M. Cheikh Jiddou, expert en Droit et Environnement, ancien détenu d’opinion pendant le règne de Aziz, activiste des droits de l’homme et acteur politique: ‘’Les pilleurs sont encore libres à l’exception de quelques uns arrêtés et jugés avec Aziz’’

1 February, 2023 - 15:38

Le Calame: Le procès tant attendu de l’ancien président Aziz et ses coaccusés a démarré, ce 25 janvier 2023. Faites-vous partie de ceux s’y attendaient ou de ceux qui  n’y croyaient pas?

 Cheikh Jiddou: J’ai rencontré Aziz à quatre reprises, à sa demande, au cours du premier semestre de l’année 2012 quand j’avais, avec d’autres amis de la lutte contre l’oppression et l’injustice (les co-fondateurs du mouvement du 25 février). Je lui ai suggéré, à chaque fois, de ne pas fier à son entourage qui ne fait que le caresser dans le sens du poil alors que nous essayons de lui ouvrir les yeux pour qu’il ne tombe pas dans le panneau. Je lui disais textuellement: « écoute nous qui ne te soutenons nullement et nous le crions sur les toits et n’écoute pas ceux qui, aujourd’hui, se plient en quatre devant toi mais te poignarderont à la première occasion ». Et si j’ai un conseil à donner aujourd’hui à Ghazouani, c’est pareil. Et espérons qu’il l’entendra et le suivra parce que Aziz ne m’a pas écouté et le voici aujourd’hui sur le banc des accusés. Ses « co-accusés » dont vous parlez seront, à un moment du procès, des « témoins à charge » contre lui. Désolé pour cette petite introduction. 

J’ai toujours été convaincu qu’un procès aura lieu mais pas de cette façon-là. Pas cette mascarade qui se déroule devant nos yeux. Pas cette humiliation pour un ancien chef d’Etat. Je ne défends pas Aziz contre ce dont il est accusé mais je m’insurge contre l’injustice dont il fait aujourd’hui l’objet. Aziz m’a bien mis en prison pendant quatre mois et je n’ai jamais été jugé. Un beau jour et à trois semaines de la fin de son second mandat, la chambre d’accusation s’est réunie, à son initiative à elle, pour déclarer un « non-lieu définitif » et on m’a sorti de prison de la même manière que j’y suis entré. Sans aucune forme de procès. L’affaire des « deux milliards de dollars de Dubaî » a été classée pour éviter toute réouverture éventuelle après son départ. C’est pour dire qu’il a commis d’innombrables injustices à mon égard (limogeage de mon poste administratif en 2009, radiation de la fonction publique en 2010, diabolisation auprès des partenaires pour m’empêcher de bénéficier de consultations, plusieurs arrestations notamment en 2012 et enfin un emprisonnement en 2019). Cela dit, je n’approuve nullement les injustices qui sont commises aujourd’hui contre sa personne, sa famille et son ensemble social. Je prends parti pour les victimes qui qu’elles soient et je crie la vérité même si elle dérange ceux qui devraient être aujourd’hui avec Aziz dans le box des accusés.

 

 Aujourd’hui que ce procès se tient. Que peuvent en attendre les mauritaniens ?

Vous parlez d’un procès, moi ne vois qu’un vulgaire règlement de compte et une tentative de déclarer la perte des droits civiques de Aziz (l’inéligibilité pendant 10 ou 20 ans) notamment. Un procès ne se détourne jamais des auteurs principaux suspects pour se focaliser sur un complice suspecté d’avoir profité de détournements commis par d’autres. 

Les mauritaniens le voient ainsi aussi dans les rues, dans les cafés et restaurants, dans les salons et sur les réseaux sociaux. Ils avaient espéré obtenir la justice ; ils ont constaté une autre injustice. Les travaux de la commission d’enquête parlementaire et son rapport sur la gouvernance de la décennie 2008-2019 n’ont abouti finalement qu’à deux choses :  la première est de faire porter médiatiquement le chapeau à Aziz de tous les actes illicites des hommes et des femmes qui ont ruiné ce pays et dont certains sont encore aux centres des décisions et dont la progéniture mal éduquée nous toise aujourd’hui du haut de leurs grosses cylindrées mal acquises ; la seconde est toute l’inquiétude que ressentent aujourd’hui les chefs d’états africains et arabes qui ne voulaient voir un ancien président dans le box des accusés pour détournement. 

Alors oui, les mauritaniens n’en attendent absolument rien s’il continue sur cette lancée et avec cette façon d’appliquer injustement la loi. Cette loi qui censée être générale et impersonnelle.  

 

 A votre avis et au vu des charges portées contre l’ancien président et ses coaccusés, l’ancien président, principal accusé peut-il échapper à la prison? Quelles pourraient en être les implications politiques ?

Rectifions d’abord votre terminologie : Aziz, d’un point de vue purement juridique, ne peut être considéré comme « auteur principal » donc « suspect principal ». S’il a donné des ordres à des ministres pour commettre des actes repréhensibles, il faudrait juger ces ministres et les condamner avant de passer à Aziz. Et la, il deviendrait « complice » ou « bénéficiaire ». Or, les pilleurs sont encore libres comme le vent à l’exception des quelques-uns arrêtés et jugés avec lui et qui passeront un marché avec la cour pour devenir des « témoins à charge » contre Aziz. 

Oui, Aziz pourrait, s’il le veut échapper à la prison en acceptant ce qu’on lui a toujours proposé : s’abstenir de faire de la politique et quitter le pays. Mais il a toujours refusé pensant que le procès sera l’occasion pour lui de se confronter à ses anciens collaborateurs et à démontrer qu’ils sont les véritables auteurs des détournements. Mais, visiblement, il ignore que la justice est encore la même que celle qu’il a lui-même utilisée contre ses détracteurs de l’époque. Il sera condamné et placé en détention jusqu’à ce qu’il comprenne cette réalité, qu’il admette cet état de fait et à partir de ce moment-là, un pays du Golfe lui accordera l’asile avec une obligation stricte de réserve comme à la Maaouiya et moyennant bien sûr une belle fortune. Parce que Aziz se bat aujourd’hui pour les sous qui ont été saisis ou gelés. 

Quant aux implications politiques, elles se résumeront à une perte des droits civiques rendant Aziz inéligible jusqu’à ce qu’il atteigne ses 75 ans.  

 

 Pour certains observateurs, en favorisant la tenue du procès de l’ancien président, le pouvoir actuel soignerait en quelque sorte  son image auprès de l’opinion et des partenaires techniques et financiers. Partagez-vous cet avis ? Mais en même temps, avec le timing, ce procès ne risque-t-il pas de polluer l’atmosphère politique et les prochaines élections locales ?

Le régime actuel qui n’est, à mes yeux, que le prolongement naturel du régime de Aziz a perdu plus que Aziz lui-même ne risque de perdre. Il a perdu toute fiabilité si tant qu’il en ait eu un jour. Il a perdu son pari de mettre en place une vraie justice. Et ce auprès des mauritaniens comme auprès de ses partenaires techniques et financiers. Il a échoué lamentablement à mettre en œuvre ne serait-ce que le 1/10ème de ses promesses électorales de 2019. Et ce, à la fois, sur les plans économique, social. Politiquement, il a certes muselé une opposition qui partageait visiblement avec lui un objectif : avoir la tête de Aziz. 

Concernant, le lien entre le timing et les prochaines élections municipales, législatives et régionales, ce « procès » sera certes l’une des thématiques abordées médiatiquement mais aucun candidat n’aurait le courage d’en parler publiquement à l’exception peut-être de Birame ou de ceux du parti de Saad Ould Louleid si d’ici-là il soutient encore l’ancien Raïs. L’atmosphère de la campagne sera la même qu’avant : des candidats qui n’ont aucun programme ni vision et des soutiens assis sous des tentes qui n’ont rien à faire de la Mauritanie ; ils sont là à cause d’un lien de parenté ou d’intérêt avec le candidat. Ce sera également -et comme toujours- une occasion pour les jeunes filles de chercher des maris et pour les jeunes de s’amuser et de rester tard dans les rues. 

Ce « procès » par contre aura des retombées sur les futures élections présidentielles qui se dérouleront en moins de 18 mois. Il pourrait même en devenir le sujet central.  

 

Propos recueillis par Dalay Lam