un scepticisme que je considère pour ma part positif : une partie de l'opinion voulait et veut toujours une peine plus sévère frappant plus d'accusés et une autre partie voulait exactement le contraire. Le tribunal n'a satisfait ni les uns ni les autres, sans réellement mécontenter qu'une petite minorité, me semble-t-il. Cela dit, appel a été interjeté et la bataille juridique est loin d'être gagnée ni perdue par les uns ou les autres, même si, pour ma part, l'appel devra au minimum confirmer le verdict du premier juge, vu notre législation et les éléments des dossiers. Dans tous les cas, le moment est historique et devra aider à faire réfléchir, ici comme ailleurs en Afrique, ceux qui nous gouvernent.

 

- Naturellement   vous allez faire appel. Êtes-vous optimiste pour la suite du processus ?

- Le pays entier, ainsi qu'une grande partie de l'opinion publique dans le Monde, suit avec attention ce procès hors norme. Jusqu'ici, nous avons eu droit à un procès équitable et transparent, en dépit des tentatives constantes de la défense de l'ex-Président de le sortir de son cadre de droit commun pour lui donner un caractère politique. Mais la clarté des dossiers et le caractère accablant des preuves (saisies des biens objet de l'enrichissement illicite, déclarations des concernés, à commencer par l'ex-Président, etc.) ne laisse aucun doute sur le sort que le juge d'appel va réserver à ce dossier. Au minimum, il confirmera les charges principales, spécialement l'enrichissement illicite et le blanchiment. Nous pouvons attendre du juge d'appel qu'il soit aussi conséquent et aussi soucieux du Droit que celui du premier juge. Et ce ne sera que justice.

 

Propos recueillis par Dalay Lam