Mohamed Lemine Sidi Maouloud, député et rapporteur du budget de l'Assemblée nationale: ‘’Le RFD et l’UFP ont reçu un coup de poignard perfide dans le dos, en ce qui concerne le dialogue’’

28 July, 2022 - 01:30

Le Calame : Le président Ghazwani a été hué au stade de la Capitale alors qu’il était venu pour assister à la finale de la Coupe du président de la République. C’est une Première en Mauritanie. Quel sens donnez-vous à cette réaction du public ?

Mohamed Lemine Sidi Maouloud : Ce n’est pas la première fois qu’un président est hué par le public. L’histoire politique mauritanienne a été constamment témoin de mécontentements populaires traduits par de telles réactions envers les hauts responsables de l’État. Certains présidents ont fait l’objet au cours de leur magistrature de jets d’œuf, autres propos blessants et accusations directes. 

C’est un acte « naturel » dans un pays qui se veut démocratique. Nous devons éviter de sacraliser les présidents et de les hisser au-dessus de leur nature humaine.  Ce qui s'est passé était une protestation contre les mauvaises décisions prises ces derniers jours et la précaire situation générale. Je pense d’ailleurs que les protestations se poursuivront et prendront des formes diverses.

 

Cet incident grave intervient quelques jours après la décision du gouvernement de faire augmenter le prix du carburant à la pompe. Pouvait-il s’en abstenir ? Sinon, quelles mesures d’accompagnement devrait-il prendre pour limiter l’impact sur les ménages taraudés par la hausse incessante des prix des produits de première nécessité ?

- Oui, le gouvernement pouvait ne pas prendre cette décision. Le problème ne réside pas dans les ressources mais plutôt dans la gestion et la volonté politique ou, en termes plus clairs, dans la persistance de la corruption. Permettez-moi de parler ici en chiffres. Les recettes budgétaires de cette année se sont élevées à 904 milliards d’anciennes ouguiyas, après l’approbation par la majorité au Parlement d’un budget prévoyant des revenus de l'ordre de 800 milliards MRO, soit une augmentation de 104 milliards.

Mais les dépenses prévues au début de l'année ont été hissées à 1081 milliards dans la loi de finances rectificative débattue cette semaine au Parlement et que nous ne voterons pas, en tant qu'opposition. Nous avons en effet constaté de grands déséquilibres au niveau des clauses d’ordonnancement ; les justifications du gouvernement ne nous ont pas convaincus et nous déplorons le caractère flou de plusieurs autres clauses. C’est une erreur d’avoir supprimé les subventions sur les hydrocarbures, comme le prouvent ses conséquences manifestées à ce jour, en particulier l'augmentation du prix du pain et le doublement des frais de transport.

Le budget général de 2018 – avant donc l'arrivée de l’actuel régime au pouvoir – était de l'ordre de 560 milliards MRO. Les dépenses ont atteint aujourd’hui près du double, au moment où le gouvernement affirme avoir dépensé 130 milliards pour subventionner le carburant – un chiffre dont je doute personnellement de l’exactitude – alors que la subvention n’a pas atteint le tiers de l'augmentation du budget après leur accession au pouvoir.

La moitié de cette hausse est pourtant capable de poursuivre la subvention des hydrocarbures, surtout avec le début de la baisse des prix du pétrole et du blé à l'échelle mondiale, et le doublement des salaires de tous les employés qui reçoivent des soldes inférieurs à 150 000 MRO. Mais le problème réside dans la corruption et l’absence de vision, de rigueur et de sérieux.

La solution n'est pas dans des philosophies expérimentées et non réussies. Elles resteront vaines, comme la tentative de soutenir certaines familles avec des sommes dérisoires et d'une manière qui ne permet pas de s’assurer de la transparence de ces opérations de distribution. À titre d’exemple, si une famille reçoit 30 000 MRO par mois, tandis que le transport de ses membres double chaque jour et que les prix du pain et de la nourriture augmentent, ses conditions d’existence vont en fait empirer. Il faut d'autant plus revenir sur la décision d’annuler les subventions au carburant que le gouvernement a bénéficié de la confiance du peuple pendant plus d'une décennie, en affirmant qu'il maintiendrait constant le prix du carburant, quelles que soient les fluctuations mondiales.

 

Au lendemain de cette décision, les taxis ont augmenté de 100% les tarifs de leurs courses à Nouakchott. Des manifestations et arrestations s’en sont suivies. Comment comprenez-vous ces deux réactions ? Comment les députés que vous êtes ont-ils réagi au sein de l’Hémicycle ?

- L’augmentation par les taximens des prix du transport est exagérée. De telles spéculations sont dangereuses et le gouvernement doit s'y opposer. C’est vrai que les autorités sont à l’origine de cette flambée des prix du transport et, par conséquent, de ceux des denrées alimentaires, mais le doublement des prix reste disproportionné aux mesures prises par le gouvernement.

Quant aux députés, ils se distinguent en deux groupes. Le premier se considère comme l'ombre du gouvernement, de telle sorte qu'il n'est possible de distinguer leurs discours qu'en fonction du style vestimentaire et des sièges. C’est le cas des trois-quarts, voire plus, de l’Assemblée nationale. Le second tente de faire pression sur ces mauvaises décisions et de lutter pour susciter davantage d’éveil, et d’équilibre au sein de l’auguste chambre – dans l'arène politique en général – sans toutefois parvenir à gagner la confiance et le soutien du peuple, pour des raisons complexes sur lesquelles on ne peut s’appesantir ici. Mais avant de blâmer les députés, il y a une question fondamentale que de nombreux citoyens instruits semblent préférer ignorer : pour qui avons-nous voté au départ et sur quelles bases ?

Je pense que quiconque a voté pour des raisons tribales, ethniques, régionales ou en contrepartie d’un petit pot-de-vin insignifiant, paiera cinq ans de sa pitance, dès lors qu’il n’existe, entre lui et les parlementaires, aucun contrat social ni aucun engagement politique envers l’intérêt général. Mais celui qui votera sur des bases saines verra le résultat de son choix, même avec un nombre limité de députés sérieux. La solution réside par conséquent à octroyer davantage de sièges aux opposants et indépendants au Parlement ; certes pas dans la perpétuation de l'hégémonie d’un cocktail Molotov qui dirige de manière directe le pays depuis 2008.

 

Ces manifestations sont intervenues quelques jours après la réunion tenue au ministère de l’Intérieur avec les partis politiques et dont l’objectif était de préparer les prochaines élections municipales, régionales et législatives. Comment avez-vous apprécié cette rencontre ?

- Ce type de réunions comporte deux dimensions. La première se rapporte au point de vue technique du processus électoral qui doit être accéléré, en raison du temps qui se rétrécit. La seconde doit être inclusive et imposer un retour au dialogue national. À part cela, il s’agit d’une démarche unilatérale qui ne sert pas le pays. Le ministère de l'Intérieur lui-même doit se rappeler qu'il viole la loi en bloquant l’autorisation des partis politiques : cela provoque la contestation de l’opération politique, en particulier en son aspect électoral, et lance un mauvais message aux partenaires politiques dans le pays et aux donateurs à l'étranger.

 

Au sortir de cette première réunion marquée par l’absence de certains partis représentatifs de l’opposition, le ministre a mis sur la table la question de la CENI, de l’état-civil et le vote de la diaspora... Certaines sources rapportent qu’il n’a pas exclu l’anticipation du scrutin. Que pensez-vous de cet agenda ? 

- Premièrement, les partis absents – je veux dire le RFD et l’UFP – ont reçu un coup de poignard perfide dans le dos, en ce qui concerne le dialogue dont ils formaient une partie essentielle. Quant à la CENI, son destin doit être tranché de façon précoce. Personnellement, je soutiens l'idée de changer sa typologie, puisque la formation d’une commission indépendante à partir de plusieurs partis contredit la notion d'indépendance. On peut également solliciter l’avis de personnes expérimentées, comme son actuel président et ses prédécesseurs, tout en consultant les groupes parlementaires et les partis politiques, etc.

À propos de l'état-civil, les autorités doivent commencer par renouveler les cartes d'identité et sensibiliser sur ce point; faciliter le recensement de ceux qui n'ont pas été enregistrés; et dépêcher rapidement des commissions et des bureaux auprès des communautés expatriées. Pour ce qui est du vote de la diaspora, c'est un droit naturel et il est injuste d'empêcher près de deux cent cinquante mille citoyens de voter pour ceux qui les représentent au Parlement et ceux en qui ils font confiance pour la présidentielle….

La loi organique promulguée en 2018, selon laquelle les députés des communautés sont élus par les parlementaires, est une véritable parodie. Elle est d’abord contraire à la Constitution imposant, en son article 47, que les députés soient élus au suffrage direct et constitue, d’autre part, une injustice envers les colonies expatriées, en les privant du droit d’élire ceux qui les représentent, voire même du droit à se porter candidat, puisque la candidature en dehors du parti qui détient la majorité parlementaire a été rendue utopique en 2018.

 

Que pensez-vous de la réaction des associations et intellectuels négro-africains sur le projet de loi portant réforme de l’Éducation ? À votre avis, le statut et la place accordés dans ce projet de loi aux langues pulaar, soninké et wolof constitue-t-il une avancée ou un recul ?

- Je pense que cette loi n'est pas exempte de défauts, elle renferme des imperfections et des opacités. Néanmoins je pense aussi que c'est un pas timide vers la tentative d'enseigner les enfants, surtout au niveau primaire, dans leur langue maternelle qu’ils comprennent plus que d'autres. J'espère que les lacunes évoquées par les concernés et autres seront évitées. Il y a par ailleurs une tentative d’amender la loi par certains députés, dont mon collègue Kadiata Malick Diallo. Et il existe d’autres insuffisances qui sont discutées par des députés dont certains de la Majorité.

 

Il y a quelques mois, vous aviez lancé, au cours d’une conférence de presse tenue avec plusieurs partis politiques et leaders d’opinion, un appel à un sursaut patriotique démocratique. Beaucoup vous ont suspecté de vouloir fonder un nouveau parti politique. Avez-vous cette intention? Comment évaluez-vous l’impact de cet appel ?

- Il existe un groupe de cadres avec lequel nous formons une alliance politique depuis les dernières élections. J’avais à cet égard déposé un dossier de parti politique au ministère de l'Intérieur mais celui-ci poursuit toujours ses manipulations, en violation flagrante des lois. Cette situation s’applique à de nombreux autres cas, puisque des dizaines d’autres demandes s'entassent dans les tiroirs du Département sans faire l’objet d’une réponse. Le plus étrange en tout cela est que les forces politiques n'accordent guère d'attention à ce dilemme !

Concernant l'appel que j’ai lancé avec d'autres camarades, il a reçu un grand écho. Nous avons par la suite pris divers contacts, même si la plupart d’entre eux n’étaient qu’individuels. Nous sommes en tout cas déterminés à poursuivre la mobilisation de personnalités influentes afin de former un nouveau et fort front politique d'opposition qui évitera les erreurs que celle-ci a commises par le passé, tout en capitalisant son héritage et son parcours.

 

Comprenez-vous pourquoi le président de la République a décidé de zapper ses visites au Gorgol (Toufondé Civé, Foum Gleïta)et en Assaba (Barkeol), alors que les préparatifs battaient leur plein ?

- Je n'ai aucune information à cet égard et je n’accorde pas beaucoup d’intérêt aux visites des présidents, surtout quand c’est le même scénario et la même réalisation qui se répètent.  Toutefois, je pense, à l’analyse des faits, que les autorités ont décrypté les manifestations du Stade comme une partie des messages que le peuple entend leur adresser, partant de la situation difficile qu’il traverse aujourd’hui, notamment après la folle flambée du prix à la pompe.

 

Propos recueillis par Dalay Lam