Une certaine idée de la Mauritanie .... par Abdel Kader Ould Mohamed

23 June, 2022 - 00:43

« Monsieur ! Comment vous êtes Mauritanien et vous vous appelez Brahim ould et en même temps Ndiaye? Je ne comprends pas ! Le Professeur de langues anciennes Ruffier  qui enseignait  le latin (cette langue morte) au lycée Faidherbe de Saint Louis énervé par le sarcasme  vivace de son  élève  bavard, l'interpella de la sorte  pour lui demander, à sa manière, qui es-tu ? 
La raison hellène avait peut-être empêché le candide professeur de faire appel à son cœur pour  comprendre comment cette diversité, inconcevable dans son esprit, reflète une histoire d'amour  bien partagé  par les gens  de Saint Louis.
Il n’avait, peut-être pas, suffisamment lu l'Histoire  pour savoir que l'appellation chrétienne de la ville cache  l'appellation d'origine " Ndar ". Par laquelle les indigènes profondément métissés, désignaient cette passerelle qui fut de tout temps un lieu de brassage des vielles civilisations, dans lequel l'émirat du Trarza épousa le Royaume du Walo et qui est devenu, au fil des siècles et à force d'intenses échanges humains  ainsi que par le mélange des genres, le symbole de la  proche parenté entre la République laïque  mais aussi confrérique du Sénégal et la République islamique, mais quelque part laïcisante de Mauritanie.
Le Professeur n'avait pas  pris le temps de comprendre comment cet élève d'origine sérère est devenu un enfant des nuages en intégrant par sa naissance, bien avant l'élaboration du code de nationalité d'inspiration laïque, les Rgueibat.
Les Rgueibat sont ces grands chameliers du désert dont  l'espace territorial se fout éperdument des stupides frontières tracées au crayon par des officiers de la coloniale et qui symbolisent par leur mode de vie nomade, les Maures.
Les Maures, qui sont en Mauritanie mais qui ne sont pas forcément tous des Mauritaniens, se dit de cette population métissée dont  l'appellation signifie  dans une langue bien morte chez les  Romains " noir "  fut choisie pour designer ‘’la Mauritanie’’. Tandis que l'appellation " Sénégal dont le peuplement est noir " provient du terme " Zanaga " ou Sanhaja en référence à l'origine de la majorité des Maures.
Monsieur Ruffier n'avait pas, surtout, pris le temps, pour comprendre comment le condisciple silencieux, toujours assis sur le même banc avec l'élève mauritanien bavard, s'appelle Gabriel Hatti  alors qu'il est Mauritanien.
Il pouvait bien prendre le temps pour comprendre comment ce chrétien d'origine libanaise natif  de Boghé Escale est devenu un citoyen d'une République islamique qui venait d'être créée sous une khaima, en plein désert, par des Mauritaniens de différentes origines.
Cette idée  généreuse de la Mauritanie  transcendant les origines  qui  avait échappé au Professeur Ruffier en 1958, avait permis à ses  deux élèves mauritaniens de se retrouver, plus tard, main dans la main dans la haute fonction publique pour traiter les affaires de l'Etat.
Il faut dire, à la décharge du Professeur que cette  idée de la Mauritanie  qui fut à la base de l'identité nationale,
se trouve aujourd'hui malmenée par le sectarisme des  défenseurs des identités étroites et  par les fanatiques aux tendances théocratiques  ainsi que par un travail de sape  orchestré par des médiocres  et autres  incultes lesquels  n'ont  pas le sens de l'Etat et qui ne connaissent rien à la culture de la République.