Aux détenus d’IRA / par Mohamed Baba

29 December, 2014 - 09:28

Biram Ould Abeid, Brahim Ould Bilal, Dah Ould Bousshab, Abidine Ould Maatalla…des noms et prénoms qui évoquaient les Adawaba (village d’esclaves ou d’anciens esclaves), les attroupements autour des margelles de puits et des abreuvoirs de bétail, les heures de la traite, les marchés aux bestiaux. En ville, ils évoquaient les métiers de « blanchisseurs », de bouchers, de maçons de porteurs d’eau ou de dockers du Warf. Aujourd’hui, ces patronymes peuplent les listes des détenus d’opinion, leur porteurs se massent dans les cages des accusés et comparaissent devant les tribunaux des plus grandes villes de Mauritanie ou s’étalent, en grand, sur les unes des organes de presse nationaux et internationaux. Certains d’entre eux se voient ouvrir l’accès des plus prestigieuses tribunes internationales, sont comparés aux plus grands de ce monde et disputent la place aux symboles les plus emblématiques de notre époque.

C’est une nouvelle génération de Hratine, parfaitement décomplexés et résolument déterminés à conquérir leur dignité sans compter sur quiconque ni en implorer la mansuétude et sans attendre l’avènement d'un chimérique Etat de droit. C’est la relève des Messaoud et Ould Messaoud réunis. Usant des nouvelles techniques de l’information, inventant de nouvelles formes de lutte d’une rare efficacité avec ce qu’il faut de tension et de provocation, mais toujours pacifiques et respectueuses de la légalité, ces nouveaux militants se sont créé un étendard portant le nom énigmatique d’IRA et évoquant, du moins dans son acronyme, les lointains combats de l’organisation irlandaise du même nom.

Personne en Mauritanie, aujourd’hui, ne peut prétendre rester indifférent aux combats d’IRA. Des perchoirs des chambres du Parlement aux préchoirs des mosquées les plus reculées du pays en passant par les  minibus urbains et les  taxi-brousses, les combats d’IRA sont sur toutes les lèvres et occupent tous les esprits. Au niveau international, les Etats commencent à s’écharper par chancelleries interposées sur le sort de Biram et ses codétenus.

Il y a de cela presque deux ans, juste après l’autodafé symbolique des manuels de jurisprudence esclavagistes, nous adhérions, Ahmed Amou Ould Moustapha et moi, à IRA. Que de critiques et d’incompréhensions avait suscité cette décision. « Beydane » de service, « faire valoir » manipulés par Biram, caution à de dangereux racistes faisant courir les plus grands risques à la cohésion de la nation, tels furent les plus doux sobriquets dont nous fûmes affublés.

Aujourd’hui, si c’était à refaire, nous n’hésiterions pas un seul instant. Notre but n’était pas réductible à la dédiabolisation d’IRA et de son président ni à attirer, soi disant par notre exemple, d’autres Beydane en son sein. Nous ne sommes pas les représentants des Beydane. Nous nous considérons bien plus que cela, des militants des Droits de l’homme, épris de justice et persuadés que les inégalités ne sont guère une fatalité. Pour nous, ceux que les quelques dérapages de langage de Biram rebutent et font renoncer  à se joindre aux combats d’IRA ou à organiser leur propre combat contre l’esclavage ne sont pas sincères dans la lutte contre ce fléau. Ceux qui se contentent d’agiter le chiffon rouge des risques de guerre civile à chaque fois qu’on indexe les « Maures » ou qu’on les  accuse d’esclavagistes cherchent un alibi pour ne pas mouiller la chemise. Nombre d’entre ceux-là reprochent à IRA de ne parler que des « Maures » quand elle évoque l’esclavage. Nous nous attendons alors à les voir affluer chez IRA maintenant que, dans ses plus récents discours, Biram rappelle, comme il l’avait fait à d’autres occasions, que l’esclavage existe aussi chez les Soninké ! Ceux qui reprochent à IRA de « faire de la politique » ne sont guère beaucoup plus nets. Comment serait-il possible de séparer la lutte pour la défense des Droits de l’homme de la création des lois qui régissent ces mêmes droits ?

Aujourd’hui, après avoir fait considérablement évoluer les mentalités sur l’esclavage domestique et par ascendance, après avoir forcé le pouvoir à reconnaitre l’existence de l’esclavage en Mauritanie par la création d’une cour spécialement dédiée à sa répression et une agence assignée à la lutte contre ses « séquelles», IRA déplace le centre de gravité de son combat vers l’accès à la propriété foncière par les esclaves et les descendants d’esclaves. Après la « Caravane des Esclaves pour la liberté » qui a sillonné le pays de long en large l’an dernier, c’est maintenant le tour de la « Caravane pour l’abolition de l’esclavage foncier » de tirer de leur sommeil séculaire les centaines de milliers de paysans qui se transmettent de génération en génération la charge de labourer une terre dont d’autres se transmettent le droit d’en récolter la moisson. C’est le maillon manquant à la loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes. L’abolition de l’esclavage ne pourra être effective sans l’abolition de la césure tribalo-féodale des terres agricoles, sans la mise en place effective et raisonnée d’une réforme agraire centrée sur l’accession pleine et entière des esclaves et anciens esclaves à la propriété de la terre. C’est en lançant ce nouveau volet du combat d’IRA que les militants anti-esclavagistes ont été raflés, torturés et répondent depuis trois jours de chefs d’accusation fantaisistes devant le tribunal de Rosso en encourant des peines d’emprisonnement allant de trois à cinq ans de prison fermes.

Nous pensons à eux quand, la veille de l’ouverture du procès, un commando d’une trentaine de gardes courageusement cagoulés, se sont introduits dans leurs cellules pour les obliger à sortir dans la cour sous prétexte que des ordres leur ont été transmis de procéder à une fouille approfondie de la prison. Cette nuit-là Biram Ould Abeid, Brahim Ould Bilal, Dah Ould Bousshab, Abidine Ould Maatalla et les dix autres militants incarcérés depuis un mois et demi et alors qu’ils devaient se présenter le lendemain tôt  au tribunal, ont été maintenus éveillés jusqu’à quatre heures du matin et forcés à assister à une séance de torture infligée aux détenus de droit commun qui partagent avec eux la prison de Rosso dans une odieuse mise en scène destinée à les intimider et à affaiblir leur moral. La combativité et la fierté dont ils firent preuve à l’ouverture du procès furent là pour démontrer à leurs visiteurs du petit matin l’étendue de l’échec de leur minable petit manège.

Nous sommes persuadés que cette nouvelle étape du combat d’IRA enfantera d’avancées considérables. Demain sera, peut-être, créée une Agence Nationale pour la Réforme Agraire. Peut-être même un Fond Agricole pour l’Accession à la Propriété Foncière. Des amendements pourraient être introduits dans la loi criminalisant l’esclavage dont les objets seraient d’inscrire dans cette loi le droit à l’accès à la propriété foncière. Pour être en trompe l’œil, de telles mesures marqueront néanmoins les esprits et feront prendre conscience à la masse des Hratine, écrasée par des siècles d’abrutissement et d’asservissement mental, qu’ils sont nés avec des droits et qu’ils sont capables d’en obtenir l’application et le respect.

Alors, aux militants d’IRA, ceux qui croupissent dans la moiteur des cellules de la prison de Rosso et ceux qu’on essaye de bâillonner dans les oubliettes des commissariats de Nouakchott, je dis : "Je vous tire mon chapeau et vous salue bien bas. Laissez dire les médisants. Laissez-les ânonner les sempiternelles accusations de financement étranger, de complot cosmique mené par le Mossad  contre la Mauritanie. Il suffirait, pour balayer de telles billevesées de les inviter à venir chez vous, à partager une journée de votre quotidien au quartier du PK10. Laissez-les dire, c’est ce qu’ils ont de mieux à faire."

Mohamed Baba

Membre du Bureau Exécutif d’IRA