Dans l’ombre des pouvoirs militaires (7) : « Le virage ou le carrefour 24 »: un symbole d’une certaine option.Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

23 February, 2022 - 20:13

Un autre paradoxe a marqué la politique de’Haidalla. Malgré l’ampleur de l’aide internationale dont avait profité notre pays dans le cadre de la lutte contre la sécheresse, au plan politique et surtout économique, le gouvernement d’Ould Haidalla a bénéficié de peu de soutien au niveau extérieur. On pourrait bien se demander pourquoi la Mauritanie de Haidalla n’a pas réussi à trouver un terrain d’entente avec les institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale et le FMI? J’ignorais franchement les raisons.
Je soupçonne que le gouvernement français, favorable au Maroc et à l’ancien régime de Mokhtar Ould Daddah, y serait pour quelque chose. Avec un peu de recul, je me demande également pourquoi le gouvernement mauritanien de l’époque n’a pas réussi à trouver un soutien consistant de rechange chez les pays de l’Est, le bloc socialiste, encore débout et fortement présent sur la scène internationale et toujours prêt à profiter des erreurs du camp occidental?
A l’époque, l’homme fort de la Mauritanie refusait toujours d’être cloué au mur. Durant la guerre du Sahara, il s’était particulièrement distingué dans ses interventions osées, rapides et efficaces contre ses cousins du Polisario. Aucun autre officier n’osait l’égaler sur ce terrain. Le Khalife Omar Ibn Elkhattab était connu pour son audace dans la défense de l’Islam comme il l’était dans son combat avant son islamisation ! On dit que comparaison n’est pas raison. Mais on peut tout de même se permettre de reconnaître à Mohamed Khouna OuldHaidalla que, durant la guerre du Sahara, il avait fait preuve d’un courage exceptionnel, reconnu même par ses nombreux et fanatiques adversaires, en dépit des tentatives de ces derniers, en s’adonnant depuis, à des analyses tordues, sans succès, pour minimiser l’exploit de Haidalla dans la guerre.

 

Le volontariat
Il fallait lui reconnaître qu’il avait fait preuve également du même courage et de la même audace pour l’acquisition de la paix. Je sais que dire du bien de Haidalla constitue toujours un blasphème aux yeux d’une certaine opinion qui se voulait mieux avertie. Je respecte cette opinion. A mon tour, je demande à ses adeptes de respecter « ce que je pense » très honnêtement jusqu’à preuve du contraire. Donc je continue à dérouler ce que je crois être les bonnes actions du régime de Haidalla. Ici il y’a lieu de rappeler que je fais partie de ceux qui n’en ont tiré aucun profit.
Durant cette longue période de grande sécheresse, trouver une parade permettant de compenser, au moins en partie, le rôle des institutions internationales, n’était pas chose facile. Pourtant, en se creusant les méninges, quelqu’un a réussi à accoucher d’une découverte des plus ingénieuses: le volontariat.
Le volontariat ou le travail volontaire a marqué la période Haidalla. Durant des années successives, des milliers de Mauritaniensétaient mobilisés du matin au soir pour réaliser des œuvres grandioses. Tous, à commencer par le chef de l’Etat, en passant par les responsables civils et militaires, jusqu’au mauritanien lambda, prenaient part à des travaux d’utilité publique, souvent sous le soleil ardent ou dans le froid glacial.
Des dizaines d’écoles étaient construites. De nombreuses routes et pistes étaient dégagées et d’autres améliorées. Des barrages étaient édifiés en l’espace de quelques jours. Des campagnes de nettoyage ou de distribution de vivres ou de soins gratuits étaient menées un peu partout dans le pays. Ce ne sont ici que quelques exemples. Dans ces campagnes, la présence des autorités fut loin d’être symbolique. Fidèles à leur chef, le président Haidalla, et souvent par crainte de celui‐ci, elles donnaient effectivement l’exemple par leur ponctualité et par leur discipline.
En 1981, à Atar, je me rappelle qu’en l’espace d’un week‐end, nous avons achevé la construction d’une école de 6 classes dans le quartier de Kenawal. Un autre week‐end, nous avons reconstruit le barrage d’Amder au nord de la ville d’Atar. Au cours de ces grands travaux, des citoyens donnaient généreusement du matériel de construction, d’autres prêtaient leurs instruments et d’autres mettaient leur technicité à la disposition des volontaires. Tous donnaient leurs bras valides. D’autres offraient des bêtes de somme et une grande quantité de mets et de boissons divers et variés.
A Nouakchott, l’un des repères les plus populaires est le carrefour baptisé depuis « Raabéwelichrine » ou « La Rue ou le carrefour 24 ». Rares sont les usagers de cette place qui savaient sa réelle signification. Il s’agissait du 24 avril, probablement en 1981. Ce jour-là, le chef de l’Etat, Mohamed Khouna OuldHaidalla, au milieu d’une foule nombreuse, inaugura le dégagement de cette route si sablonneuse alors, désenclavant ainsi un quartier populaire (kebba ou bidonville), situé dans l’emplacement actuel de l’hôpital Zaid. Cette expérience originale du volontariat chez nous mérite une réflexion plus approfondie.
Tout près de nous, elle était comparable, dans bien des aspects, à l’action de Thomas Sankara au Burkina Faso, bien que l’action de Haidalla ait précédé celle de ce dernier de quelques années. Une autre différence de taille: Thomas Sankara inscrivait son action dans une dynamique révolutionnaire globale et originale, alors que Ould Haidalla fut plutôt motivé à mener des actions dictées par un contexte purement national.
Les deux expériences partageaient également un autre trait commun: le défi des institutions financières internationales et des pays occidentaux qui se servaient de ces institutions comme moyens de pression visant à dicter leurs conditions « impérialistes » aux pays en voie de développement. D’ailleurs tout indiquait que la mise sur pied de ces institutions internationales, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, visait essentiellement à garantir aux puissances impérialistes, colonialistes à l’époque, leurs intérêts fondamentaux par une législation mondialement acceptée et réglementée tout en leur assurant la paix entre elles. En Occident, on craignait que les deux expériences servent d’exemple aux autres pays semblables. C’est pourquoi leur mise en échec aurait été un objectif stratégique de la plus haute importance. L’hostilité interne à Ould Haidalla serait logiquement alimentée et entretenue par ces milieux occidentaux, toujours très sensibles à toute action inspirée par une volonté de changement autonome.

« L’université de Jleyfti »

A ma connaissance, avant 1980, à aucun moment, l’idée de la
création d’une université sur le sol national, n’avait effleuré l’esprit des autorités mauritaniennes. Avant le 10 juillet 1978, l’Ecole Normale Supérieure (ENS), le premier établissement d’enseignement supérieur, existait depuis 1970. Durant les années de guerre et au temps de l’ère militaire, les esprits étaient d’abord préoccupés par les impératifs de sécurité.
La guerre du Sahara va engendrer une situation nouvelle: quelques 2000 étudiants mauritaniens en Algérie s’étaient trouvés dans une situation délicate. En aucune manière ils ne pouvaient continuer à étudier dans un pays en situation de guerre avec leurpropre pays. Ils étaient donc dans l’obligation de changer de pays d’étude. Le Maroc, le nouvel ami du gouvernement mauritanien, leur ouvrit aussitôt ses écoles et ses établissements supérieurs.
A tous, il accorda des bourses d’étude. Pour l’occasion, le Maroc décida la création d’urgence d’une agence (AMAMCO) ayant pour mission le recrutement et la formation d’étudiants et stagiaires mauritaniens. Plusieurs centaines de jeunes mauritaniens allaient en profiter. Après les accords d’Alger (1979), concluant une paix définitive entre la Mauritanie et le front Polisario, les étudiants mauritaniens au Maroc connaitront la même situation rencontrée en Algérie quelques années auparavant. Ils étaient menacés d’expulsion du pays de Hassan II. Les autorités mauritaniennes se trouvèrent devant un casse‐tête. Que pouvait « le berger » de Nouakchott ( OuldHaidalla) face à une telle situation ?

Le berger né
Je me rappelle que lors de mon séjour à Atar en 1981, mon ami Mohamed Ould Nnahah, le Hakem d’Atar en ce moment, me raconta ce curieux récit. Une fois, accompagné par ses chefs de services, alors qu’il était en inspection dans sa Moughataa, ils croisèrent les traces toutes neuves d’un convoi de nombreux véhicules.
Ils suspectèrent que ce seraient des éléments du Polisario. En ce moment, la consigne était donnée à l’organisation sahraouie d’informer sur tout passage de ses commandos armés sur le sol mauritanien. Ils décidèrent de les poursuivre. Peu de temps après, ils aperçurent de loin des véhicules près de quelques tentes et d’un troupeau de camelins.
Ils s’approchèrent du lieu situé au pied d’un petit mont pierreux. Cette fois‐ci,ils commencèrent à soupçonner qu’ils avaient plutôt affaire à une présence de mauritaniens et non pas du Polisario. Ils s’approchèrent prudemment. Des enseignes portant des marques mauritaniennes figurent sur les plaques d’immatriculation des véhicules. A une distance très rapprochée, le Hakem commença à s’inquiéter: il crut percevoir la silhouette du chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Khouna Ould Haidalla.
A quelques mètres du lieu, tout doute disparut. Ould Haidalla en chair et en os s’accrochait à une corde d’une tente pour la fixer à un piquet déjà planté. Ould Nnahah et ses compagnons craignirent d’être engloutis dans une sale « affaire d’Etat ». Quelle explication fallait‐il donner à OuldHaidalla pour justifier leur «forfaiture ?».
Au moment où ils garèrent leurs véhicules, Ould Haidalla avança vers eux. Il reconnut immédiatement Ould Nnahah, l’un des « officiers libres » du 10 juillet 1978. Ils tombèrent dans les bras l’un l’autre. Rapidement Ould Haidalla se mit à étendre une natte sous l’une des tentes. Il invita ses hôtes à y prendre place. Il se dépêcha pour leur traire de ses propres mains une chamelle. Il revint en toute hâte pour s’asseoir près du Hakem. Il lui tendit une calebasse pleine de lait à la fois frais, chaud et mousseux. Il le prie d’en boire.
Il accompagna son geste de ce petit commentaire: « mon cher ami, si seulement tu savais que si je passe une semaine embourbé dans les affaires d’Etat, sans effectuer une pause pareille dans un contexte pareil, j’étoufferais et je perdrais les pédales dans tout ce que j’entreprendrais». Cette déclaration, plutôt intime et apaisante, aurait certainement rassuré mon ami Mohamed Ould Nnahah sur la suite éventuelle de son aventure.
Rappelons qu’au lendemain du putsch qui va le renverser en décembre 1984, alors qu’il était absent du pays, les rumeurs allaient bon train. La plus persistante fut celle qui pariait qu’Ould Haidalla rejoindrait ses parents du Polisario. J’étais probablement parmi les rares qui pensaient le contraire.
Pour moi, fort de ce récit de mon ami Ould Nnahah, Ould Haidalla et je pariais là-dessus de mon côté, regagnera sûrement la Mauritanie pour ne pas s’éloigner de son troupeau de chameaux. Rappelons aussi que lorsqu’il fut désigné premier ministre, il n’a pas voulu quitter sa maison à l’extérieur de la ville, enfouie le soir au milieu de ses camelins. Il regagnera le palais présidentiel sûrement à contre cœur après sa désignation comme chef d’Etat par ses collègues du comité militaire.
L’homme, concernant le problème de l’université, véritable nomade, habitué aux grands espaces, n’accepte jamais d’être acculé. Il trouva la solution au coin d’une rue: Il décida la création d’une université, appelons‐la: « l’Université de Jleifti » ou plus légitimement: « l’Université Mohamed Khouna Ould Haidalla ». Le lieu: des entrepôts dans une zone commerciale. Les premiers enseignants: des vacataires de la fonction publique, titulaires dans le meilleur des cas d’une maitrise ou d’un DEA, soit bac plus trois ou plus quatre ou cinq années d’études au plus.
Au niveau universitaire, deux premières facultés ouvrirent leurs portes aux centaines d’étudiants, bacheliers des dernières sessions du bac. Il s’agit d’une faculté juridique et économique et d’une faculté de lettres, d’histoire et de géographie. Les professeurs dont presque tous se chargeaient pour la première fois de dispenser un cours d’enseignement supérieur, se trouvèrent dans l’obligation de chercher une parade pour réussir cette épreuve. Certains ne trouvaient pas mieux que de recourir à leurs propres cours durant leurs années de scolarité. D’autres, qui n’avaient pas gardé avec eux leurs anciens cours, recouraient aux livres de référence pour improviser ou recopier à la hâte un cours à dicter dans son intégralité à leurs élèves.

(A suivre)