Tribalisme entre pouvoir et opposition

25 December, 2014 - 08:50

Comme dans certains pays du monde, le tribalisme en Mauritanie semble résister à toutes les mutations en même temps qu’il continue d’influencer, à la manière d’un phénomène de nature psychologique, les fondements du socle de la vie nationale dans ses dimensions politique, économique et sociale.

 

Pour s’en convaincre, il suffit, par exemple, de constater qu’aucun projet, ni entreprise privée, ni parti politique, ni association, ni courant idéologique ou spirituel, ni nomination n’ont pu jusqu’à présent, et ce malgré les efforts soutenus de l’Etat et de l’œuvre démocratique du temps, se soustraire à la fatalité du tribalisme dans ses manifestations parfois sectaires et souvent archaïques.

 

Chez nous le tribalisme, pour être naturel, est une caractéristique sociétale normale et tolérée, voire même une institution, car nos critiques à son endroit se heurtent toujours au fait que nous appartenons tous à des tribus qui ont leur code, leur hiérarchie et leur chef reconnu officieusement en tant que tel.

 

La seule contradiction ou plutôt anomalie relevée dans le système tribal, aux connotations pourtant péjoratives, est que la manière dont on affirme notre appartenance aux entités qui le composent déroge de façon succincte aux lois de la république qui les interdisent implicitement sans pour autant proscrire le recours à leurs potentialités et arbitrage.

 

Cependant, si ce tribalisme qui nous colle à la peau, faisant de nous des contrevenants tacites, est pointé du doigt par tous comme l’unique obstacle au développement du pays, certaines sphères qui en connaissent, pour les avoir expérimentées, les vertus sur la rigidité des régimes mauritaniens, l’utilisent aujourd’hui afin de mettre à l’abri des velléités réformatrices de

Aziz, des privilèges indus et souvent préjudiciables à la justice sociale.

 

Il faut dire qu’à défaut d’avoir un instrument politique performant, une stratégie de communication adaptée, un gouvernement compétent et des conseillers officieux ou de proximité sincères, le président Aziz qui apparaît de plus en plus seul, s’expose ouvertement aux manœuvres politiciennes de ses adversaires du moment et prête, de façon sensible, le flanc à leurs accusations de tolérer, voire d’encourager, le tribalisme, ultime recours après avoir, en vain, tenté de le discréditer par des moyens plus conventionnels ou en tout cas moins anachroniques.

 

Cette solitude du prince plus craint que respecté, plus courtisé qu’aimé et dont Machiavel a si bien démontré le processus et les mécanismes d’échéance, risque de soumettre le président Aziz à l’isolement persuasif et calculé, dont a été victime Ould Taya, avant de le jeter irrémédiablement dans les méandres du syndrome du Candide Voltairien qui ne cesse d’affirmer que : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

 

Une solitude qui promet d’être plus dangereuse que celle de Ould Taya car les apprentis sorciers d’un UPR, bien moins outillé que le PRDS, ont déjà planté le décor, s’inspirant dans l’accomplissement de cette tâche grandiose d’un  Zadig ou la Destinée (version mauritanienne) où Voltaire s’interroge sur la liberté humaine et fait l’apologie d’une monarchie éclairée.

 

Cependant, par une campagne savante et rondement menée, certains opposants tentent d’accréditer l’idée selon laquelle le président Aziz lui-même a recours au tribalisme. Ils vont même jusqu’à affirmer qu’il subordonne son pouvoir au seul enrichissement de ses cousins au moment où il utilise ses pouvoirs pour appauvrir les « tribus ennemies » tout en matant chez elles toute velléité de résistance au rouleau compresseur de ses mesures restrictives et exclusionnistes.

 

Indépendamment de la guerre désormais ouverte entre le pouvoir et son opposition et où tous les coups sont permis, l’on peut comprendre de la part du président Aziz de rendre leur monnaie à ceux qui, lors de la présidentielle de Juillet 2009 et pour lui faire payer la chute de Ould Taya qu’ils considèrent comme un affront tribal avant d’être une affaire nationale, ont soutenu contre lui la candidature de Oud Daddah. Attitude présidentielle qui n’a visiblement pas changé après l’élection de 2014 puisque les mêmes personnes continuent à être exclues.

 

L’on peut également comprendre de sa part de ne pas accepter de composer avec ceux qui, pendant la transition, lui ont livré une guerre de tranchés sur les fronts national et international pour punir chez lui la promptitude avec laquelle il a fait tomber de son piédestal un Sidi Ould Cheikh Abdallahi au sommet de sa gloire et qui ne faisait pas dans de la dentelle pour asseoir irréversiblement sa théocratie obscurantiste.

 

Mais pour couper l’herbe sous les pieds de ceux qui brandissent dans son sillage l’arme imparable du tribalisme, Aziz, qui doit son élection aux mauritaniens anonymes et à l’un de ces concours de circonstances dont l’histoire a le secret, doit refuser, ne serait-ce que pour la postérité, de se laisser enfermer dans une logique d’hostilité à l’endroit de certaines tribus considérées rivales de sa propre collectivité.

 

Il doit aussi comprendre que ceux qui lui conseillent ouvertement ou par suggestions et BR à l’emporte pièce, notamment certains cercles tribaux de l’Adrar et du Tagant, d’adopter une attitude de méfiance vis-à-vis de certaines tribus et de s’approcher d’autres, sont de dangereux chantres du tribalisme et à la fois des ennemis du régime et de la Mauritanie.

 

 

M.S.Beheite