Les colons sont toujours parmi nous /par Docteur Mohamed Yeslim ould El Joud

17 March, 2022 - 01:10

La colonisation c'était d'abord et surtout une administration. Une administration coloniale dont le rôle était d'imposer la volonté de la métropole aux colonies. Aujourd'hui, nous avons une administration nationale, ou « indigène »en langage colon.  Ce devrait être une administration citoyenne. L'est-elle vraiment ? Malheureusement, notre administration reproduit, par son comportement quotidien, les mêmes schémas coloniaux. Elle se conçoit toujours comme l'unique dépositaire de l'autorité publique et politique, au lieu d'intérioriser l'idée démocratique selon laquelle la première et intime source de toute autorité émane du peuple souverain.

Les nouveaux dirigeants politiques de nos pays ont simplement continué la pratique coloniale de se baser sur les chefferies traditionnelles pour servir de courroie de transmission entre l'administration et la population. Phénomène malheureusement  accentué avec la vague récente de démocratisation. Censées former les cadres d'aujourd'hui et de demain, les écoles d'administration continuent par ailleurs à utiliser le modèle colonial et le cursus hérité de la métropole. Elles forment les nouvelles générations exactement comme par le passé.

Notre administration continue à se comporter comme si elle était à son propre service et non pas à celui du citoyen. Les vexations et les humiliations que celui-ci subit au quotidien dans les différentes administrations publiques sont immenses. Aucun fonctionnaire ne se conçoit comme employé par les pauvres quidams qui attendent au soleil devant une fenêtre minuscule… alors qu’il est, lui, assis sur un fauteuil moelleux dans son bureau climatisé. Si, si : qui n’a jamais vu cette scène n'a qu'à se rendre dans une agence de l'état-civil.

Nous échappons, par miracle, à des heurts entre l'administration et les administrés grâce à la nature pacifique de notre peuple, son fatalisme, sa désorganisation, son respect envers l'État et, disons-le, la peur du châtiment. Mais les temps changent et, s'il souhaite maintenir la paix civile, l’État a intérêt à se réveiller et anticiper le jour où les citoyens en auront vraiment marre de l'arrogance de leur administration.

Le citoyen est pour le moment – mais jusqu'à quand ? – incapable de tenir l'administration pour responsable, surveiller son efficacité et son efficience, lui demander des comptes. De son côté, l'administration ne s'imagine même pas faire l'objet d'une telle surveillance. Toute tentative en ce sens de la Société civile ou de la Presse se voit minée par les services publics qui infiltrent la totalité des organisations de ces deux importants contre-pouvoirs. On voit ainsi les syndicats inféodés à l'administration, tout comme la Presse, les ONG et associations, y compris et qui l'eût cru, associations d'élèves et d'étudiants, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Mais les temps changent, là encore.

L’héritage colonial n'a plus sa raison d'être. Le noyautage de tout le champ public par l'administration coloniale était ancré dans la peur. La peur de tous les usurpateurs mais cela ne devrait pas être le cas d'une administration nationale qui ne devrait avoir rien à  craindre de son propre peuple.  À moins que l'appropriation illégitime des ressources nationales par une minorité de chefs traditionnels et leurs rejetons qui occupent la quasi-totalité des postes administratifs, ne soit la cause d'une rupture entre les élites politico-administratives et les masses populaires. D'où la persistance de la peur… La peur des usurpateurs ! Oui : malheureusement, les « colons » sont toujours parmi nous… et ce sont nos propres fils.