Incertitudes-08 (suite et fin) : Opposition: les raisons de l’apocalypse “Now”.Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

2 November, 2022 - 23:37

Notre opposition était qualifiée de diverses manières et par des noms aussi très diverses : L’opposition traditionnelle dite démocratique: RFD ou Rassemblement des Forces Démocratiques, UFP ou Union des Forces du Progrès, APP ou  Alliance Populaire Progressiste …
L’opposition jugée par une certaine opinion d’”extrémiste”: IRA, partis et organisations négro-africaines (FLAM…)
Les réseaux sociaux cherchent à exprimer dans une certaine mesure l’opinion d’une frange silencieuse de la population.
L’opposition courante ne cesse de se muer en fronts des fois sans visages.
On se choisit les idéaux les plus nobles et les plus captivants, des fronts pour la défense des grandes valeurs: la démocratie, la défense de la constitution et toujours pour la défense de l’unité nationale. À plusieurs reprises, on forme un front commun uni en période de paix et qui se désintègre en période électorale.
Une éternelle attitude controversée vis-à-vis des élections à propos de la participation et la non-participation ou boycott. Souvent boycott suivi de participation précipitée au dernier moment.

Des péripéties semées d’embûches
L’opposition actuelle est native du lancement du processus démocratique en 1991. Le FDUC ou Front pour la Démocratie, l’Unité et la Construction avait donné naissance à l’UFD (Union des Forces Démocratiques). Une nébuleuse, comme disaient certains à l’époque, qui avait réussi à fédérer l’ensemble des forces d’opposition au régime de l’ex Président Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Citons en : les sensibilités négroafricaines comme les FLAM et de nombreuses autres issues des événements sanglants de 1989-1991, la mouvance MND encore tenace dans sa combativité, la sensibilité islamiste qui donnera plus tard naissance à un grand parti de la scène nationale: Tewassoul, un large regroupement de forces traditionnelles issues des anciens régimes qui s’étaient regroupées autour du candidat Ahmed Ould Daddah aux présidentielles de 1991 avant de rejoindre le parti UFD après lesdites présidentielles gagnées par le président Taya à l’aide d’une énorme machine de fraude et de manipulation électorale. À la veille de cette campagne présidentielle, Ould Taya avait fondé son propre parti, le PRDS ou Parti Républicain, Démocratique et Social.
La confrontation entre les deux camps durera près de deux décennies.

Des éternelles mutations
L’opposition va connaître de nombreuses et profondes mutations. De la désintégration de l’UFD sortira plusieurs nouvelles formations politiques. Presque chaque sensibilité se transforme en parti politique distinct. Ainsi nous aurons: le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) de Ahmed Ould Daddah, l’Union des Forces du Progrès ayant à sa tête Mohamed Ould Maouloud, prolongement de la sensibilité MND. Dans une deuxième phase, la sensibilité islamiste quittera l’entourage de Ahmed Ould Daddah pour fonder le parti Tewassoul. Une grande partie du monde noir du pays, haratines et négroafricains, vont, dans un premier temps, se regrouper dans l’AC ou Action pour le Changement, dissoute plus tard par le pouvoir, avant de se scinder en plusieurs formations pas toujours en parfaite harmonie. Messaoud Ould Boulkheir rejoindra l’APP, une petite formation nasseriste qu’il transformera rapidement en instrument personnel de lutte et de manœuvres politiques et parfois politiciennes. L’APP de Messaoud prépare des congrès sans jamais tenir un seul. Les formations négroafricaines  avec Bâ Mamadou Alassane, Sarr, Thiam.., et autres se maintiennent en dépit des harcèlements de tous les pouvoirs. De nombreuses formations politiques sans positionnement politique déterminé verront le jour, presque tous depuis l’époque Ould Taya. Parmi elles le parti UDP de Mint Mouknass, fondé au début par des anciens du régime du président Mokhtar. À l’exception peut-être du RFD d’Ahmed Ould Daddah, les principales formations non nettement négroafricaines, avaient composé à un moment ou un autre avec le pouvoir.
Au temps du président Maouiya, l’espace temps n’est jamais respecté dans les échéances électorales. À chaque fois, pour des raisons d’occupation de l’opinion, des élections anticipées sont organisées. Ce processus de campagne électorale permanente aura pour impact de fatiguer et d’user la combativité des partis aux moyens limités. Seul le parti du pouvoir et celui des islamistes (Frères Musulmans) avaient profité d’une telle situation. Les islamistes puiseraient en permanence des financements extérieurs, Qataris notamment.
Les autres formations ne cessent de s’user pour de nombreuses autres raisons. A l’image du RFD, soumis à une forte pression permanente de la part des différents pouvoirs visant à l’affaiblir par une action de sape interne. Le parti au pouvoir lui arrache en permanence de nombreux cadres de valeur.
À son tour l’APP de Messaoud Ould Boulkheir n’est jamais épargné par les pressions et les harcèlements des pouvoirs successifs. Son emprise presque totale sur le monde haratine dérange énormément. Raison pour laquelle on ne cesse de lui chercher des challengers en mesure d’atténuer l’emprise de Ould Boulkheir sur les larges masses haratines. Le phénomène Biram sera accouché par ce genre de manœuvres. Il arrive souvent que le sorcier est absorbé par sa sorcellerie.

 

 

Ahmed et Messaoud hors-jeu
Les deux hommes, chefs de file de l’opposition, Ahmed Daddah et Ould Boulkheir, feront l’objet d’une mesure de restriction de leur ambition pour le pouvoir. C’est ainsi que l’âge légale maximum pour la candidature aux présidentielles sera limitée à 75 ans. Les deux hommes, Ahmed et Messaoud, visés par cette mesure frôlent déjà à l’époque les 70 ans.
L’UFP, de son côté était en butte à de multiples difficultés et obstacles. C’était, en quelque sorte, le seul parti qui pourrait être qualifié de bicéphale. L’existence à sa tête de deux chefs au caractère d’acier et aux visions des choses de plus en plus distancées ne facilite nullement son fonctionnement et sa direction. En effet le parti assisté et développé dans ses premières phases par feu Mohamed Elmoustafa Ould Bedreddine, sa direction sera progressivement usurpée par Mohamed Ould Maouloud à l’aide de manœuvres dilatoires. «  Vous voulez me mettre en retraite anticipée?” s’écria Bedreddine une fois en rigolant à la face de Maouloud et ses complices qui le priaient de céder l’ordonnancement du budget au président Mohamed Ould Maouloud. Bedreddine était secrétaire général du parti. Ses détracteurs étaient conscients de l’intérêt de mettre la main sur les ressources financières du parti. Cette position leur facilitera la conquête des esprits des militants et sympathisants. Contrairement aux apparences, à l’opposition on gère parfois les budgets pire qu’au sein des administrations financières des régimes les plus corrompus.
Au cours des différentes échéances électorales suivantes Mohamed Ould Maouloud évite à chaque fois d’emprunter le même chemin que Bedreddine.
Depuis le congrès de l’UFD de 1996, Maouloud préfère composer à chaque fois que c’est possible avec Ahmed Ould Daddah, désormais chef du parti RFD. Ils partagent tous les deux une certaine animosité à l’égard de Bedreddine.
Les différentes échéances électorales suivantes ne feront que confirmer ces éléments d’analyse.
Désormais Ahmed Ould Daddah, privé de la possibilité de se présenter aux présidentielles, s’intéresse de moins en moins à la politique et à ses échéances électorales. Ce qui n’échappe pas aux militants de son parti le RFD. Ils se détournent à leur tour de la chose politique. Le parti perd progressivement sa grande capacité de mobilisation.
C’était  ce mauvais moment que le président de l’UFP Mohamed Ould Maouloud choisit pour lier une sorte de sainte alliance avec Ahmed Ould Daddah du RFD. Dans toutes les apparitions, de plus en plus rares d’ailleurs, d’Ahmed  on trouve Mohamed à sa droite.
Comme les élections ne mobilise plus Ahmed, interdit des présidentielles, il s’en désintéresse. Il avait toujours tendance à les boycotter.  À plusieurs reprises il entraîne avec lui son ami Maouloud dans cette suicidaire politique de la chaise vide.
Avec la tentation de barrer la route à Bedreddine, Maouloud se voit obligé de participer aux présidentielles de 2019 et d’imposer Khalilou, l’un de ses complices aux législatives à la place de Bedreddine soutenu pourtant par les 2/3 de la fédération du parti à Nouakchott. À la présidentielle Maouloud, appuyé officiellement par le RFD de Ahmed O Daddah, obtient 2% des voix soit la moitié de son score de 4% en 2007. Il crie encore à la fraude.
Biram Ould Dah qui investit la place désertée par Messaoud dans l’espace Haratine se place en deuxième position avec plus de 19%.
Nous vivons une période exceptionnelle caractérisée par la démission collective de la classe politique. Le plus grand perdant de cette situation de vacance politique n’est autre que le pouvoir en place. Pas d’opposition, pas d’éclairage critique sur les défauts de chaque situation donnée.
Un contexte nouveau s’installe dans le pays. Contexte caractérisé par l’affaiblissement général de l’ensemble des acteurs politiques traditionnels à l’exception de ce collant  de Biram qui ne cesse de s’autonourrir de la sève de la misère séculaire d’une couche sociale dont les pouvoirs publics n’arrivent pas encore à trouver l’option salvatrice susceptible de la  tirer d’affaire.
D’ici là elle demeure assez souvent à la merci d’habiles agitateurs  qui se relaient sur son calvaire.
Et d’ici là encore la situation nationale demeure à son tour toujours chargée d’incertitudes.