Chronique : LES JE NOUAKCHOTT

6 April, 2022 - 19:15

Il n’y a rien à faire. J’ai mes limites. Je ne te pas dirais que je me suis arrêté un jour où je me suis entretenu avec moi-même et je me suis fixé des limites. Non, ces choses-là, je crois et je ne suis sûr de rien, j’exagère, peut-être, elles sont en toi. Tu ne sais jamais quand est-ce qu’elles t-ont pénétré. Tu t’en rends compte, lorsque tu es là, face à la chose, à une situation donnée, et tu réagis ou tu ne réagis pas exactement comme ce qu’il ne devrait pas. Ce qu’il ne devrait pas, selon les autres, bien sûr, et toi-même, tu ferais partie de ces autres. L’entendu. Ce qui normalement devrait se faire. La conduite appropriée, adoptée et défendue par tous.

Parce que tu crois que les hautes sphères protègent. C’est justement là-bas, où le plus solide des hommes se précarise chaque jour. Tu ne comprends pas comment peut-on se maintenir dans les hauteurs. Même si tu dis, un beau jour, voyons, aujourd’hui, je vais faire comme les autres. Hocher la tête et acquiescer. Et ne cesser, au cours de ta journée de bonne résolutions,  de dire et de répéter, évidemment que c’est exactement ça. Comme vous l’avez si bien dit, si bien pensé, Monsieur. Absolument, comme ça, sans réfléchir, mais fléchir, bien sûr à la génuflexion, se prosterner, s’il le faut. Même ça, mon cher ami. Même ça, avec toutes ces acrobaties de bonnes convenances, si tu ne joues pas bien, si tu n’y es pas entraîné et que tu aies fait la même gestuelle un milliard de fois, parce que tu as déjà intériorisé le geste, la conduite, jusqu’à ce qu’il ou qu’elle ait l’apparence d’un automatisme, se confondant à un atavisme séculaire ; mon cher  ami, tu seras doublé et semé et éjecté au loin dans ton mimétisme rendu ridicule par les professionnelles de la bienséance.

C’est pourquoi, je n’avais rien compris. Et n’ai rien vu venir. Les collègues me souriaient comme toujours et le jour de mon éjection, me jurant sur ma remise en sellette dans quelques jours. Et ça n’est qu’après que j’ai découvert mon ingénuité.

J’ai été bouffé. C’est l’expression pour dire ça là-bas. Et moi, plus tard, je me suis arrêté, en spectateur, en témoin a posteriori,  de ma mise en portions. J’ai été découpé en mille morceaux, épars, ça et là, sur mes chemins probables et improbables. Pourtant, je n’avais rien senti, aucune douleur, aucune paralysie, lors de ces opérations de ma mise en fragments savamment réfléchies, parfaitement réalisées par des mains expertes. Des mains qui n’avaient et ne savaient faire que ça, depuis bien longtemps. J’étais la proie facile, parce que j’étais la plus exposée de toutes, le plus exposé, disons. J’offrais, moi-même, assez d’outils et de matériaux suffisamment implacables pour mon morcellement. Chaque jour, j’armais les bouchers d’un outil aussi tranchant, aussi percutant que celui d’hier.

J’étais un peu comme le personnage d’Orhan Pamuk , dans quelle œuvre déjà ? Mon nom est rouge. Neige ? Etais-je au fond d’un puits, lorsque je me suis découvert le crane fracassé. Mes membres désagrégés, ne répondant plus. Me souviendrais-je de l’âne qui me transportait le siècle avant le puits ? Etait-ce un âne ou quelque moyen de locomotion de l’époque. Une voiture ? Je me souviens bien de mes fragments. Les bras sur l’avenue Gamal Abdel Nacer, ah bon, ils ont changé le nom de l’avenue, peu importe, ils étaient sur cette avenue ; l’un devant la poste, l’autre en face des blocs rouges, ah bon, aussi, ils ont démoli ces bâtisses. Je crois avoir aperçu mon pied droit devant le cinéma Gomez, ah bon, il n’existe plus, ce cinéma. L’autre en face du four Hajjar. Et j’ai entendu quelqu’un parler d’un œil au musée national. Il n’en était pas sûr. Il y avait beaucoup d’yeux pour qu’il en soit certain.

J’offrais, en somme, les arguments, suffisamment d’arguments à ceux qui travaillaient pour ma mise à l’écart. Et tu croirais, peut-être, qu’ils me haïraient ou souhaiteraient ma mort. Tu trompes. Ils voulaient ma case. Celle que j’occupais.

Je t’ai déjà dit que les hautes sphères sont le propre de la résonance. Tout y est exagéré. Une cuillère, une simple cuillère à café, lorsqu’elle y tombe. Ça n’est plus une cuillère qui est tombée. C’est une montagne qui s’est écroulée. Et de son écroulement, tous les paysages proches ou lointain chancellent et trébuchent même quelquefois. C’est le propre de la maison. Il n’y a jamais de petits bruits. Il n’y a que des échos assourdissent des chutes, si minimes qu’ils soient.

C’est pourquoi, les mains expertes, qui m’ont éjecté de la maison, ont enroulé la cuillère que j’étais devenu le temps d’une éjection, dans du velours trempé, à la confusion, dans un liquide salé à la saturation, et m’ont jeté au cœur de l’Atlantique. Vas-y, si tu peux y piger quelque chose.

Après, tu sauras comprendre le pourquoi de mon maintenant …

                                                                                     Mint Beyane