Autour d'un thé

28 January, 2015 - 23:55

Si cela continue, nous serons un peuple sans oreilles. Si tant est que les nouvelles choses rapetissent, dit-on, ces précieux organes de sens que sont nos oreilles. Que n’a-t-on pas entendu ces dernières années ? Un peuple sans mémoire. Un peuple sans repères. Un peuple sans rien. Subversion non-armée. Mutinerie carcérale. Président pris en otage sur la route de l’Espoir. Dévalorisation ministérielle. Promotion au hasard. Tout vu. Tout entendu. Tout avalé. La Mauritanie continue. En changeant. Ce n’est pas un peuple d’imbéciles. Nos pépinières sont les seules de la sous-région. Notre centre d’élevage des chameaux est l’unique de l’Afrique. Notre poisson est le meilleur du Monde. Nos festivals, les plus riches du monde arabe. On n’est pas rien. Notre mandat de l’Union africaine, le plus porteur de tous. Nous cultivons le genre. Huit femmes ministres. Qui dit mieux ? Nous économisons. Une vingtaine de banques pour un pays de trois millions qui bancarisent à peine. Qui dit mieux ? Nous politisons. Vers les cent partis politiques qui enrôlent cinq à six millions d’adhérents, toujours pour un pays de trois. Qui dit mieux ? Même les djinns adhèrent à nos programmes. C’est notre baraka. Celle de nos pères et grands-pères. Nous civilisons. Plusieurs centaines d’organisations de la société civile. Qui dit mieux ? Nous cliniquons. Des milliers de cabinets médicaux, pour moins de quelques milliers de « pachars » (comme disait un ami à moi). Nous « officinons ». Sinon, comment comprendre que l’on ait, à Nouakchott, au moins deux mille pharmacies et autant de dépôts pompeusement qualifiés de pharmaceutiques. Nous mangeons et nous buvons, au propre comme au figuré. Exagérément. Nous augmentons. Les salaires. Entre vingt mille et poussière et quarante mille et beaucoup de poussière, pour la trentaine voire quarantaine de mille de travailleurs de la fonction publique. Entre huit millions, selon le ministre des Finances entrant, dix millions, selon le sortant, pour augmenter les traitements. C’est bon, puisque, selon la mythologie populaire, « une salive qui n’est pas ta salive te vaut quelque chose » et « celui qui ne bénit pas le peu ne bénit pas le trop ». Y a que la mort qui vienne en même temps. Goutte à goutte et l’oued se remplit. Le président, les généraux, les ministres ne sont pas dans l’augmentation. Ils en sont en dehors. Plus exactement, au-dessus. Je suppose qu’ils touchent plus que cinq cent mille. C’est d’eux que parle l’article 2 du décret d’augmentation. Sinon, de qui ? Ils sont peu, voire très peu, ceux de la fonction publique qui touchent plus de cinq cent mille. Les magistrats ? Hé oui, ceux-là. Les diseurs de droit. Les professeurs d’université ? Ah non, Un peu moins, quand même. Et lève ta main ! Tous les autres fonctionnaires caracolent entre quelque deux à trois cent mille puis chute très libre vers les quatre-vingt-dix et quatre-vingt mille, soixante, cinquante, quarante et puis trente-trois. Compléments de salaires ou primes de ceci ou de cela. C’est une autre histoire. Les officiers subalternes et supérieurs de l’armée ? Traitements et extras ? Secret défense. Secret d’Etat. En parler est de la haute trahison, susceptible de poursuites judiciaires pour divulgation d’informations graves et dangereuses. Quatre mille d’augmentation. C’est, concrètement, trente-trois pots de Gloria. Presque un mois de zrig, à raison d’un pot par jour. C’est deux kilogrammes de viande, chaque mois. C’est 10,35 litres de gasoil. C’est une bonne jaquette et deux pantalons de fripouille, made in tieb-tiaba. C’est dix jours de taxi « miye miye ». C’est quarante miches de pain. C’est vingt numéros du Calame, pour ceux qui savent encore lire. C’est le billet aller/retour Nouakchott/Rosso en taxi-brousse. C’est le prix de deux kilogramme de courbine. C’est quarante petites sardinelles (ya boy). C’est mieux que rien. Entre quatre mille et rien, que choisirez-vous ? Un homme descend chez un autre, par une nuit de froid glacial. L’hôte demande à son étranger : « tu préfères le gâteau ? –  Qu’as-tu d’autre ? – Rien. – Alors, à choisir entre le gâteau et rien, je choisis le gâteau ». Salut.