Kaédi : De la vie chère vers le gouffre

13 January, 2022 - 01:11

Elle tourne comme une toupie, demande par-ci et interroge par-là. Désemparée, seau dans une main et petit sac dans l’autre, ballant tous deux au gré du mouvement des bras. La dame d’un certain âge poursuit son tour des étals et des boutiques pour assouvir ses besoins du quotidien. Chaque nouvelle question lui tient en laisse la précédente, avec cet indicible frisson qu’éprouve toute âme en peine. Arpentant la corniche sur l’autre pan du marché, elle s’acharne, tenace et téméraire, à dégoter les prix les plus abordables qui sécuriseraient sa bourse du jour. Et, dans sa quête encore inachevée, elle essaie de tromper son désarroi par quelques salutations vagues et de coutume aux passants sur son chemin de croix, histoire de dissiper un tant soit ses pensées rivées sur ce seau toujours désespérément vide, vide de tout condiment pour agrémenter son potentiel repas du jour.

 

Tout augmente…

Baromètre du niveau de vie –au quotidien – des populations, le marché est aujourd’hui un cauchemar pour bon nombre de femmes qui redoutent le rythme auquel les prix augmentent en exponentielle. Ce n’est plus aisément, comme jadis, qu’elles accomplissent leurs emplettes des produits de première nécessité dont l’augmentation varie à l’inverse proportionnalité du salaire moyen d’un fonctionnaire lambda. Concomitamment à cette situation, les revenus des dames, fondamentalement basés sur les dividendes des produits teinturiers, connaissent un relâchement dû au problème d’écoulement de leurs marchandises et de la faiblesse de la demande : les liquidités se font rares ou s’assèchent. Et voilà comment elles en arrivent parfois, hantées par le besoin de quelques ouguiyas pour assurer le minimum vital, à bazarder leurs productions au tiers du prix habituel. On ne vit plus, on survit.

Aujourd’hui au Gorgol, principalement à Kaédi, parvenir à mettre la marmite sur le feu relève du parcours du combattant. Les denrées de première nécessité comme le riz, l'huile, le riz, le sucre, le thé et d’autres ingrédients deviennent inaccessibles à la plupart des bourses. Pour chaque article, si le prix n’est pas passé du simple au double, il reste tout simplement introuvable, pour des raisons de spéculations malsaines favorisées par l’absence de contrôle et de suivi qui devraient réguler les fluctuations du marché. Un marché changeant qui ne mue qu’au seul gré des grossistes, enfermant dans ses dédales les populations de plus en plus vulnérables qui constatent hélas, la mort dans l’âme, l’écroulement de tout le système marchand, sous la compétition entre les structures régulatrices de l’État et la puissance subtile des commerçants plus que jamais maîtres de ce jeu de yoyo. Entre le marteau et l’enclume, sans pouvoir d’action ni sur l’un ni sur l’autre, ce sont les consommateurs qui paient les frais de ce conflit (connivence ?) opaque, titanesque.

La flambée des prix est réelle. Le bidon d’huile jaune – au demeurant de qualité douteuse… – se vendait, il y a quelque mois, entre 600 et 700 MRU : il en affiche aujourd’hui le double ; même topo du côté de la viande dont le prix au kilo varie selon la qualité et l’origine entre 200 et 250 MRU ; et c’est jusqu’au savon de Marseille dont le prix a grimpé de plus de 120 % !Cette montée vertigineuse affecte toutes les denrées de consommation de base et provoque une morosité qui frise le laisser-aller, en creusant davantage le gouffre de la pauvreté pour des populations prises au piège d’une politique combinant l’insouciance des uns et le profit de quelques autres.

Paradoxe frappant : censées constituer une alternative de stabilité des prix et d’accès facile des ménages aux denrées vitales, les boutiques « Emel » ont été complètement détournées de leur mission initiale. Ajoutons-y la vente du poisson subventionné par l’État : alors qu’elle devrait profiter à tous les ménages, elle est également devenue une aubaine pour les privilégiés et un cauchemar pour les plus démunis, faute d’équité dans la distribution et d’égale répartition entre les quartiers.

 

…une dose de plus vers la famine !

Force est de constater qu’en plus des dysfonctionnements et des manquements, tant structurels que conjoncturels, dans tout le système de production, surtout agricole, le chef-lieu d’une région Gorgol célèbre par sa vocation agropastorale, Kaédi la belle flétrit et se meurt. Pour des raisons multiples : absence de campagne rizicole dans l’irrigué, non-capitalisation des effets du COVID qui devraient pousser les agricultures vers une réelle autonomie, impliquant un changement de méthodes culturales plus axées sur les nouvelles techniques et approches agro-écologiques. En somme et au risque de devoir recourir à une forme de mendicité déguisée en appui ponctuel non structuré, le tissu social se désagrège inexorablement, mettant au rouge tous les indicateurs d’une famine non déclarée tirant, chaque jour un peu plus, les populations vers des lendemains incertains.

Biry Diagana

CP Gorgol