Lettre ouverte à monsieur le ministre des Pêche et de l’Economie maritime/ Cheikh Ahmed ould Mohamed*

12 December, 2023 - 23:33

Monsieur le Ministre, j’ai l’honneur, par la présente, de vous soumettre certains points de vue qui me paraissent utiles et pertinents à prendre en considération afin de relever les défis majeurs auxquels la pêche artisanale est confrontée. Celle-ci est une des principales sources de revenus de notre nation. Une gestion efficace et participative est donc nécessaire pour maintenir cette activité vitale pour de nombreux citoyens. Je propose ici des éléments de réflexion globale concernant sa durabilité afin de bien situer les changements économiques et financiers majeurs qu’elle génère.

On commencera par remarquer que la pêche artisanale se caractérise par sa grande diversité, sa complexité et son dynamisme. Malgré son potentiel de résilience, ce secteur est un des premiers à ressentir les effets de mesures gestionnaires et le premier à devoir s’y adapter. Il est donc question de défis à relever. Les changements intervenus dans ce secteur au cours des dernières années rendent obligatoires une réévaluation de la solidité des concepts de développement et d’aménagement engagés pour ce type de pêche. Dans ce contexte, j’en évoquerai trois aspects : le premier concerne la mise en œuvre des mesures d’aménagement ;le second, l’équilibre entre les pêches artisanale et industrielle ;le troisième touche aux droits de propriété et aux systèmes de réglementation en vigueur.

 

Monsieur le ministre,

La frontière entre la limitation des intrants et l’augmentation des extrants –balance-clé du développement durable de toute activité lucrative –se situe dans l’épuisement des stocks. Or il existe plusieurs entraves à une saine limitation de la pêche :le manque de connaissance concernant la situation de ceux-ci ;le manque de ressources financières et de compétences administratives afin d’établir une règlementation pertinente ;et le manque d’habilité à surmonter les entraves socio-économiques pour aboutir à une utilisation sensée et responsable des ressources disponibles.

De ce fait, la gestion rationnelle de l’activité des pêcheurs constitue une des préoccupations importantes des gestionnaires de ressources halieutiques. Il s’avère donc nécessaire d’engager une réflexion globale approfondie sur la pêche artisanale en matière de mode de gestion en vue de contribuer à l’amélioration des conditions d’exportation des pêcheries idoines. Il est aussi nécessaire de mettre en place des jalons pour un suivi et une gestion à long terme du secteur pour répondre à la problématique suivante :comment en détecter les vrais enjeux ?Une fois bien déterminés les caractéristiques et les facteurs explicatifs de cette activité, augmentés de données de suivi et de contrôle pertinentes, on sera à même de présenter et développer des outils de validation des pratiques mises en perspectives avec la réglementation.

Le suivi de l’exploitation de cette ressource vitale est aussi indispensable pour comprendre comment cette exploitation change les écosystèmes et comment le système de gestion peut apporter les effets escomptés ; c’est à dire, en bref, organiser la pérennisation de cette exploitation mais aussi le développement social au cœur des besoins et des aspirations de la population et des acteurs de la pêche artisanale. L’État doit en conséquence affiner sa législation pour maximaliser leurs capacités, leurs ressources et leurs opportunités d’améliorer leur participation au développement. Autrement dit, promouvoir l’investissement dans le développement de la pêche artisanale. D’autant plus, d’ailleurs, que celle-ci contribue tout-à-la-fois à l’économie nationale, grâce aux devises apportées par les exportations, et aux économies locales, grâce à l’établissement de nombreux emplois et à l’amélioration des revenus des ménages de pêcheurs.

 

Monsieur le Ministre,

 

L’approvisionnement des marchés locaux en poisson frais, soit 40% des captures, est assuré par les mareyeurs, malgré les difficultés de conservation et de transport. Les différends sont toujours vifs entre mareyeurs et pêcheurs dont les intérêts sont souvent antagonistes. La transformation artisanale ne s’est pas améliorée. Il subsiste également plusieurs problèmes quotidiens des pêcheurs mauritaniens : la conservation au frais, le stockage, le prix élevé des moteurs hors-bord et des équipements de pêche, notamment.

Je vous propose de développer des techniques traditionnelles de transformation des produits halieutiques ; d’améliorer des conditions de stockage des produits ; d’engager des échanges entre pays en réduisant les contraintes de marché ; de limiter les accords de pêche pour assurer le renouvellement des stocks, en tant que base de nourriture et source de revenus pour des milliers de personnes.

Monsieur le Ministre, la pêche artisanale est marquée par une pleine exploitation, voire surexploitation, des espèces démersales côtières à forte valeur commerciale, dans le contexte d’une demande croissante de production mondiale. La non-maîtrise de l’effort de pêche et la faiblesse des moyens de contrôle et de surveillance sont à l’origine d’une exploitation irresponsable des ressources. Cela se traduit par une surexploitation des stocks d’intérêt commercial ; le développement de la pêche illégale, non déclarée et non autorisée ; une pression anthropique et industrielle ; et l’adoption de comportement de survie par les pêcheurs, plus préoccupés à lutter contre leur pauvreté qu’à résoudre les questions environnementales.

Le développement de la technologie dans le secteur de la pêche artisanale a surtout contribué à augmenter l’efficacité et les rendements des unités d’exploitation, sans pour autant servir à maîtriser l’effort de pêche par un système de contrôle et de surveillance efficace. Outre l’exploitation non maîtrisée susdite des ressources halieutiques et le développement de la pêche-pirate, on a assisté à un développement des pêcheries tournées vers l’exportation, suite aux nombreuses mesures de soutien entre 2005 et 2019, et à l’attraction de la demande internationale toujours soutenue, avec des impacts notables sur la rentabilité des unités de pêche des espèces destinées au marché local, notamment les petits pélagiques. Dans ce contexte, je vous propose d’améliorer les connaissances sur la part des ressources et écosystèmes exploitables par la pêche artisanale et de déterminer l’impact du changement climatique sur les pêcheries, compte-tenu des risques de perturbations des écosystèmes et des menaces générées par la chaîne gazéo-pétrolière.

 

Monsieur le Ministre,

Permettez-moi ici de rappeler trois priorités liées à la technologie :en un, l’urgence de remettre en cause le régime de libre accès à la ressource pour la pêche artisanale, compte-tenu de la situation de surexploitation des ressources halieutiques imputables en grande partie à ce sous-secteur ; en deux, la nécessité d’harmoniser les conditions d’accès à la ressource halieutique et de les mettre en cohérence, tant pour la pêche artisanale que pour son homologue industrielle ; et le besoin, enfin, de tendre vers une meilleure transparence de la filière entre ses segments et d’améliorer l’information disponible, au regard des difficultés persistantes à développer la traçabilité des produits halieutiques.

Je vous propose en conséquence d’engager des réformes ; non seulement des institutions de gestion et d’encadrement du secteur mais aussi des processus qui les régissent. Je vous propose également de procéder à des révisions majeures du contenu et de la mise en œuvre du Plan directeur des pêches et du Code de la pêche maritime. En espérant que ma lettre aura attiré votre attention sur les défis majeurs auxquels est aujourd’hui confrontée la pêche artisanale, merci, monsieur le Ministre, de bien vouloir agréer l’expression de ma haute considération.

*Ingénieur de pêche

Chef du service Études et Développement

Établissement portuaire de la Baie du Repos (Nouadhibou)