Chronique judiciaire de l’année 2022 : Une justice en quête d’affirmation. Par Mohamed Bouya Ould Nahy, magistrat

20 September, 2022 - 15:06

Après une année 2021 ponctuée d’affaires retentissantes, vient l’année judiciaire 2022, une année moins mouvementée, mais riche d’enseignements.

 

Rappel des principales affaires de l’année 2021 

 

I/L’Ex- Président devant la Justice
Poursuivi pour des manquements dans la gestion des revenus de l’Etat et des marchés publics, l’Ex-Président est déféré devant la justice, le 11 mars 2021 sur la base du procès verbal de la Police judiciaire dressé à cet effet.
Le Procureur l’inculpe avec 12 autres responsables, de chefs d’accusation relatifs au blanchiment d’argent, à l’octroi des privilèges injustifiés dans le cadre des marchés de l’Etat.
Interrogé par les juges, l’Ex-Président refuse de répondre, en invoquant  son immunité. Le collectif des avocats du Président, dirigé par Me Ichidou soutient que pour "les faits commis pendant qu’il était chef de l’Etat, seule la Haute Cour de Justice peut le juger". Pour l’avocat de l’Etat mauritanien Me Brahim Ebetty, ces actes sont détachables de la fonction du président et donc, susceptibles de poursuite devant la justice ordinaire.
L’affaire est, ensuite, transmise au Juge d’instruction chargé des infractions économiques et financières. Le juge le convoque plusieurs fois pour l’auditionner sur les faits, avant de le placer en détention pour non-respect du contrôle judicaire. Puis, il décide de le placer sous contrôle judiciaire, en Janvier 2022 suite à des problèmes de santé.
 
-Le dossier de la BCM jugé par la Cour d’appel
Cette affaire remonte à Juillet 2020, à la suite d’une plainte déposée par la Banque Centrale de Mauritanie contre une caissière pour détournement, et malversation. Les montants en jeu s’élèvent à plusieurs centaines de millions.
L’employée reconnait les faits, mais se défend d’avoir agi toute seule et invoque l’implication de hauts responsables dans le détournement.. Six autres personnes sont incriminées dans le dossier, dont un cinéaste.
Saisie de l’affaire, la Cour anti-corruption de Nouakchott-Ouest condamne la principale accusée à six ans d’emprisonnement et au remboursement des sommes détournées.
Le parquet et la défense de l’accusée font  appel de la décision devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Nouakchott-ouest. Cette dernière, ordonne la libération de l’accusée, à condition toutefois de restituer les montants détournés.
 

II/ Les faits marquants de l’année 2022

 

-Levée de contrôle judiciaire de l’Ex-Président
Placé sous contrôle judiciaire pour de raisons de santé, l’Ex-Président retrouve sa liberté de mouvement, le 07 Septembre après l’expiration du délai de son contrôle judiciaire. Une semaine plus tard, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel confirme la décision de son renvoi avec ses co-inculpés devant la Cour Anti-corruption.
Ses avocats réagissent en interjetant un recours contre cette décision devant la Cour Suprême. Cette dernière doit statuer incessamment sur le recours de la défense.
Ce dossier aux multiples rebondissements, constitue un véritable test de capacité pour la justice mauritanienne. (Affaire à suivre).
 

-Sortie de prison de la principale accusée dans l’affaire BCM
Suite au recours interjeté par sa défense, la caissière condamnée dans l’affaire de la BCM, est finalement sortie de la prison, après le retrait de plainte et le versement d’une importante caution financière.
La justice met fin à ce dossier, sans réussir toutefois à mettre toute la lumière sur les zones d’ombre de cette affaire, deuxième en son genre..

 

-Résistance à la cour suprême
Dans sa mission de contrôle judiciaire, la Cour suprême rend des décisions contraignantes, pour les juges qui sont tenus de les appliquer. Cependant, dans la pratique, il arrive que ces derniers, pour des motifs divers, contournent les décisions de la Cour, en confirmant leurs positions initiales par rapport à des questions tranchées différemment par la Cour suprême.
Ce phénomène récurrent a pris de l’ampleur ces deux dernières années avec le refus réitéré des juges de l’appel de se conformer aux directives de la Cour en matière de liberté provisoire.
D’ou la nécessité d’organiser des rencontres d’échanges et de partage entre les magistrats de la Cour suprême et les membres des Juridictions d’Appel…