Trois ans de règne : Un chemin semé d’embûches

4 August, 2022 - 01:16

L’arrivée en 2019 du président Ghazwani à la tête du pays suscita un immense espoir des Mauritaniens qui avaient eu à supporter un pouvoir personnel hyper centralisé et marqué par une gabegie que quasiment personne n’avait osé dénoncer. Les dix ans d’Ould Abdel Aziz avaient fini par étouffer la grande majorité de ses concitoyens, seuls quelques proches et laudateurs ayant su tirer leur épingle du jeu. Appauvrissement de la plupart des gens, engraissement d’un petit panel de privilégiés… Le fossé ne cessait de s’élargir entre les uns et les autres.

Ould Ghazwani était connu pour son tempérament modéré. Une fois son serment prêté, il n’a pas voulu imposer sa marque. Voilà comment fut sacrifié, à l’autel de la continuité, le changement que tant de Mauritaniens espéraient, à défaut d’une improbable rupture, aussi bien pour les hommes que pour la gouvernance. L’ex-ministre de l’Enseignement supérieur et porte-parole du gouvernement, Sidi Salem, vendit la mèche lors d’un commentaire d’après conseil des ministres, quelques jours après la prestation de serment du nouveau Président. Nous étions donc avertis et les évènements qui suivirent ont beaucoup abondé en ce sens. Au lieu de commencer à renouveler et imprimer sa marque au gouvernement, Ghazwani s’est vite lancé dans un vaste recyclage des apprentis de son prédécesseur. De son Premier ministre aux petits directeurs et chefs de service…« Il ne fera pas de vagues », estimaient ceux  qui pensaient connaître l’homme.

 

Opportunisme !

Comment alors comprendre le combat qu’il engagea contre la gabegie et qui ne pouvait ne pas viser son « ami de quarante ans » ? Toujours est-il qu’il ne manqua pas d’occasions pour « balayer la maison », comme l’avait dit l’ex-putschiste Robert Gueî en Côte d’Ivoire. Tout d’abord la chaude alerte d’Akjoujt, la capitale de l’Inchiri qui abrita, en 2019, les festivités de l’Indépendance du 28 Novembre. Le refus de l’ex-Président de répondre à l’invitation d’assister aux festivités suscita des secousses jusqu’au BASEP dont le patron fut limogé dans la foulée, certains évoquant une tentative de déstabilisation du nouveau pouvoir par Ould Abdel Aziz.

Mais alors qu’on attendait un grand coup de balai au sein, non seulement, du bataillon de sécurité présidentielle mais, également, de tous les corps, le nouveau Président se contenta de quelques retouches pour placer, dit-on alors, ses hommes de confiance. Il est vrai que l’homme connaissait bien la Grande Muette pour l’avoir dirigée durant plus de dix ans. « La situation est sous contrôle », commenta sobrement le ministre de la Défense, suggérant ainsi que le nouveau pouvoir avait bel et bien connu une première alerte. Quelque chose s’était passé au sommet de l’État.

Dans la foulée, on vécut la fameuse controverse autour du contrôle de l’UPR, principal parti de la majorité présidentielle. Se prévalant de son emprise sur cette formation politique et du soutien de ceux qui avaient hier mangé dans sa main, Ould Abdel Aziz se permit d’en convoquer quelques instances, ce qui ne manqua pas d’irriter le nouveau Président et ses soutiens. « L’Ex » avait visiblement sous-estimé la capacité de réaction de son successeur. Le congrès de l’UPR convoqué fin Décembre 2019 trancha en faveur du nouveau Président. Ould Abdel Aziz perdait une deuxième bataille. Ceux qui avaient applaudi et demandé un troisième mandat pour celui-ci retournèrent rapidement leur veste. Opportunisme, quand tu nous tiens !

La mutation de l’UPR démarrait ; les farouches soutiens du nouveau pouvoir appelaient à une rupture radicale avec l’ancien. Celle-ci parut s’enclencher avec la mise en place de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) de l’Assemblée nationale (et s’est récemment confirmée avec la redénomination de l’UPR en INSAF). Ould Abdel Aziz ainsi que bon nombre de ses anciens collaborateurs et proches se voyaient épinglés par ce rapport. Le peuple applaudit, espérant voir les milliards subtilisés durant le règne de l’ex-Président retourner, au profit des citoyens, dans les caisses de l’État.

Ould Ghazwani allait-il enfin nettoyer les écuries d’Augias ? Pour les Mauritaniens, le Président devait renouveler la classe politique et limoger les dirigeants impliqués dans le pillage des ressources de leur pays. Mais ils durent, hélas, vite déchanter. La plupart des accusés furent maintenus ou juste déplacés. Les plus décriés finirent même par être lavés de tout soupçon et revenir dans les grâces du Palais. La continuité, donc, encore et toujours…Tandis que la lutte contre la gabegie, thème-phare de la campagne de Ghazwani et de celles de son prédécesseur, tardait – tarde encore… – à donner des fruits. De cent trente, la liste des suspectés de détournements s’est aujourd’hui réduite à douze. Les soutiens de l’ex-Président et de ses proches crient au règlement de comptes et à la chasse aux sorcières…

 

Continuité

Bilan des courses, les Mauritaniens estiment, en grande majorité, que la gabegie continue de plus belle, sous diverses formes : marchés de gré à gré, manquements graves dans la gestion des projets et autres établissements publics, etc. Les rapports de l’IGE et de la Cour des Comptes en témoignent chaque année et le rattachement de l’IGE à la Présidence ne semble guère produire d’effets, à ce jour. En s’engageant à rembourser les sommes détournées, ceux qui sont pris la main dans le sac ne sont pas envoyés en prison. Une espèce d’impunité qui ne dissuade en rien les voleurs. La multiplication de structures budgétivores, des conseillers et chargés de missions au Palais, à la Primature et dans les ministères, constitue un vrai gaspillage des deniers publics, en ce que ceux-là ne servent pas à grand-chose, dans leur écrasante majorité.

Une autre occasion pour le président Ghazwani de se débarrasser des incapables fut le constat qu’il tira lui-même de l’exécution de son programme électoral. Au cours d’une réunion avec quelques membres de son gouvernement (Équipement et transports, Urbanisme et habitat, Taazour…), le président de la République déplora les lenteurs dans l’exécution de ses projets électoraux. C’était un désaveu cinglant pour ses responsables. Quelque temps après cette sortie, le ministre du Développement économique et des secteurs productifs révéla que bon nombre de projets souffraient de retards et qu’on se retrouvait avec des problèmes de décaissement. Une situation déplorable pour ne pas dire inacceptable car elle donne le sentiment que la Mauritanie est incapable d’absorber les financements qu’elle draine. Là encore, on s’attendait à des limogeages. Mais, surprise, certains des indexés furent reconduits dans la dernière équipe gouvernementale, avec, à leur tête, le même Premier ministre...

Le 28 Juillet dernier, Ould Ghazwani présidait la réunion du comité de pilotage des projets et demandait d’accélérer la cadence dans l’exécution de ses projets. Au sortir de cette rencontre, la cellule du suivi publiait une évaluation de ceux-ci (voir encadré). Leur impact sur la vie des populations reste assez peu perceptible, la hausse des prix des denrées de première nécessité et, récemment, du carburant en réduit beaucoup la portée.

Dernière occasion en date, pour le Président, de manifester un changement fut sa sortie mouvementée au Stade de la capitale où il allait présider la finale pour la Coupe nationale. Il s’y est vu pour la première fois hué par le public. Les images diffusées sur les réseaux sociaux ont montré un président humilié, frustré…Même les joueurs passaient devant lui sans lui tendre la main ni lui prêter attention. Beaucoup se sont demandé qu’allait-il faire dans cette galère, quelques petits jours après l’augmentation des prix du gas-oil à la pompe, aussitôt répercutée sur les tarifs des transports en taxi. Écrasés par la cherté de la vie, notamment des denrées de première nécessité, des organisations et des jeunes sont descendus dans la rue. Dans ces conditions, pourquoi les proches du Président et les services de sécurité et de renseignements ne l’ont-ils pas dissuadé de se présenter en ce stade où une grande partie du public l’attendait apparemment de pied ferme ? Ils ont fait prendre d’énormes risques au président de la République. L’opinion s’attendait à une réaction ferme du Raïs : il a fini par annuler plusieurs étapes de sa visite au Gorgol et en Assaba…

Certes Ould Ghazwani ne cause pas de problème aux gens, contrairement au belliqueux Ould Abdel Aziz, mais cela ne suffit pas. Les Mauritaniens avaient vraiment soif de changement, après les dix années de règne de son prédécesseur. Changement de gouvernance, changement d’homme surtout : on ne peut pas faire du neuf avec du vieux. Pas avec des individus qui traînent des casseroles, pas avec des nominations considérées « monocolores » par certains citoyens, pas avec des dosages tribaux et régionaux…Surtout lorsqu’on prône, dans son discours, la lutte contre les archaïsmes, pour la justice et l’équité. Ould Ghazwani doit sortir de son silence, parler aux Mauritaniens, dans les media officiels – et, pourquoi pas, privés – au lieu de ne traiter qu’avec la presse étrangère qui ne donne pas dans la dentelle, financièrement parlant.

En dépit de sa volonté affichée de régler le problème de l’unité nationale, le président de la République n’en a pas fait non plus évoluer ce dossier. À sa décharge ici, les associations des veuves, des orphelins et d’autres rescapés peinent à accorder leurs violons. Mais on peut aussi ajouter, au rayon des occasions manquées, la réforme du système éducatif contestée par les associations de promotion des langues nationale pulaar, soninké et wolof. OLAN a vu son sit-in devant le Parlement violemment réprimé, les uns et les autres dénoncent un projet dont l’« objectif est de forcer leur arabisation ».

Il faut tout de même reconnaître que le contexte n’a pas été favorable au nouveau Président. En plus de la pandémie COVID 19 dont la gestion du fonds spécial continue à interroger, Ghazwani hérita du lourd fardeau de dix années de mauvaise gestion et de gabegie au sein d’un système laxiste, avec une administration déconnectée, des cadres, élus et notabilités formés à l’école du tribalisme, du népotisme et surtout préoccupés par l’argent facile. Difficile alors de secouer un tel mammouth, si l’on ne veut pas faire de vagues… et qu’on n’est pas un Kagamé !

 

                                                              Dalay Lam

 

 Encadré

Cette évaluation porte sur les réalisations des programmes prioritaires dans les secteurs de l'éducation, de la santé, de l'agriculture, de l'énergie, des infrastructures routières et de la transition numérique.

77 % (604 projets sur 786) des projets suivis sont entièrement achevés ou en cours d’exécution ; 23% (182) sont en phase de préparation ou en cours de conclusion de contrats. Voici les exemples au niveau sectoriel publiés par l’agence gouvernementale (AMI) :

- Éducation : 366 projets programmés. 300 (82%) d’entre eux sont réalisés ou en cours d’exécution : 125 (34 %) réalisés, 175 (48%) en cours de mise en œuvre. Les 66 projets restants (18%) sont soit en préparation, soit en phase d'appel d'offres.

- Agriculture : 213 projets programmés. 139 (65%) d’entre eux réalisés ou en cours d'exécution : 73 (34%) réalisés et 66 (31%) en cours d'exécution. Les 74 projets restants (35 %) sont soit en préparation, soit en phase d'appel d'offres.

- Hydraulique : 70 projets programmés. 62 (88%) réalisés ou en cours d'exécution : 18 (26%) réalisés et 44 (62%) sont en cours d'exécution. Les 8 projets restants (12%) sont soit en préparation, soit en phase d'appel d'offres.

- Infrastructures routières : 50 projets programmés. 39 (78%) réalisés ou en cours d’exécution : 20 (40%) réalisés et 19 (38%) en cours d'exécution. Les 11 projets restants (22 %) sont soit en préparation, soit en phase d'appel d'offres.

 

SECTEUR

programmés

réalisés

%

en cours

%

préparation ou appel d’offres

%

Éducation

366

125

34

175

48

66

18

Agriculture

213

73

34

66

31

74

35

Hydraulique

70

18

26

44

62

8

12

Infrastructures routières

50

20

40

19

38

11

22

TOTAL 1

699

236

34

304

43

159

23

Autres

87

64

74

23

26

TOTAL

786

604

77

182

23

 

Soit, en moyenne, un projet sur trois réalisés.