Sénégal – Quand la « délinquance politique » s’empare de la rue

5 April, 2023 - 18:14

Le 18 Mars 2021, mon confrère Amadou Ba – journaliste sénégalais diplômé du Centre d’Études en Sciences et Techniques de l’Information de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, chercheur et formateur en journalisme – publia un excellent article sur l’affaire Sonko-Adji Sarr devenue virale. Dans tout le Sénégal, intellectuels, juristes, politiques, journalistes et, surtout, désœuvrés ne parlaient que de ça.

Pourtant et comme l’avait souligné mon ami Amadou Ba, il ne s’agissait au départ que d’une de ces vulgaires histoires de sexe qui occupent à longueur de page les faits divers. Une comme toutes les autres et qui serait passée inaperçue dans un pays où la prostitution est tolérée… si un homme – pas n’importe lequel… – ne s’était pas donné en spectacle en se faisant masser, nu, dans un salon – pas n’importe lequel – et pas par n’importe quelle fille. En se rendant dans ce salon de massage huppé de la capitale sénégalaise, pour, comme il le prétend, se soulager d’un mal de dos ou « mettre à jour son carnet de tir », comme le disent les militaires, et où tout se passe, d’habitude, dans une intimité absolue loin des regards, monsieur Ousmane Sonko, 57 ans, aura sans doute commis la plus grande erreur de sa vie.

Ya-t-il eu rapports sexuels consentis ou sous la menace ? Viol sous menace armée ? En attendant que les investigations et les enquêtes qui se croisent décident de l’acte d’accusation à retenir contre celui qui a brillé par sa popularité dans cette affaire scandaleuse, on retiendra déjà qu’Ousmane Sonko, celui par qui tout ce malheur est arrivé, s’est accusé lui-même, en jouant dans un film de massage thaïlandais à l’huile dans un salon « Sweet beauty » réservé, semble-t-il, à une classe privilégiée de la star-up politique et financière.

 

Quand politique et prostitution ne font pas bon ménage

Jusqu’à l’éclatement de cette affaire, déclenchée le 2 Février 2021 par les investigations de la Section de recherches de gendarmerie de Colobane, Ousmane Sonko, jeune député et étoile politique montante, était l’espoir d’une grande majorité de la jeunesse sénégalaise avide d’un changement politique qui divorcerait avec le recyclage de la vieille aile politique traditionnelle de ce pays réputé le plus avancé du Continent dans la démocratie. Malheureusement pour lui, cette affaire de sexe – il faut appeler les choses par leur nom – risque bien de lui coûter très cher sur le plan de la crédibilité morale et politique. Ousmane Sonko, chef du parti d’opposition « Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité » (PASTEF), n’est plus aujourd’hui qu’un opposant éclaboussé par une sale affaire de prostitution en maison close.

Cette perte de valeur peut à la longue lui coûter très cher. Parce c’est  vraiment malhonnête de sa part – et aussi de la part de ceux qui le soutiennent – de chercher à transformer cette  affaire de prostitution haut de gamme en une  affaire politique opposant  Macky Sall et Ousmane Sonko. Ces deux-là se battent sur le plan politique : l’un (Macky Sall) pour briguer un mandat de plus (le troisième, contesté) ; l’autre (Sonko) pour arriver à la première place lors de la prochaine élection présidentielle. Mais ce qu’il faut peut-être savoir, c’est que si, dans la réalité, Macky Sall se bat en apnée pour briguer un troisième mandat, Ousmane Sonko doit pour sa part, et avant tout, se battre pour prouver aux Sénégalais que même frappé du sceau de la « délinquance sexuelle », ils peuvent lui confier l’avenir de leur pays. Telle est la question… et le problème dans sa dimension réelle.

Ce n’est donc pas, comme le laissent penser certains, une affaire Macky Sall/Sonko, même si dans cette affaire il ya des coups bas dans les deux camps dont les responsables se regardent en chiens de faïence. Il y va de l’avenir même du Sénégal, cet exemple de démocratie prouvant, par des acquis mesurables, une  émergence qui lui donne une longueur d’avance sur tous ses voisins.

 

Quand Sonko joue au Général de la rue

Le 3 Mars 2021, le député Ousmane Sonko était convoqué par le juge d’instruction en charge du dossier pour répondre d’une accusation de viol. Et c’est à partir de ce jour-là que tout le Sénégal bascula, jusqu’au 8 Mars, dans un cycle d’émeutes et de violences. Tout simplement parce que, pour se rendre à ladite convocation, Ousmane Sonko s’était entouré, ce jour-là, d’une nombreuse foule de militants, sympathisants et surtout jeunes hostiles au pouvoir en place.

Le « Général de la rue de Dakar » Ousmane Sonko avait consciemment lancé ses troupes dans une bataille hérissée de violences inouïes. Très lourd bilan : 13 morts et plus de 600 blessés (chiffres fournis par la Croix-Rouge sénégalaise) ; désolation sur le plan économique ; surfaces de grande distribution, stations d’essence et autres commerces saccagés et pillés par des fumeurs de joints, repris de justice et squatteurs de la décharge de Mbeubeuss…

Ce que beaucoup de Sénégalais reprochent à Ousmane Sonko, c’est d’avoir, depuis Mars 2021, occupé le devant de la scène par les tenants et aboutissants d’une affaire de mœurs très légères indigne d’un homme rêvant de présider un jour aux destinées d’un pays bourré de politiciens et de juristes qui comptent parmi les plus intellectuels du Continent. La malhonnêteté politique d’Ousmane Sonko est un péché. Un péché social, dès l’instant que l’homme politique, conscient de se cacher derrière une armée de délinquants déchaînés avec pour seul objectif inavoué de mettre le Sénégal à feu et à sang, n’a pas appelé ses troupes à la retenue.

Transposer un problème dans un cadre qui n’est pas le sien réel, c’est le déplacer inutilement, voire dangereusement. Une affaire de justice est avant tout une affaire de justice. Elle a ses tenants et aboutissants qui doivent logiquement s’inscrire dans la seule lecture du Droit et de la Loi qui s’appliquent à tout citoyen, soit-il homme politique, simple citoyen, poursuivi pour rapports sexuels non désirés ou consommation de produits illicites, comme ces repris de justice profitant des mêlées manifestantes pour saccager les biens publics.

 

Un président synthèse de race et de culture politique

Le président Macky Sall est un homme politique très controversé. À l’image même de l’homme qu’il donne de lui-même. Un sénégalais de synthèse. Tout-à-la-fois en hausse et en baisse dans les sondages. En hausse, catapulté par des réalisations de mégaprojets qui propulsent le Sénégal de manière vertigineuse vers les horizons 2050, au rythme d’une politique technopole visant à placer son pays à la tête des pays émergents. Une hausse attribuable à une classe intellectuelle et une élite politique œuvrant de concert à un nouveau visage du Sénégal.

Mais il est en baisse dans les sondages de la rue. Le sénégalais moyen et celui qui vit en dessous du seuil de la pauvreté unissent de plus en plus leur voix, en indexant la responsabilité de leur actuel président dans toutes les crises politiques et sociales qui gangrènent la vie de la nation sénégalaise. Au-delà même de l’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko, les analystes et les critiques qui envahissent les débats politiques sur les chaînes de télévision de référence, comme TFM, Walfajry, iTV, notamment dans des émissions-phares comme Subatel, Grand Angle et autres, vissent et dévissent des arguments croisés sur les frustrations sociales et économiques qui étouffent les populations.

Dans un manifeste publié en 2021, des professeurs d’université sénégalais lançaient une alerte précoce sur ce qui pourrait entraîner une crise de l’État de droit et de la justice qui commençait pourtant à s’ériger en règle depuis l’accession au pouvoir de Macky Sall. Comme le mentionnait mon confrère sénégalais, des intellectuels, des journalistes et des artistes relevaient de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés publiques consacrés par la Constitution aux citoyens d’un pays tellement différent de ses homologues sous-régionaux.

Une évidence à deux faces : la première est que Macky Sall, arrivé au pouvoir en 2012, a donné les gages d’un président nanti d’une réelle volonté à bâtir le pays sur un développement moderne. Vu sous cet angle, cela encourage à le soutenir dans une lancée que d’aucuns ne veulent pas freiner en 2024. Mais, même si beaucoup d’autres sénégalais reconnaissent à l’homme une volonté affichée de faire du Sénégal un pays moderne où il fait bon vivre, ceux-ci voient toujours en lui un représentant de la vieille école politique sénégalaise que le temps a rongée et minée par une « réplique » des passés politiques des présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.

Ce qui est arrivé au Sénégal ces deux dernières années, avec l’entrée fracassante d’Ousmane Sonko dans l’arène politique ne doit pas faire oublier aux Sénégalais l’essentiel : mettre avant tout la paix et la sérénité en avant, même s’il faut sacrifier l’un (Macky Sall) ou l’autre (Ousmane Sonko), voire carrément les deux, pour un Sénégal politiquement apaisé. Le choix est entre les mains des Sénégalais, des Sénégalais qui doivent comprendre qu’une « sonkolisation » de la rue génératrice de violence n’est pas la bonne solution. Le Sénégal a déjà compté trop de morts, parce que simplement Ousmane Sonko et Adji Sarr ont à un moment joué, en toute complicité, à une partie de plaisir dont le goût devient maintenant de plus en plus amer.

 

Mohamed Chighali