Kadiata Malick Diallo, député: "Pour la Cour d'appel, toutes les mesures du dernier congrès de l’UFP sont caduques et tout ce qui en émane est nul"

14 April, 2022 - 04:06

Le Calame: Votre parti avec lequel vous opposait un différend a été débouté. Quelle lecture vous faites de cette décision de la justice ? Vous aviez été suspendus avec un groupe de cadres et militants. Comment envisagez-vous désormais la cohabitation avec la direction du parti ?

Kadiata Malick Diallo: Je vous remercie de me donner une nouvelle occasion de m’exprimer dans les colonnes de votre journal.
En ce qui concerne la décision de justice sur le recours que mes camarades et moi avions engagé contre l’organisation illégale du congrès de l’UFP des 28, 39 et 30 août 2020, je voudrais d’abord vous donner de manière précise les termes de l’arrêt de la chambre civile et sociale No. 1 de la cour d’appel de Nouakchott Ouest: “La cour a décidé définitivement et présentement d’accepter l’appel dans la forme et dans le fond, d’annuler le jugement numéro 32/2021 en date du 31/05/2021 de la chambre civile du tribunal de la wilaya de Nouakchott Ouest, de déclarer la nullité des dispositions de la tenue du congrès ordinaire du parti Union des Forces de Progrès, tenue les 28,29 et 30 août 2020 et des résultats qui y émanent ». La lecture est simple tant le verdict est clair. Après avoir statué sur la forme et le fond de l’appel interjeté par nous, le tribunal a annulé le jugement prononcé par la chambre civile qui avait siégé en première instance et qui, tout en reconnaissant notre appartenance au parti (annulant de ce fait une des résolutions du congrès), avait par la même occasion rejeté notre demande d’invalidation du congrès du parti. Pour la cour d’appel, toutes les mesures prises pour la tenue du congrès sont caduques et  tout ce qui en émane est nul. Ça veut dire que la commission de réimplantation, le renouvellement des adhésions qu’elle a effectué, les sections implantées ainsi que les délégués désignés sont donc invalidés. Il en va de même pour la commission préparatoire du congrès et pour toutes les décisions qui s'y rattachent (textes fondamentaux, résolutions et instances élues). Ce qui signifie désormais que tout ce qui émane de ce Congrès est nul et de nul effet; de sa préparation à son aboutissement. Je m’étonne qu’un des vice-présidents du parti, de surcroît éminent juriste, ramène la décision du juge à notre "retour" au parti et à notre participation (nous qu’il continue d’appeler ex-camarades) aux activités conçues par son clan, affirmant au passage que le juge a ordonné la reprise du congrès. Non, je le répète, le juge a invalidé le congrès, toutes les dispositions antérieures y afférentes ainsi que les décisions s’y rapportant. Il  ne s’est nullement prononcé sur ce que l’UFP devrait faire ultérieurement. C'est l'affaire de l’UFP. Une résolution spécifique nous concernant indique en effet que nous sommes démissionnaires du parti. A y regarder de plus près, la manœuvre visait principalement à nous dépouiller de nos mandats électifs que nous avons arrachés de haute lutte, mandats dont nous disposons pour service le peuple qui a placé en nous sa confiance.
La direction du parti ne s’est pas gênée de demander au ministère de l’intérieur de me retirer mon mandat de député, tout comme elle s'est opposée durant ces quatre années de mandat à ce que je puisse avoir une quelconque responsabilité dans les instances de l’Assemblée nationale. Sans compter  d'autres coups bas que la décence m’empêche d’évoquer ici.
La suspension que vous évoquez avait pris fin depuis décembre 2019, alors que le groupe de Mohamed Maouloud s’était engagé dans la préparation de son congrès. La décision de justice ne met pas fin à la crise politique de l’UFP. Et certains dirigeants du parti, qui ont du mal à se relever de ce coup dur, se sont à nouveau déchaînés pour dire que nous cherchons à détruire l’UFP. Qui pourrait oublier que c’est à cause de leur nouvelle ligne anti-populaire qu'aujourd'hui le parti ne contrôle même pas une seule mairie, alors qu’il en avait conquis plus d’une dizaine? Qui a décidé, au mépris et contre la volonté de la base du parti, de s’opposer à la candidature de feu-Mohamed El Moustapha Ould Bedredine (paix à son âme), à Nouakchott, présenté par six (6) sections et deux(2) fédérations en lui faisant substituer celle de Khalilou Ould Deddé soutenu seulement par trois sections et une fédération? Qui ne se rappelle pas le score humiliant de notre candidat à la dernière présidentielle de 2019, contre laquelle nous avions mis en garde, et dont le Président n’a pas voulu assumer l'échec et tirer toutes les conséquences? Ces dirigeants ont-ils oublié que ce sont eux qui avaient refusé de prendre part à la conférence que le parti avait organisée le 28 novembre 2017, pour la commémoration des massacres d’Inal, preuve éloquente de l’abandon de la lutte contre les injustices les plus criantes dans ce pays? C’est contre tout cela et d’autres politiques que nous nous sommes dressés et pour lesquels nous avons réclamé un bilan sans complaisance, en vue d'une rectification indispensable. Ne se sentant plus capables de continuer la lutte, voilà qu'ils courent derrière le pouvoir depuis deux ans et demi, en quête d'un dialogue sinon improbable, du moins laborieux, donnant à l’UFP, un autre visage méconnaissable.

Le président de la République vient de désigner son ministre secrétaire général de la présidence, en la personne de M. Yahya El Waghf pour superviser les concertations entre la majorité et l’opposition. C’est une personnalité que connaissez bien. Diriez-vous que c’est un bon choix ? Pensez-vous qu’il sera un bon arbitre ?
Avant de parler de la désignation de Monsieur Yahya Ould Ahmed ElWaghef pour la supervision de la concertation, il faut s’interroger sur la volonté du pouvoir d’engager cette concertation. La réalité, c’est que le pouvoir ne trouve aucun intérêt à s’engager dans ce dialogue, et l’opposition, dans sa situation actuelle, n’a aucun moyen de pression pour l'y contraindre. C’est pourquoi le pouvoir, sans attendre cette fameuse concertation, est en train d’apporter ses propres solutions à des questions qui auraient eu leur place dans ce dialogue/concertation, comme la question de l’Education ou le dossier du « passif humanitaire ». Yahya Ould El Waghf aurait bien  pu diriger la concertation si le pouvoir s'y était engagé de façon plus ferme et sans équivoque. Je crains plutôt que le pouvoir va continuer à traîner les pieds jusqu’à ce que nous rentrions dans la période de pré-campagne pour les prochaines échéances électorales qui ne sont plus loin. La priorité ne portera alors plus que sur la CENI, les listes électorales et les modes de scrutin, donc des questions purement électorales.

Il y a quelques jours, le président de la République a procédé à un 3e remaniement de son gouvernement. Que pensez-vous de cette nouvelle équipe ? saura-t-elle répondre aux nombreuses attentes des citoyens mauritaniens ?
On peut dire que ce remaniement était prévisible dans la mesure où le Président de la République n’arrêtait pas lui-même de se plaindre des carences du gouvernement. Outre que nous sommes enfermés dans une logique de quotas, du reste injuste et qui ne dit pas son nom, il est difficile de trouver une explication rationnelle au limogeage de certains ou à la cooptation d’autres. Mais en réalité, il s’agit moins d’un problème de placer tel ou tel que d’un problème de système qui n’est pas réformable. Dans ces conditions, il est illusoire de s’attendre à un changement notable. Les hommes et les femmes qui y sont n’auront de choix que de s’accommoder de sa nature, fondée sur la gabegie, le népotisme,  l’injustice et la bureaucratie, ou alors de se faire éjecter.

Il y a quelques jours, les associations culturelles nationales Pulaar, Soninké et Ouolof se sont inquiétées du contenu de la loi d’orientation portant la réforme du système éducatif. Elles ont dénoncé les contradictions de certains articles du texte et les recommandations du rapport des assises nationales de l’éducation. A votre avis, leurs craintes se justifient-elles ?
Les membres des Associations pour la promotion des langues nationales pulaar, sooninke et wolof ont activement participé aux journées régionales et nationales de concertation sur la réforme du système éducatif. Le Ministre de l’Education s’est régulièrement entretenu avec eux pour entendre leurs points de vue et il y a toujours eu une concordance de vues sur les aspects fondamentaux de la réforme. Le rapport général a conclu sur l’équivalence des langues, l’efficacité d’un système d’enseignement basé sur les langues maternelle et le droit des enfants d’être enseignés dans leurs langues maternelles et le devoir de l’Etat d’en préparer les conditions. On s’attendait à ce que le projet de loi réaffirme que nos langues nationales doivent être des langues d’enseignement (langues d’acquisition des savoirs) et que le pulaar, le sooninke et le wolof doivent être officialisés. Il apparaît plutôt clairement qu’il y a un renoncement à ces principes pour imposer l’arabe comme seule langue officielle et langue d’enseignement à tous les niveaux, reléguant les trois autres au rang de simples langues de communication. Les Associations ont alors manifesté leur regret par rapport au renoncement aux acquis des journées de concertation et ont présenté au Ministre des propositions d’amendements en vue de faire refléter les conclusions du rapport général de la concertation.

                                        Propos recueillis par  Dalay Lam