La création d’un parquet national financier : Une urgence nationale/Par Moussa Hormat-Allah, Professeur d’université, Lauréat du Prix Chinguitt

22 April, 2021 - 03:30

D’emblée, un triste constat : Il est une vérité bien établie en Mauritanie : Nombre de responsables publics –à tous les niveaux de l’Etat—, accèdent à des fonctions sans une fortune personnelle significative. Parfois même sans aucune fortune. Pourtant, dès les premières années de leur entrée en fonction, ils deviennent, souvent, comme par enchantement, richissimes. La technique est simple : instauration d’un système de vases communicants entre leur patrimoine personnel et celui de l’Etat.

Ainsi, pendant que l’immense majorité du peuple croupit dans la misère et le dénuement, ils amassent des fortunes, de plus en plus colossales. Mieux ou pire encore, ils passent, généralement, aux yeux de leurs compatriotes comme des symboles de la réussite sociale. Car, dans l’entendement populaire, la notion de la sacralité du bien public n’est pas encore suffisamment ancrée dans les mentalités.

Les fléaux de la corruption et les détournements des deniers publics sont devenus, en Mauritanie, depuis très longues années déjà, une véritable industrie. Une industrie particulièrement lucrative. Il s’agit d’un mal endémique qui ronge de l’intérieur les fondements même de l’Etat et de la société. Un mal qui obère tout effort de développement économique. Dans ce triste registre de la prévarication, les exceptions de probité et d’intégrité sont rarissimes.

Ailleurs, en Occident, par exemple, faire main basse sur un bien public est une ligne rouge à ne pas franchir sous peine d’aller directement en prison. Et ce quelle que soit la position sociale ou professionnelle du contrevenant. Ce qui explique que dans ces pays ce type de prévarication est très rare : un ou deux cas, ici ou là, de temps à autre. En revanche, sous ces cieux, c’est, surtout, la fraude et l’évasion fiscales qui sont dans la ligne de mire de la justice.

 

Pour revenir à la Mauritanie et pour éviter que de tels prédateurs ne dilapident plus les deniers publics, de solides garde-fous devront être posés. Parmi les mesures à envisager, une me paraît d’un grand intérêt. Il s’agit de la création d’un parquet national financier (PNF). Le PNF aura une compétence nationale. Le champ de cette compétence recouvrira, notamment, deux types d’infractions :

 

  • Les atteintes à la probité : corruption, trafic d’influence, favoritisme, détournement de fonds publics, concussion…
  • Les atteintes aux finances publiques : fraudes et évasion fiscales aggravées, blanchiment, escroquerie à la TVA… La saisine du PNF sera ouverte, naturellement, au parquet général (procureur général) mais aussi à la presse, aux ONG et aux particuliers sur la base de faits probants.

 

Lorsqu’il est saisi de faits relevant de sa compétence, le PNF pourra étendre son enquête aux faits connexes en lien avec la même affaire.

 

A l’issue de l’enquête, le PNF pourra :

  • Classer la procédure ;
  • Ouvrir une information judiciaire ;
  • Procéder à une inculpation ou mise en examen pour utiliser une expression, désormais, consacrée par le droit français :
  • Déférer le ou les insculpés devant un juge d’instruction pour, éventuellement, comparaître devant un tribunal correctionnel.

 

Le PNF devra être composé de magistrats professionnels, avec une parfaite connaissance des arcanes du monde des affaires et de la finance. Ils seront assistés par des experts économistes et financiers. Le PNF de par sa composition et sa technicité sera différent des services de d’Etat affectés, jusqu’ici, à la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics.

 

Il est de notoriété publique que l’Inspection générale de l’Etat et la police économique de la DGSN sont, avant tout, des instruments de règlement de comptes au service du pouvoir. Elles sont là pour faire peur. Elles n’ont ni le personnel, ni la compétence, ni la légitimité pour s’acquitter convenablement de la mission qu’on leur a, théoriquement, assignée. Ces entités d’exception ont été, probablement, créées dans un but bien déterminé pour servir des intérêts personnels : neutraliser des adversaires politiques ou affaiblir économiquement des hommes d’affaires qui voudraient se soustraire de l’emprise du pouvoir. De telles entités sont, naturellement, indignes d’un Etat démocratique.

La création du PNF marquera, sans doute, d’une pierre blanche le quinquennat du président Ghazouani. Elle mettra aussi en exergue, la ferme volonté du nouveau pouvoir pour lutter contre la corruption et la dilapidation des biens publics. S’ouvrira alors une nouvelle ère de bonne gouvernance au grand bonheur d’un peuple meurtri par plusieurs décennies de privation et d’injustice.