Yarba ould Sghair, secrétaire exécutif chargé des droits de l’homme et des libertés de l’UPR: "Le débat sur l'esclavage et ses séquelles doit être abordé sous l’angle d’une critique sincère et objective et non nihiliste et systématiquement négative"

25 December, 2014 - 09:14

Le Calame : Pourquoi, à votre avis, la question de l’esclavage ou de ses séquelles continue à alimenter le débat en Mauritanie, en dépit des mesures et de la volonté affichée par les pouvoirs publics qui se sont succédé à la tête du pays depuis 2005 ?

 
Yarba ould Sghair : Tout d’abord, je vous remercie pour l’intérêt que votre journal porte à des questions aussi importantes que l’unité nationale et la cohésion sociale et pour nous avoir donné, à l’Union Pour la République, l’occasion d’exprimer notre point de vue sur ces questions.

Par rapport à votre question, il semble que pour certains activistes de la scène politico-médiatique, le débatn’a pas de boussole. Et, paradoxalement, c’est quand les pouvoirs publics s’investissent sérieusement dans le règlement des problèmes que les autres commencent à s’y intéresser, le plus souvent en prenant le contre-pied et en naviguant à contre-courant.

Tout le monde reconnaît que l’esclavage est aboli en Mauritanie depuis 1981, qu’il est criminalisé depuis 2007 et que sa pratique est constitutionnellement qualifiée de crime contre l’humanité depuis 2012.

Ce qu’il en reste objectivement, ce sont des séquelles qu’il est facile de déceler dans la mentalité rétrograde et les conditions de vie que j’aborderai plus loin.

Comme vous l’avez dit, les différents pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie depuis l’indépendance ont, chacun, apporté une contribution à la lutte contre ce mal bien invétéré dans notre société. Cependant, il est tout à fait injuste de les placer sur un pied d’égalité.

Car, la constitutionnalisation de la criminalisation de l’esclavage, la création de tribunaux spéciaux pour les auteurs de pratiques esclavagistes, la création d’une agence nationale dont la lutte contre les séquelles de l’esclavage constitue une mission essentielle, la ratification de toutes les conventions internationales garantissant le respect de la dignité humaine, la mise en œuvre de politiques sectorielles de lutte contre la pauvreté et la précarité, la distribution gratuite de plus de cent mille terrains dans les grands centres urbains ; tout fonctionne, sans le dire, comme une discrimination positive et profite, avant tout, aux couches défavorisées, historiquement victimes des inégalités.

Cette œuvre grandiose du Président de la République, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, mérite d’être distinguée de tout le reste et d’être évaluée, du reste. Le débat doit l’aborder sous l’angle de la critique, mais d’une critique sincère et objective et non nihiliste et systématiquement négative.

 

-A l’occasion de la célébration de la journée des droits de l’homme, la Charte des Harratine ou le Manifeste pour les droits des Harratine a publié un communiqué dans lequel il décrit ainsi la situation des Harratine « la marginalisation des Harratine se traduit « aussi bien en termes de liberté individuelle et d’autonomie collective, qu’en déficit d’accès à l’éducation, aux services de base et encore plus aux richesses nationales ou au pouvoir politique. La condition générale de cette communauté demeure marquée par l’esclavage et ses séquelles : l’exclusion, l’ignorance et la pauvreté y prévalent dans l’indifférence totale des pouvoirs publics ». Que vous inspire cette description ?

- Cette description ? Je la trouve très subjective, peu réaliste et empreinte d’amalgame. La liberté individuelle ne connaît aucune entrave en Mauritanie, puisqu’aucun individu n’est tenu par quelque lien de dépendance que ce soit. Que des citoyens perpétuent entre eux des liens de fraternité  tissés au fil du temps et continuent à jouir des bienfaits « d’un commerce indépendant »comme dirait Rousseau, cela doit constituer un motif de fierté pour tous les patriotes. La liberté n’est pas synonyme de division, de rupture ou de haine. Elle s’accommode, plutôt bien, de la cohésion et de la concorde.

Les Mauritaniens ont intérêt à le comprendre, anciens esclaves et anciens maîtres. Et c’est le rôle des politiques et des défenseurs des droits de l’homme ou prétendus tels, en premier lieu, de travailler à changer les mentalités et à dépasser les blocages psychologiques pour renforcer les liens sociaux.

Quant à « l’autonomie collective », je ne peux comprendre qu’elle soit une revendication du groupe que vous citez, les Harratine étant une composante essentielle de la communauté arabe de Mauritanie et, à ce titre, des citoyens à part entière qui ne réclament aucune forme d’autonomie collective.

Des conditions de vie meilleures et un niveau de développement harmonieux sont des aspirations légitimes, d’autant que les séquelles de l’esclavage se manifestent à travers la pauvreté, l’ignorance et la précarité. Le retard historique de certaines couches, ajouté au sous-développement et aux effets conjugués de facteurs naturels et économiques défavorables, explique les conditions de vie difficiles qu’elles vivent.

Mais le « Manifeste » que vous évoquez, comme d’autres documents émanant d’autres groupes, n’échappe pas aux écueils récurrents. Il se contente (ou se mé-contente) de faire un diagnostic sans l’analyser de façon objective et approfondir la réflexion pour en cerner les divers aspects. Il en résulte le deuxième écueil qui consiste à proposer des solutions irréalistes dont est absente – troisième erreur- la dimension nationale, qui doit être à la base de toute solution.

C’est cette vision nationale qui permet de trouver les remèdes sur le plan théorique, puis de les mettre en œuvre, sur le plan pratique.

Les pouvoirs publics actuels donnent la priorité dans les différentes politiques menées à l’accès de tous les citoyens aux services de base : eau, électricité, santé et éducation, ainsi qu’à la généralisation des infrastructures qui sont les piliers du développement.

Les grands projets structurants en disent long sur cette politique qui, comme je l’ai déjà souligné, profite d’abord aux franges les plus vulnérables de la société, notamment dans le, désormais, triangle de l’espoir ; les, désormais, quartiers restructurés (et non plus bidonvilles) des grands centres urbains ; dans les adwaba les plus reculés de l’intérieur du pays etc.

 

 

-Pourquoi, à votre avis, la question de l’unité nationale fait l’objet d’une espèce de « fixation » depuis quelque temps, de la part aussi bien du pouvoir que de l’opposition? Serait-elle menacée?

-La préservation de l’unité nationale est une condition sine qua non de l’existence et de la pérennité de l’Etat et de la société. C’est pourquoi elle bénéficie d’un intérêt constant et réel de la part des autorités publiques, particulièrement du Président de la République, garant de la continuité de l’Etat et de la bonne marche des institutions.

Toute mesure de nature à consolider cette unité est donc la bienvenue ; cela ne veut pas dire nécessairement qu’elle est menacée, même si de temps à autre, quelques individus ou groupuscules tentent d’exploiter la diversité de notre société à des fins malhonnêtes.

C’est tout aussi vrai pour des groupuscules extrémistes et racistes que pour certains partis constitués qui perdent parfois le contrôle de leur discours et de leurs actes et tombent, par mauvais calcul, dans le « politiquement incorrect ».

 

Pensez-vous qu’un forum autour de cette question, souhaité par tous les acteurs politiques, pourrait servir de terrain d’entente entre le pouvoir et son opposition (FNDU) ?

-Le Président fondateur de l’UPR, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, n’a de cesse de répéter la disponibilité de la Majorité présidentielle au dialogue. Il y a appelé à plusieurs reprises et les résultats probants des dialogues politiques qui ont eu lieu prouvent la justesse de sa vision.

Dans le sillage des choix du Président fondateur et conformément à la méthode suivie par la direction de notre parti, nous à l’UPR, nous prônons le dialogue et y sommes prêts.

Mais permettez-moi de vous rappeler que le FNDU ne représente qu’une partie de l’opposition et que ses souhaits et même ses engagements ne nous convainquent plus, après tant de reniements et de retournements de veste. S’il est sérieux dans ce que vous lui prêtez, il doit le prouver sur le terrain ; la confiance et l’entente suivront.

 

-Le Parlement de l’Union européenne vient de demander à la Mauritanie de libérer le militant anti-esclavagiste, M. BiramDahOuldAbeid, président d’IRA Mauritanie qui croupit en prison depuis le 11 novembre. Quel commentaire vous inspire cette décision ?

-Je voudrais apporter quelques précisions sur la nature, la valeur et le contenu de la résolution du parlement européen.

Il s’agit d’une résolution non contraignante émanant d’une institution non exécutive dont la Mauritanie n’est pas membre (c’est l’Europe !).

D’autre part, la résolution est pleine de contradictions et de contre-vérités dont je citerai ci-après quelques-unes :

  • Au moment où elle reconnaît que l’esclavage est aboli et incriminé, elle indique que sa pratique est bien réelle, sans pouvoir avancer un seul argument, un seul exemple ;
  • Elle déclare l’esclavage « explicitement fondé sur l’origine ethnique », alors que beaucoup de descendants d’esclaves se réclament de multiples origines;
  • Elle déclare que « les membres de la communauté Haratin se voient…interdire l’accès à des postes élevés de la sphère publique ». Pensez aux présidents de l’Assemblée Nationale, du Conseil constitutionnel, du Conseil Economique et Social, par exemple ;
  • Elle condamne «  la traite des êtres humains en Mauritanie » !

Dans ses attendus juridiques, la résolution ne fait aucune mention des conditions de détention des prévenus de l’IRA, cette organisation non reconnue et qui, pourtant, était tolérée pendant des années et qui bénéficiait d’une grande liberté.

Or, qui s’intéresse aux droits de l’homme sans arrière-pensées se préoccupe généralement des conditions de vie dans les prisons.

Mais comme les témoignages concordants, voire les aveux des prévenus évoquent des conditions normales, le parlement européen a escamoté sa mission première et celle de tous les défenseurs des droits de l’homme, pour porter son attention sur ce qui n’est pas une priorité de son domaine d’intervention.

Les militants de l’IRA sont entre les mains de la justice. On doit permettre à la justice de suivre son cours. On peut leur demander l’assistance judiciaire et un procès juste et équitable. Aller au-delà, c’est avoir d’autres objectifs et être poussé par d’autres raisons.

Le Président de la République ne s’y est pas trompé et a jugé qu’il y a des raisons « inavouées » derrière la résolution du parlement européen. Il a dit en substance que les Mauritaniens sont « résolus » face à cette résolution (le jeu de mots est de lui) à défendre leurs intérêts, particulièrement économiques.

L’amalgame est on ne peut plus clair : la carte des droits de l’homme en Mauritanie au secours des intérêts économiques du vieux continent.

Cela se passe de commentaire.

Propos recueillis par Dalay Lam