Mali/Mauritanie. Insécurité dans «l’insécurité» ? par Mohamed Chighali

23 February, 2022 - 20:38

« Le Mali est un pays frère et voisin. Il  traverse en ce moment  une crise politique et sécuritaire dont la Mauritanie est disposée à contribuer à la solution mais seulement dans l’intérêt du peuple malien et dans le cadre d’une concertation internationale et régionale ».Cette déclaration du porte-parole du gouvernement exprimait fidèlement et clairement la position de l’État mauritanien par rapport à la situation qui prévaut  chez ce voisin si intimement lié à notre pays par l’histoire, la géographie, les intérêts politiques, économiques  et religieux.

Par trois fois, en abordant la question sous différents angles, le ministre Moctar ould  Dahi est resté cohérent avec lui-même, clair et précis dans ses explications.  « Nous suivons attentivement ce qui se passe et nous prêtons attention à toutes les informations qui circulent sur les réseaux sociaux ». Mais le porte-parole du gouvernent  ne répondait  pas précisément à la question que posait le journaliste : « Les derniers événements survenus au Mali en rapport avec la situation sécuritaire pour les mauritaniens qui s’y rendent ne signifient-ils pas une dégradation de nos relations » ?

 

Des signes avant-coureurs ?

Dans une vidéo mise en ligne quelques heures après le massacre des sept mauritaniens égorgés  (dans des scènes filmées et publiées), un habitant  de la ville d’Adel Bagrou déclarait que son pickup Toyota saisi par les Forces Armées Maliennes (FAMA) circulait à Nara avec une mitraillette montée dessus. Ce qui suppose donc que ces militaires se sont approprié ce véhicule ou qu’elles l’ont réquisitionné de force. Puis seize mauritaniens qui étaient retenus par les FAMA furent libérés… ce qui suppose donc qu’ils étaient détenus.

Ces trois cas illustrent parfaitement bien la pertinence de la question du journaliste : les Mauritaniens ne sont peut-être plus vraiment en sécurité dans certaines parties du territoire malien. Ce n’est d’ailleurs plus un secret pour personne. Le wali du Hodhech-Charghi aurait, tout récemment selon diverses sources, effectué une tournée dans la  zone frontalière avec notre voisin oriental, justement au niveau d’AdelB agrou, localité dont certaines  familles ont perdu des membres dans le massacre susdit. Une tournée pas comme les autres, puisqu’elle avait pour but de sensibiliser les riverains du Mali sur les problèmes liés à la sécurité.

Dans une autre vidéo circulant sur les réseaux sociaux commentant l’assassinat des sept mauritaniens égorgés et  enterrés avec neuf peulhs dans une fosse commune, un habitant d’Adel Bagrou pointait du doigt des éléments des forces armées maliennes qu’il tenait responsables du drame. Mais le modus operandi paraît pourtant étranger aux méthodes militaires qui peuvent certes massacrer… mais en mitraillant, pas en égorgeant. Et ce citoyen de louer par ailleurs les très bonnes relations que les populations d’Adel Bagrou entretiennent avec les Peulhs du Mali qui, affirme-t-il, n’ont jamais eu de problèmes avec des mauritaniens et vivent en très bonne intelligence avec eux.

 

 Et si c’était justement là le problème ?

Les habitants d’Adel Bagrou sont quasiment tous éleveurs de pères en fils. C’est pourquoi d’ailleurs cette localité est considérée comme l’épicentre de l’élevage extensif de la Mauritanie. Depuis des générations, ils entretiennent de très bonnes relations avec leurs voisins peulhs du Mali,  éleveurs de tradition ancestrale et très nombreux dans la zone. Les communautés maures et peulhes ont des intérêts réciproques dans cette cohabitation pacifique qui ancre ses racines dans une forte complicité économique. Les Peulhs sont de très bons gardiens de troupeaux  et les Maures des éleveurs dont les animaux traversent la frontière en périodes de soudure à la recherche de pâturages plus luxuriants.

Seulement, voilà. Les FAMA sont en guerre contre des groupes armés du Nord et du Centre du Mali. En 2018, cinquante-huit attaques ont fait plus de cinq cents morts au sein des communautés peulhs du Mali. En Mars 2019, le chercheur malien Baba Dakono expliquait au journal « Le Monde » que ces massacres étaient perpétrés dans des localités où les groupes socioprofessionnels ont historiquement des rapports conflictuels. Il évoquait le cas des peulhs et des chasseurs. La situation s’est aggravée avec de nouvelles formes de violences extrémistes, à cause de la présence de multiples groupes armés, notamment, la katiba Macina et les réseaux de trafiquants (armes, drogues…) opérant le long des frontières, particulièrement entre le Mali et la Mauritanie.

Le problème de l’insécurité chez notre voisin n’est pas nouveau. Il a commencé en 2012. À cette époque, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) avait pratiquement pris possession de toute la zone de Douentza. Avant de se replier, suite à l’offensive de la coalition franco-africaine lancée en Janvier 2013. Dans son repli vers l’extrême Nord du pays et la frontière mauritanienne, le groupe abandonna d’importantes quantités d’armes et  de munitions endiverses localités qui leur servaient de bases. Ces armes furent récupérées par des éleveurs et autres qui se constituèrent plus tard en groupes d’autodéfense communautaire. Les renseignements militaires ont d’ailleurs révélé très tôt qu’un important trafic d’armes entre le Mali et certains pays voisins s’était alors mis en place le long d’un axe partant du Nord vers le Centre.

 

Un changement de comportement des mauritaniens qui tarde à venir...

La problématique, pour les autorités mauritaniennes, c’est d’arriver à faire comprendre à nos populations des zones frontalières que notre voisin fait actuellement face à de très graves, sérieux et divers problèmes sécuritaires. Et qu’elles doivent en conséquence éviter de « s’inscrire », pour quelque raison que ce soit, dans l’établissement de relations, de quelque nature qu’elles  soient, avec des personnes ou des groupes susceptibles de menacer leur sécurité et celle de leurs biens. Mais cet appel des autorités administratives et sécuritaires à un changement de comportement reste encore mal entendu par les habitants des localités mauritaniennes en bordure de la frontière,  malgré toutes les consignes de sécurités données et parfois imposées.

L’assassinat  des sept mauritaniens : un flou toujours flou.

Les autorités mauritaniennes refusent de se poser la question –elles  devraient pourtant normalement se la poser –du pourquoi sept  mauritaniens ont été « égorgés » à l’intérieur du territoire malien. Moctarould Dahi se veut rassurant en disant qu’une enquête est en cours et qu’en phase avec ses homologues maliennes, les autorités mauritaniennes en attendent les conclusions. C’est une esquive très diplomatique et intelligente du porte-parole du gouvernement, persistant et signant à dire que le gouvernement n’a rien à cacher à personne, même s’il ne dit pas tout ce qu’il sait, suscitant notre curiosité de journalistes.

Comme l’a laissé comprendre Ould Dahi, il faut quand même reconnaître que ces questions sécuritaires doivent être abordées avec beaucoup de prudence. Tant dans l’intérêt de la Mauritanie qu’en celui du Mali, tous deux intimement et étroitement liés par différents et nombreux intérêts dont notre pays tire beaucoup d’avantages, particulièrement dans le domaine de l’élevage, de l’agriculture et du commerce. Il ne faut pas oublier, par exemple, que la Mauritanie importe de la Côte d’Ivoire tout le bois dont elle a besoin, avec des camions transitant par le territoire malien pour repartir vers celui-ci surchargés de produits de consommation de première nécessité. Un considérable apport aux recettes de nos sociétés commerciales...

Il ne faut pas non plus oublier qu’en matière de sécurité, les autorités maliennes évaluent à sa juste valeur le capital important que la Mauritanie apporte, réduisant beaucoup les risques auxquels fait face leur pays incapable de verrouiller sa frontière Nord-est, vrai casse-tête dans l’angle de Chegatt. C’est la Mauritanie qui « goupille » militairement la zone, véritable « grenade offensive » qui ouvrirait, si elle explosait, une brèche d’où « circuleraient librement » armes, munitions et trafiquants en tout genre.

Il ne faut pas oublier, enfin, que depuis les indépendances et même bien avant, ces autorités  maliennes sont assurées de la stabilité dansle fameux « triangle de l’insécurité », soit la zone comprise  entre Nara, Nampala et Goudam, dans  la pointe Sud-est de leur pays, grâce aux très bonnes relations toujours entretenues entre lesdites autorités et les chefs guerriers de la puissante tribu des Oulad Daoud. Sidi Ould Hanena, le dernier chef vénéré de celle-ci et père de l’actuel N° 2 du régime, le ministre de la Défense, sut instaurer un  climat de sérénité et d’entente entre les populations dudit triangle et de Ras El Mâa, côté malien, et de celles de Bassiknou, Fassala Néré, Amourj, Djigueni et Adel Bagrou, côté mauritanien, par une vraie politique du vivre ensemble, non-agression et bon voisinage.

 

Ould El Ghazwani, grand espoir pour le Mali

La disposition du gouvernement mauritanien à soutenir « la résolution de la crise malienne dans le cadre d’une concertation régionale et internationale »est une vraie bonne nouvelle pour le Mali. Et son ministre  des Affaires religieuses et du culte, Mahamadou Koné, qui assistait  à Nouakchott aux assises de la deuxième édition de la Conférence Africaine pour la paix dans le Monde, de confier à la presse : « Nous comptons beaucoup sur la sagesse du président mauritanien pour sortir le Mali de la crise actuelle. […] Son Excellence Mohamed ould Cheikh El Ghazwani a toujours soutenu la cause de notre pays ». Et, dans un entretien accordé à nos confrères d’Al Akhbar, il disait également beaucoup compter sur les chefs religieux et coutumiers de la sous-région pour « jouer un  rôle de sensibilisation et inviter les parties à l’apaisement ».

Les autorités mauritaniennes n’ont cessé de s’y prêter depuis le début de l’affaire des sept mauritaniens « égorgés ». Mais, répétons-le, pourquoi l’ont-ils été et pourquoi les scènes macabres ont-elles été filmées et divulguées sur la Toile ? Ces mauritaniens s’étaient-ils impliqués dans des affaires auxquelles ils sont étrangers ou ont-ils payé le prix de leur éventuel rôle dans des activités de renseignements ? Personne n’a cherché de ce côté-là. Mais, tout le monde le sait, ce genre d’exécution – déjà vue ailleurs –vise généralement à véhiculer un message. Mais de qui, en l’occurrence ? Et adressé à qui ?

Quoiqu’il en soit et en attendant les conclusions de l’enquête à partager avec la Mauritanie – apporteront-elles  les réponses aux  questions posées à Ould Dahi au cours de son point de presse et qu’il avait esquivées très diplomatiquement ? – une chose est sûre. Les assassins des sept mauritaniens et des neuf peulhs ont adressé un très sévère et clair avertissement. Pourquoi ? Et pour quoi dire ? La réponse se trouve  peut-être dans les consignes de sécurité données par le wali du Hodhech-Charghi. Son périple de « localité-à-localité » le long de la frontière a véhiculé un message. Celui de demander aux populations d’observer la plus grande prudence et d’éviter des déplacements sans puissante justification à l’intérieur du territoire malien. Cela signifie ce que cela signifie.

Mohamed Chighali