Tous tout nus

18 December, 2014 - 01:06

C’est au nom de la lutte contre la sorcellerie que des milliers de gens, déviants d’une pensée unique catholique aux abois, furent envoyés au bûcher, à Trêves ou ailleurs ; à celui de la Sainte Croix que des millions d’Amérindiens furent exterminés ou réduits en esclavage ; de l’orthodoxie sunnite que Tamerlan ravagea la Mésopotamie et la Perse ; des « Lumières » que la Révolution sacrifia, en moins de dix ans, quatre cent mille Français ; de la libération des peuples que les Bolcheviks en firent de même, avec des millions de Russes ; de la pureté de la race, que tout autant de juifs, tsiganes et autres basanés furent éliminés par les Nazis ; de l’éradication du révisionnisme petit-bourgeois que la Révolution culturelle, dirigée par une femme, anéantit des myriades de Chinois ; de la démocratie que les Etats Unis, éventuellement suppléés par une coalition internationale, aura effacé des millions d’Afghans, Irakiens et autres Somalis, tandis que, brandissant le Saint Coran, d’autres décapitent tout occidental à portée de machette… Et quel alibi, demain, à la fureur des intérêts ? L’évolution du génome ?

Et pourtant, ne sommes-nous pas, tous, sortis d’un ventre d’une mère ? Tous tout nus, tous geignant, Jésus comme Mohamed (PBE), Ould Abdel Aziz comme François Hollande, les Noirs comme les Blancs, les femmes comme les hommes, toi comme moi ? Serait-ce une fatalité inéluctable que les convictions plaquées sur cette trivialité si commune au genre humain nous la fassent oublier ? Je n’ai, certes, aucun doute de ce que ma maman est la meilleure maman du Monde, la plus jolie, la plus aimable, mais je n’en admets pas moins que tu sois convaincu, toi, d’exactement la même chose en ce qui concerne ta propre mère. Mieux : j’aime ce paradoxe, il me donne à espérer – croire, peut-être – que nous pouvons, tous, éprouver, chacun en notre for intérieur, des sentiments analogues ; les traduire en langage ; en construire communautés de vie. Apaisés.

Ou bien serait-ce qu’il nous faille oublier, qu’on veuille nous faire oublier, l’autre trivialité, tout aussi certaine, de notre inéluctable départ, un matin, un soir, une nuit, avec trois rien sur la peau, un fin linceul blanc, et la terre, bientôt, tout contre la joue droite, dénudée ? Et, de cet instant à celui-de notre naissance, il nous faudrait nous résoudre à de vaines fureurs ? Mais pour quels intérêts, Seigneur ? L’acquisition d’un 4x4 ? D’un palace à Las Vegas ? D’une médaille déposée sur un cercueil ? D’un tombeau quatre étoiles ? D’une célébrité posthume ? Serait-il, pour le croyant, que la paix du Paradis puisse se nourrir du sang de convictions adverses, voire d’innocentes victimes « collatérales » ? Il est bien probable, en effet, que l’Humanité se distingue en deux parties : d’une part, ceux qui s’emploient à ne jamais oublier en quelle tenue ils sont nés et mourront ; d’autre part, ceux qui s’efforcent du contraire et s’efforcent de la faire oublier aux autres, à grands renforts de conflits, sinon de propositions alléchantes, avec, toujours en tête, un même objectif : diviser pour régner. Et pourquoi donc, en fin de comptes ? Mon Dieu, pauvres gens ligotés d’or, quelle misère…

 

Tawfiq Mansour