Remettons nos pendules à l’heure/par El Hadj SIDI BRAHIM

18 August, 2021 - 20:45

Depuis l’indépendance de notre pays, les régimes qui s’y sont succédé ont entretenu des pouvoirs sur fond de stigmates tribales et ethniques pour aboutir, in fine, à un Etat de grande précarité classé parmi les pays les plus pauvres du monde. L’avènement du régime précédent et sa volonté de faire taire toutes les voix discordantes avait conduit le pays dans une impasse marquée par la discrimination, l’exclusion d’une bonne frange de la population, l’élargissement du gap entre les riches et les pauvres et le dysfonctionnement de l’appareil de l’Etat.

Bien que les mauvaises anciennes pratiques ne semblent pas s’estomper, les réalisations déjà faites par le pouvoir en place sont de nature à conjecturer une bonne volonté de changement. Aussi, les projets d’avenir très ambitieux particulièrement en matière d’agriculture, d’élevage et d’activités génératrices de revenus pour les jeunes préludent un changement de cap et doivent certainement aboutir à l’amélioration des conditions de vie des populations. La réalité est que ces changements prendront du temps et il ne faut pas surtout s’attendre à manger aujourd’hui les fruits d’un arbre qu’on vient juste de planter.

Tenant compte de notre réalité intrinsèque, Il faut reconnaître que nous vivons dans une société pétrie par les concurrences intercommunautaires et tribales exacerbées par  leur quête d’avoir leur ‘‘part du gâteau’’ offerte par les structures lucratives de l’État. Last but not least, l’opportunisme d’une bonne partie de la classe politique et l’absence de la participation citoyenne à la gestion des affaires publiques et à la redevabilité vis-à-vis des détenteurs d’obligations constituent une entrave majeure au développement. La participation citoyenne est l’un des principes fondamentaux de la démocratie fondée sur l’idée que toute personne concernée par une décision a le droit de prendre part au processus décisionnel.

Chez-nous, l’état des lieux montre une discordance flagrante entre les ressources naturelles inépuisables du pays (fer, cuivre, or, phosphate, poisson, gaz etc…) et le niveau de pauvreté extrême de la population. Exploitant de manière systématique nos ressources naturelles afin de réaliser leur propre développement, les puissances économiques nous ont mis dans une situation de sous-développement et de dépendance chronique. Une remise en cause de ces relations inégalitaires de domination et d’exploitation qui prévalent depuis notre indépendance est préalable à toute possibilité de développement.

Il y a lieu de se demander aujourd’hui, si nous pourrons un jour affronter à armes égales ceux qui sont responsables de notre misère. Malheureusement, la technologie qui est la base du progrès, est l’apanage du monde occidental et ils en font bénéficier ce qu’ils veulent selon leur bon vouloir. Le Sénégal par exemple, malgré ses ressources naturelles limitées, a pu faire ces dernières années de grandes réalisations en matière d’infrastructures et de développement technologique grâce à l’afflux massif d’investissements et du soutien technologique de la France et des pays occidentaux alors que nous, nous sommes laissés pour compte.

Encore, l’autre face cachée du pillage de nos richesses est la main-d’œuvre occasionnelle et les entreprises de prestation de service étrangères. Face au désordre dans le secteur de l’emploi et dans une conjoncture mondiale où le chômage est devenu un challenge pour tous les gouvernements, notre pays a ouvert, sans restriction, les portes en grand pour une main-d’œuvre occasionnelle étrangère. Ainsi on est devenu, ces dernières années, une destination facile pour des flux de chercheurs d’emplois de tout bord (mécaniciens, électriciens, plombiers, manœuvres, marchands ambulants etc…) qui, dans plusieurs des cas, se lancent par la suite dans la criminalité, la drogue, le blanchiment d’argent etc…

En matière d’entrepreneuriat, les entreprises étrangères (sénégalaises, tunisiennes, marocaines, chinoises etc…) gagnent pratiquement tous nos marchés de prestations de services à hauteur de plusieurs milliards d’ouguiya. Ayant une longueur d’avance sur nous et profitant d’une législation complaisante, elles se  refusent le fait même de s’associer avec nos entreprises locales pour s’approprier à elles seules le jackpot.

Devant cette compétitivité féroce, nos petites et moyennes entreprises (PME), censées contribuer à la création de l’emploi, renforcer le revenu de la classe moyenne et par voie de conséquence contribuer à l’accroissement des recettes publiques se sentent complètement sacrifiées.

Si nous voulons un jour goûter aux fruits de la croissance et du progrès technologique et scientifique, nous devons nécessairement nous inspirer du modèle des pays émergents. A travers leur réussite, il s’avère qu’ils avaient tous tendance à surprotéger et favoriser leurs acteurs nationaux au détriment de leurs partenaires économiques étrangers. C’est grâce aux politiques protectionnistes que leurs entreprises locales profitant des synergies développées dans le cadre de joint- ventures avec les entreprises étrangères, ont pu bénéficier du transfert technologique.

En Chine par exemple, contrairement à ce que l’on pouvait s’imaginer, les entreprises étrangères sont trop souvent sujettes à des réglementations trop strictes ainsi qu'à une administration chinoise pointilleuse et assez regardante. Parmi les pays les plus protectionnistes du monde, on peut citer en plus de la Chine, la Russie, l’Inde et les Etats-Unis. Les États-Unis ont d’ailleurs instauré une clause ‘‘Buy American Act’’ pour leurs marchés publics dans le but de promouvoir leurs entreprises locales.

En bref, l’espace de liberté offert aujourd’hui est une véritable occasion pour débattre et réfléchir sur les enseignements pouvant être tirés de toutes nos défaillances. L’objectif est de présenter le canevas d’une stratégie de développement devant conduire à une émancipation du pays basée sur l’exploitation rationnelle des ressources, la bonne gouvernance et la redistribution équitable des richesses. Comme disait feu Ahmed Baba Miské (paix sur son âme) : « Chaque société, chaque civilisation doit trouver elle-même sa voie ». Une phrase qui restera à jamais comme un héritage intellectuel.

Il y a donc nécessité de remettre nos pendules à l’heure  et de repenser toute la politique économique dans son ensemble face à une mondialisation et à un libre-échange poussés à l’extrême. Tout cela a besoin d’être régulé par les pouvoirs publics dans le but de satisfaire les demandes d’une population devenant de plus en plus exigeante pour réclamer une politique pouvant leur assurer l’équité, l’emploi, les services de base (santé, éducation, eau, électricité etc…) et le bien-être social.

A suivre ….

El Hadj SIDI BRAHIM

Ingénieur de Pétrole