Madame Memah Bah Hamed, membre du Forum du Consommateur Mauritanien : ‘’Pour mettre fin à la spéculation, il faut confier la distribution des produits de première nécessité à une société publique’’

13 January, 2022 - 01:30

Le Calame : Qu’est-ce que l’Association pour la défense des consommateurs ? Quand a-t-elle été fondée ? Pour quels objectifs ?

Memah Bah Hamed : Fondée en 2006, l’Association Mauritanienne pour la Préservation de l’environnement et la Protection du Consommateur a évolué vers le Forum du Consommateur Mauritanien, une association de droit mauritanien déclarée le 29 Juillet 2020 sous l’agrément N° 108.L'association compte parmi ses membres des personnes issues des différentes régions de la Mauritanie. Parmi eux, des juristes, des experts dans les domaines de l'industrie alimentaire, des médecins généralistes et spécialistes, des vétérinaires, des ingénieurs, des commerçants et des professionnels des media. Tous ont convenu, à l'unanimité, d'un objectif principal : protéger le consommateur mauritanien, en soutenant les efforts officiels à cet égard et en jouant un rôle positif au sein de la Société civile.

D’autres objectifs en découlent : sensibiliser les consommateurs et rationaliser leurs luttes dans le cadre des huit droits fixés par les Nations Unies (droit à des produits sains, services de qualité, notamment);défendre les intérêts des consommateurs, impliquant de lutter contre la hausse des prix, la spéculation et le monopole ; soutenir les efforts de développement économique, en les reliant aux objectifs de protection des consommateurs et en cherchant à les rendre plus bénéfiques pour l'individu et la société ; accroître les efforts visant la sécurité des aliments et des produits pharmaceutiques, afin de vivre dans un environnement sain ; participer aux efforts de protection des consommateurs aux niveaux national, régional et mondial ; sensibiliser les media publics et privés sur la nécessité de défendre les droits des consommateurs.

 

- Défendre les consommateurs est un gros challenge. Surtout dans un pays où les frontières sont poreuses et où l’on ne cesse de découvrir des produits alimentaires et des médicaments périmés ou falsifiés. De quels moyens dispose votre organisation pour aider les autorités à débusquer ces manquements ?

- Notre Association s’appuie essentiellement sur les contributions et le travail bénévole de ses membres qui sont très engagés pour la cause. Nous ne pouvons pas remplacer les fonctions régaliennes de l’Etat mais nous l’appuyons, pour le moment, par la sensibilisation. Nous avons mis en place deux comités à cette fin : scientifique, le premier est composé d’ingénieurs, avocats, docteurs en plusieurs spécialités, cadres, techniciens, etc. Ce comité donne un avis scientifique sur les questions relevant de la spécialité de ces membres. Qualifié de « surveillance des marchés », le second établit un point hebdomadaire sur la situation des prix des denrées et en publie les états.

Notre association est active sur plusieurs plateformes dont un site Web, un groupe WhatsApp, une chaîne YouTube, une page Facebook et un Journal (Al Moustahlik). À travers ces plateformes, nous sensibilisons le public et dénonçons les manquements du marché. Malgré nos moyens très limités, nous arrivons ainsi à organiser des campagnes sur les produits de mauvaise qualité, alimentaire, sanitaire ou autre (en dénonçant les concernés via tout consommateur qui nous contacte) ; sur les prix des denrées alimentaires et sur les huit droits du consommateur. Parmi les autres actions notables, citons notre plaidoyer auprès du ministère de tutelle (Commerce) ; des rencontres avec divers acteurs (patronat mauritanien, boulangers, etc.) ; et la célébration de quelques journées mondiales, comme la Journée des Droits du Consommateur ou celle de l’Alimentation, en y invitant les acteurs publics et privés concernés.

 

- Quels rapports entretenez-vous avec les autorités chargées justement de traquer les malfrats ?

- Nous collaborons pleinement avec la Direction de la Protection des Consommateurs et de la Répression des Fraudes relevant du Ministère du Commerce, de l’Industrie, de l’Artisanat et du Tourisme. Notre collaboration porte sur l’irrespect des prix fixés ; les produits périmés ou exposés de manière hors normes ; l’hygiène dans les boulangeries, boucheries, pharmacies, etc. Pour ceci, nous contactons directement le directeur de la DPCRF ou ses services et, le plus souvent, ils réagissent immédiatement.

 

- Existe-t-il un arsenal suffisamment dissuasif pour contrecarrer ces trafics ?

- L’unique outil juridique censé être dissuasif est la nouvelle loi N°2020-007 relative à la protection des consommateurs, dont les décrets d’application n’ont pas encore été mis en place… ce qui retarde son exécution. Nous avons accueilli avec enthousiasme la promulgation de cette loi qui pourrait dissuader et contrecarrer les trafiquants, si la volonté et les moyens sont mobilisés, mais nous sommes, actuellement, un peu déçus du retard dans son application. Nous pensons, en fait, que l’application de cette loi conduirait à la fondation d’une Haute autorité indépendante chargée du contrôle de la qualité sanitaire des aliments et des médicaments en Mauritanie.

 

- Depuis quelques temps, on assiste à une hausse continue des prix des denrées de première nécessité. A votre avis, qu’est-ce qui justifie ces augmentations récurrentes ?

- Nous suivons régulièrement l’évolution des prix et notre comité chargé de la surveillance du marché en fait une situation hebdomadaire. À notre avis, ces hausses ne sont pas toujours justifiées. Il ya lieu de dire qu’ici, le commerçant est maître du marché dont il justifie comme il veut les prix, notamment par la hausse des prix du transport maritime, alors que l’augmentation peut survenir sur des produits déjà en stock depuis des mois, (il arrête même parfois de vendre pour spéculer), voire sur des produits locaux (lait local, couscous, etc.).

 

- Face à ces augmentations, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures. Pour beaucoup, elles n’ont pas fait baisser les prix. Qu’en pensez-vous ?

- Très limitées dans le temps et dans l’espace, les mesures prises par le gouvernement n’ont de ce fait pas eu d’effets notables, les cibles de ces mesures (les ménages les plus vulnérables) continuant à manifester leur mécontentement. Que faire pour mettre les consommateurs à l’abri de ces spéculations continues ? Il faut veiller à l’application des textes juridiques et doter les structures concernées des moyens nécessaires ; confier la distribution des produits de première nécessité (denrées stratégiques) à une société publique pour les mettre à l’abri des spéculations ; promouvoir la production de produits nationaux et encourager la consommation des produits locaux.

 

- Les consommateurs font-ils appel à vous quand ils constatent des spéculations injustifiées ?

- Il arrive que des consommateurs nous contactent à propos de la qualité de certains produits, des dates de péremption et, surtout, par rapport aux hausses des prix, mais, dès que nous entamons le processus de plainte, certains se rétractent et cela nous pose des problèmes. Tant que les textes relatifs à la protection du consommateur ne sont pas appliqués, nous ne disposons pas de moyens pour aider nos concitoyens à exiger et à obtenir leurs droits.

 

- Quelle évaluation faites-vous des boutiques EMEL, celles de la Fédération du Commerce (Patronat) et autre Opération Ramadan ?

- Ce sont des actions bénéfiques pour certains, elles doivent continuer et s’élargir pour toucher encore plus de citoyens. Elles ont certes répondu à l’un des droits du consommateur : celui de satisfaire ses besoins fondamentaux (accès aux biens et services essentiels de base dont la nourriture). Mais elles en ont négligé d'autres très importants, tels que le droit de choisir et celui d’être entendu.

 

                                                    Propos recueillis par Dalay Lam