Incertitudes (5) : Enfin à Tijikja.Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

5 October, 2022 - 16:51

Le meeting de Tijikja eut lieu tard dans la nuit. Après une journée marathon d’une bonne dizaine d’heures de piste avec peu d’escales, nous arrivons àTijikja, la prestigieuse capitale du Tagant. Nous avions emprunté le chemin du gouverneur Christian Legrais décrit dans son passionnant récit “Naissance d’une nation”.  Pour ma part, j’étais emporté par un enthousiasme débordant de visiter pour la première fois un haut lieu de notre lutte patriotique d’antan: la ville combattante de Tijikja.
Pour des raisons d’occupation politique à Nouakchott et ailleurs, la plupart des dirigeants de l’UFP s’étaient séparés de nous en cours de route. Seul  Bedreddine était resté tout près du Président Maouloud. Sans aucun état d’âme et sans le moindre signe de gêne ou de frustration, il ne cessait de jouer vaillamment son rôle, son officiellement second rôle. Dans une parfaite bonne humeur, il donne des explications aux uns, des informations à d’autres. Il conclut souvent ses interventions par: « … nous gagnerons Inchallah la présidentielle, nous usons de notre clef (la clef servant de sigle au parti), pour ouvrir le palais présidentiel et nous y installerons notre président de la république Mohamed Ould Maouloud ».
En ce moment, le président Maouloud, à l’image d’un Cheikh soufi, est gardé secret, loin des regards d’éventuels curieux kadihines orthodoxes, dans une chambre parfaitement bien surveillé par le Parfait Secrétaire. Des parents ou supposés notabilités locales sont filtrés pour le rencontrer et demander sa baraka. À dire vrai le président de la République est plus accessible que celui de l’UFP.
Au meeting de Tijikja, si j’ai bonne mémoire, un peu moins de la moitié de la délégation initiale, était parvenue à Tidjikja dont un grand nombre de compagnons probablement non militants du parti. Il y’avait par exemple deux à trois notables je crois Ideyboussat. Je ne me rappelle pas des raisons de leur présence au sein de la délégation d’un parti jugé encore radical par l’opinion.
Il y avait également ce jeune Tall, le patron de l’hôtel de Kaédi. Moi aussi j’ai pu tenir jusqu’au bout.
 

Des ratés au meeting
Exténués, tous sans exception, après une journée marathon et une tournée forcée en ville, au lieu du meeting, on se presse pour trouver une chaise pour s’y reposer. Les organisateurs tenaient d’abord à servir en chaises leurs parents parmi la délégation. Puis ils s’arrangeaient pour se partager le reste.
Pendant un bon bout de temps, Tall et moi restions debout sans chaise. Après beaucoup de sollicitations et de protestations, j’ai fini par lui trouver une chaise auprès d’un ancien ami, camarade même. Pour ma part, j’ai terminé le meeting debout comme une fidèle sentinelle.
Mes nombreuses connaissances parmi les présents ne cessaient de me regarder et de me sourire sans pour autant me proposer une chaise.

Discours à cachet local
Le meeting s’ouvre par quelques interventions souhaitant la bienvenue surtout au président du parti, mettant l’accent sur son appartenance au bled.
Le discours du président, qui retrouve une intonation inhabituelle, clôtura le meeting. À ma grande surprise, il avait revêtu un caractère essentiellement local. La poignée d’étrangers à la région dont je faisais partie était perdue dans une atmosphère plutôt familiale pour ne pas dire régionale ou purement tribale.
Le discours du président fut délibérément axé sur une sorte de polémique à l’adresse d’une force adverse locale qui, si j’avais bien compris, se disputait avec le camp du président la priorité d’appartenance au bled Tijikjikois.
Au lieu d’hébergement, je me suis pressé de rejoindre le groupe de journalistes privés qui accompagne la délégation pour partager avec eux ce qui pourrait leur être servi comme thé, repas et même espace où passer le reste de la nuit.
 

Visite surprise
Au petit matin, à ma grande surprise, je fus réveillé par mon ami le président. Je ne sais pas comment il a pu échapper à la vigilance de son Parfait Secrétaire. Pour la première fois, depuis le début de notre marathon, il s’approche de moi pour s’enquérir de ma situation. En fait il m’a juste demandé comment j’apprécie le petit moment déjà passé à Tijikja. Essoufflé, faute de trouver rapidement la réponse à une question qui m’embarrassait au plus haut point, j’ai répondu laconiquement: je l’ai passé comme ça. L’échange entre nous s’arrêta aussitôt.
 

Quand  Chirac donne l’exemple

Une fois, j’ai suivi un programme radio à propos de la conduite de certains chefs d’Etat français vis-à-vis de leurs compagnons au cours de leurs nombreux voyages. Le programme, si j’ai encore bonne mémoire, donnait  Chirac comme meilleur exemple dans ce domaine. En plein vol, à l’hôtel et même en réunion, celui-ci tenait toujours à s’enquérir de la situation de chaque membre de ses compagnons.
Et si l’éminent chef de la droite française se comportait de la sorte, que pourrait-on attendre d’un ancien dirigeant, ancien meneur d’un maquis d’extrême gauche? Un exemple me revient à l’esprit. Mon très cher camarade et ami et ancien compagnon de « Tijirit » dans des quartiers populaires de Nouakchott, Mohamed Abdellahi dit Nahah, donne absolument le bon exemple dans ce domaine. En dépit de certains airs hautains, le secrétaire général de la CGTM ne rate jamais l’occasion de s’asseoir au même niveau que ses collaborateurs dont son planton et son gardien pour rigoler et prendre le thé ensemble. Sa seule condition est de lui donner toujours raison dans tout ce qu’il dit. Il a hérité cette conduite, s’inspirant d’un ancien adage de « poisson dans l’eau », de son parent et ex-secrétaire général de l’UTM, feu Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Radhi. Manifestement l’expérience syndicale est indispensable pour tout dirigeant politique.
Le pays en entier était traversé par la fièvre de la campagne électorale. Je n’ai pas le temps d’en observer suffisamment. J’étais pourtant libre. À l’UFP, on n’évite de me confier la moindre tâche. Là, on s’agite, on s’affaire. Les éléments qui  donnent l’impression d’être la direction morale du parti semblent suivre de près le Président, qui semble à son tour, leur être disputé par une force non encore identifiée. Le parfait Secrétaire ne cache pas son embarras de leur va-et-vient incessant dans le bureau du président.

Un certain remue-méninges
Depuis un certain temps, le parti est envahi par des visages dont bon nombre d’anciens militants du MND, parents pour la plupart du président, ayant décroché depuis longtemps avec le mouvement et avec la politique pour certains. Ils cherchaient des postes juteux dans la direction de la campagne. Ce que plusieurs d’entre eux avaient obtenu après quelques rencontres avec le président. Il semble que les financements de campagne obtenus proviennent principalement des parents du président. Raison pour laquelle leur gestion aurait été confiée aussi à leurs parents nouvellement venus.
Une fois, je lui ai exprimé la nécessité de m’intégrer dans les activités de la campagne. Je l’ai connu rapide en matière de décisions organisationnelles. Immédiatement, il me demanda de lui faire un briefing quotidien écrit sur la situation générale de la campagne dans le pays. Je suis sûr qu’il n’a pas eu le temps de le lire si vraiment ça l’intéressait.
Puis vint le jour J: l’organisation du premier tour des élections. À la présidentielle le candidat de l’UFP Mohamed OuldMaouloud obtient quelques 4%. On crie à la fraude. Aux législatives, les candidats Bedreddine et Kadiata Diallo, parmi d’autres, réalisent des scores très honorables et sont élus députés à l’Assemblée Nationale. La déception et le découragement se lisent sur tous les visages. À l’UFP, comme avant au MND, aux yeux de ses fans ou ceux qui se présentent comme tels, le président Maouloud ne devrait jamais échouer. On ne lui comptabilise aucune faute ou erreur. S’il arrive qu’il commette une faute ou une erreur, c’est inévitablement la faute ou l’erreur des autres. Cette absence d’autocritique sera fatale pour le parti.
(À suivre)