Il y a 18 ans disparaissait le ‘’Père de la Nation’’

10 November, 2021 - 09:36

Dix-huit ans après la disparition de feu Moctar Ould Daddah, je partage avec vous cet article que j'avais publié dans le journal Le Calame n°415 du 21 octobre 2003, sous le titre : "Moctar, un vrai génie".
Moctar Ould Dadah, le Père-fondateur de la Nation mauritanienne, s’est éteint la nuit du mercredi 15 octobre dans un hôpital parisien, loin des tumultes excessifs et du tintamarre fracassant de ces jours de pré-campagne pour l’élection présidentielle du 7 novembre 2003 que « sa » pauvre Mauritanie s’apprête à vivre, non sans quelque mélancolie.
Que peut-on alors écrire sur Moctar ? Qu’il était un grand, très grand, homme d’Etat ? Sans nul doute. Mais qu’il était surtout un grand homme tout court, un homme auquel la Providence a réservé, dans une singulière synergie, toutes les vertus humaines valorisées par la culture et la tradition mauritaniennes : la piété, la sobriété, l’intelligence, l’honnêteté, la modestie, le courage, la ténacité et la sagesse.
Moctar avait une foi inébranlable en ce pays qu’il avait forgé du néant et dirigé pendant 18 ans, « contre vents et marées », comme il avait si merveilleusement titré ses mémoires, peu avant sa mort. Ironie du sort : Moctar nous a quittés quelques jours seulement avant la publication de ses témoignages précieux et instructifs sur l’histoire, jusqu’ici mal écrite parce que délibérément dénaturée, de la Mauritanie contemporaine.
Or cette histoire de la Mauritanie, qu’on le veuille ou non, ne peut être dissociée de celle de son principal acteur, à savoir le Président Moctar. On ne peut écrire sur la Mauritanie sans parler de Moctar et vice-versa. Ce n’est pas parce qu’il a été destitué du pouvoir par une junte « en mal de guerre » le 10 juillet 1978, qu’il a volontairement choisi l’exil après sa libération, qu’il est resté au-dessus de la mêlée politicienne de l’après coup d’Etat, que nous devons oublier les bienfaits d’un homme qui avait tout donné pour son pays. Rendons à César, pour une fois, ce qui appartient à César.
Sans vouloir verser dans le périlleux exercice de la nostalgie d’une ère révolue, et loin des comparaisons sur commande genre « le marabout et le colonel », tout analyste honnête et objectif – hélas, ils ne sont pas légion de nos jours ! – vous dira en somme que, pendant les 18 ans du règne de Moctar, l’Etat mauritanien était respectable et respecté, que l’administration faisait en gros son boulot, que les détournements des fonds publics étaient rares et que leurs auteurs étaient sanctionnés.

 

Complexe d’Œdipe
Il vous dira aussi que le niveau de l’enseignement était acceptable, que les centres de soins prodiguaient gratuitement leurs services, que les vivres de l’aide alimentaire arrivaient à leur bonne destination. Il ne manquera pas de vous dire enfin que la diplomatie mauritanienne était active sur la scène internationale ; et l’analyste de constater que ce poids diplomatique était même disproportionné par rapport à la position économique et géostratégique du pays.
C’est dire à quel point l’empreinte géniale d’un homme a suffi non seulement à créer un pays de toutes pièces, mais aussi à le hisser à l’échelon d’Etat moderne, reconnu et respecté. La tâche était rude et même démesurée si l’on se remémore les grands défis auxquels la Mauritanie était confrontée au moment de sa naissance : territoire vaste et désertique, soumis à une nature hostile, peuplé d’un million de bédouins nomades, sans aucune infrastructure, sans le moindre support économique, sans administration, sans ville à proprement parler et, par conséquent, sans capitale.
Pourtant le miracle est arrivé grâce au génie de Moctar : Nouakchott, la capitale de la Mauritanie indépendante est vite sortie des dunes et a connu un essor urbain unique en son genre ; le « bébé » Mauritanie est bien né et a vite grandi malgré les visées hégémoniques de son puissant voisin du nord, le Royaume chérifien, qui ne l’a officiellement reconnu que 9 ans plus tard.
Qu’avons-nous alors fait de notre vaillant « géniteur » ? Atteint d’un véritable complexe d’Œdipe, le pays a destitué son « Père » le 10 juillet 1978 et a fait montre depuis lors d’une véritable ingratitude à son égard.
Dans son long et paisible exil, Moctar n’a cessé cependant de prier pour la Mauritanie, évitant toute sollicitation pour une implication dans une scène politique qu’il savait impropre et malsaine. Les « nouvelles du pays », dont il prenait toujours soin d’interroger ses rares visiteurs, sonnaient de plus en plus mal au fil des ans : déliquescence de l’Etat, enrichissement illicite, crise économique, crise sociale, crise des mœurs et des valeurs, crise des « hommes » tout court…
Voilà donc l’état où se trouve la Mauritanie au moment où elle enterre son grand bâtisseur, 25 ans après l’avoir éloigné du pouvoir. Les hommes s’en vont et les situations changent. L’histoire, dans sa logique intransigeante, ne retient que ce qui doit être retenu. Les grands hommes ne naissent pas tous les jours.
Lamartine, dans son « Histoire de la Turquie », a parlé du Prophète Mohamed (Paix et Salut Sur Lui) en ces termes : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ?». Ne doit-on pas – toutes proportions gardées bien sûr – considérer Feu Moctar Ould Daddah comme un vrai génie ?

Abdallah Ould Ismail