Le Président et la Zakat/ Moussa Hormat-Allah*

10 January, 2023 - 18:07

Le président de la République a créé par décret en date 28 décembre 2022, une Administration nationale, chargée de la collecte et de la redistribution de la zakat.

Avec l’état d’esprit fort louable qui sous-tend cette initiative et si les instructions du chef de l’Etat sont scrupuleusement respectées, on assistera, sous peu, à une véritable révolution socio-politico-économique en Mauritanie. Il s’agira d’une avancée historique sans précédent pour le pays. Cela aura pour corollaire la disparition progressive de la pauvreté et de la précarité.

En effet, le budget généré par la zakat, une fois la machine lancée, se chiffrera, probablement, à des centaines de milliards d’ouguiyas. Avec cet apport colossal en argent frais, la zakat permettra d’améliorer de façon significative le niveau de vie des classes sociales démunies. Sans oublier, qu’elle contribuera, par ailleurs, sur le plan politique à apaiser les esprits et à calmer les tensions.

La condition sine qua non pour gagner ce challenge est l’implication personnelle du président dans toutes les étapes de cette opération sur fond de fermeté, de transparence et d’équité.

 

Annihiler la menace des prédateurs

Seul le chef de l’Etat pourra constituer un rempart pour stopper les velléités des prédateurs de tout poil dont la cupidité et la voracité sont sans limite. Ces professionnels du boniment, chercheront par tous les moyens à transformer cette noble entreprise en une affaire lucrative pour saigner à blanc une partie de la population et remplir les poches d’une infime minorité de privilégiés, pour la plupart, corrompus.

La technique utilisée est bien rodée avec, au premier chef, l’attribution des marchés.

Il s’agit d’un univers glauque où les intérêts personnels, la parentèle, les amis et le clientélisme seront, si on n’y prend garde, les seuls critères d’attribution de ces marchés. C’est pourquoi, de solides garde-fous devront être mis en place aussi bien en amont qu’en aval pour dissuader ces sangsues de détourner à leur profit le produit de la zakat.

La corruption, les détournements de deniers publics, les malversations, la prévarication constituent déjà, en eux-mêmes, une infamie particulièrement ignominieuse. Mais s’en prendre à l’argent de la zakat dépasse tout entendement. C’est l’une des pires forfaitures qu’un musulman peut commettre sur terre.

 

Genèse de cette initiative

Dans une étude adressée au président de la République, en date du 8 août 2019, j’ai suggéré la création en Mauritanie d’une Administration nationale, chargée de la collecte et de la redistribution de la zakat. Cette idée a été retenue par le nouveau pouvoir. Le directeur du cabinet du chef de l’Etat m’a alors assuré de l’intérêt particulier accordé à cette initiative. Par la suite, les deux premiers ministres qui se sont succédé à la tête du gouvernement l’ont incluse dans leurs déclarations respectives de politique générale devant l’Assemblée nationale. Le nouveau décret du président créant cette administration vient couronner ce processus.

Cette étude sur la zakat sera publiée dans la prochaine livraison du Calame. Le lecteur pourra y trouver, notamment, l’organigramme, les différents mécanismes de fonctionnement, les mesures de sauvegarde de cette institution et son incidence particulièrement bénéfique sur les comptes publics.

Avant de terminer une remarque et un commentaire.

 

L’acquittement traditionnel de la zakat n’est pas conforme avec la Sounna du Prophète

Pour le musulman, la zakat est une obligation religieuse au même titre que la prière. Ne pas acquitter cette dîme est une rébellion contre Allah et Son prophète. Tout chef d’Etat musulman est tenu de veiller à son acquittement, même par la force.

La technique d’acquittement de la zakat a été dévoyée au fil des époques. De nos jours, son acquittement dans la quasi-totalité des pays musulmans n’est pas conforme à la sounna du Prophète. Du temps du Messager d’Allah et, par la suite, des califes bien guidés, la zakat était perçue et redistribuée équitablement entre les pauvres et les nécessiteux contribuant ainsi à un nivellement par le bas de la société.

Pour être donc conforme à la sounna et contrairement à ce qu’on fait aujourd’hui, la zakat doit être perçue et déposée au Trésor public avant d’être redistribuée aux ayants droit. Il n’est donc pas question de la verser directement, même à un parent nécessiteux. La zakat doit, une fois de plus, passer par le Trésor public (Beit El Male) et le détenteur du pouvoir, monarque ou président, doit veiller scrupuleusement à sa répartition. Cette affectation du produit de la zakat doit se faire d’abord au profit des individus concernés et, le cas échéant, à des projets socio-économiques en faveur de cette même catégorie de citoyens ou de toute autre entreprise d’intérêt général.

 

Qui pourra diriger l’Administration de la zakat ?

La création d’une institution étatique centralisée pour la collecte et la redistribution de la zakat en Mauritanie est une première dans le monde arabo-musulman. Bien gérée, elle sera un puissant levier pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, car elle disposera de moyens financiers conséquents.

Une fois de plus, le budget de l’Administration nationale de la zakat se chiffrera, probablement, en centaines de milliards d’ouguiyas. Un montant dont la simple évocation donne le tournis. Comment, dès lors, ne pas penser au choix de l’homme qui aura en charge la gestion de ce budget hors normes ?

La personne qui sera choisie pour ce poste devra, à mon avis, répondre à six critères bien précis :

  1. La crainte d’Allah et la peur du châtiment divin dans l’Au-delà.
  2. Une probité et un désintéressement avéré de la chose matérielle et une rigueur bien établie dans la gestion des deniers publics.
  3. Une compétence connue et reconnue et une grande expérience des rouages de l’Etat, du microsome politique et du monde des affaires pour savoir là où il met les pieds.
  4. Une connaissance pointue des problèmes économiques et sociaux du pays.
  5. Un tempérament qui met à l’abri des compromis et des compromissions et qui permet de dire ‘’non !’’ quand les limites du droit chemin vont être franchies.
  6. Une personnalité consensuelle.

 

J’ai beau passer en revue nombre de personnalités et je n’ai trouvé qu’une seule qui répond à ces six critères. Je pense que l’homme en question pourra s’acquitter convenablement de cette mission sacrée. Il s’agit d’un grand commis de l’Etat qui coche pratiquement toutes les cases.

 

 

 

  • Plusieurs fois ministre ;
  • Docteur en fiscalité, professeur de Finances publiques ;
  • Parfaitement bilingue ;
  • Connaissance approfondie du droit musulman ;
  • Homme affable, ouvert, connu pour son humilité, son intégrité morale et son sens élevé de la chose publique. Mais aussi pour son intransigeance quand l’essentiel est en jeu.

 

Avant de prendre, éventuellement, la lourde responsabilité de l’Administration de la zakat, il serait tout indiqué, à mon avis, que cet homme soit nommé à la tête de la commission préparatoire, prévue à cet effet.

 

Avec un tel homme à la barre, l’Administration nationale de la zakat, placée sur les bons rails, sera à l’abri des effets néfastes de la corruption, de la gabegie et autres travers de gestion.

Pour des raisons, souvent, partisanes, clientélistes ou régionalistes, on a procédé, par le passé, des décennies durant, à des nominations, au pied levé, qui ont causé de graves préjudices à l’Etat et ont fragilisé certains secteurs nationaux vitaux. Le temps est venu de rompre avec de telles pratiques où la moralité, la compétence et le mérite sont, souvent, relégués au second plan.

 

 

*Professeur d’université

Lauréat du Prix Chinguitt