Le fils du Saint et le Covid- 40/par Brahim Bakar Snaiba

25 March, 2021 - 00:08

Ce fut un casting politique visant à trouver qui doit diriger l’Etat post-colonial naissant. Issu d’une aristocratie maraboutiquo-guerrière, où le bellicisme et les grands faits de guerre sont prégnants et fréquents, Mokhtar Ould Daddah fut un troisième test de l’Administration coloniale, obligée celle-là de passer formellement le pouvoir aux populations locales. Dans un premier temps, on essaya Ahmedou Horma Babana, un marabout de Laaghoul – zone tampon entre l’Aftout et Atkour – qui au sens des colons, devait être tout doux et tout docile. Mais sa complexion apparut au grand jour, un jour de 1946, dans la cathédrale d’Atar. Alors, le musulman fervent ne put concevoir que certaines de ses compatriotes – mêmes si elles étaient de condition servile – puissent se trémousser en public, exécutant la danse lascive dite du crapaud. En sa présence, ne devait croasser qu’un vrai crapaud. Furax, il détruisit la vaisselle alcoolisée des « Nazaréens ». Donc ce n’était pas lui !Dans la foulée, on essaya un interprète répondant au nom de Sidel Moctar Ould Yahya Ndiaye. Le « Ould » pour ce Wolof n’était pas de trop, mais il relèverait de l’ethnocentrisme des Maures. « Ould Yahya Ndiaye » passa haut la main député en 1951 et 1956 ; mais le métis ne ferait pas l’affaire dans le milieu narcissique des arabo-berbères. Même si sa mère est issue de la grande noblesse d’extraction chérifienne. Alors les voies du Seigneur s’ouvrirent pour Mokhtar Ould Daddah qui s’empressa, ou qu’on empressa de terminer une scolarité quasi-tardive…

 

Présidents Fondateurs du Gondwana

Alors, en vue de ‘’quitter’’, les Blancs jetèrent le dévolu sur les cadres africains formés en métropole. Ce fut alors la saga des Présidents–fondateurs de « la très très démocratique république du Gondwana », chère à Mamane – dont la plupart était des officiers administratifs perpétuant la domination postcoloniale. Ceux qui ont affiché un nationalisme par trop marqué l’ont reçu dans l’os. Modibo Keita mourut, trucidé par d’anciens sous-officiers issus de la coloniale. L’image de Patrice Lumumba, ligoté dans un camion, avant d’être pendu haut et court par le sergent MobutuKuku Ngwendi Wazabanga (traduction : Le coq qui chante victoire ; le guerrier qui va de conquête en conquête sans que personne ne puisse l’arrêter) est douloureusement persistante.

Les cadres héritiers des Etats post-coloniaux avaient invariablement deux chantiers mythiques : l’Unité nationale - piégée par une frontierisation coupée au chalumeau – et le Développement, toujours reporté à la Saint Glinglin. Quant à la Démocratie, un modèle qui va s’avérer une greffe que le corps traditionnel rejette manifestement, miné de surcroit par une maladie auto-immune appelée corruption protéiforme, était « impensée » selon l’expression de J. François Bayard.

 

 

De Mokhtar à El Ghazouani 

Depuis juillet 1978, nous avons eu droit à un ballet frénétique de Chefs d’Etat. Aucun ne ressembla à Mokhtar, le progressiste modéré mais intègre ; ni à Thomas Sankara, le militaire survolté et trop gênant pour Houphouët et Mitterrand. Le colonel Moustapha fit long feu, vite remercié par ses amis les plus proches. De toute façon, son caractère intègre ne le prédestinait pas à un long règne au sein d’une junte portée sur l’argent et par une fonction publique majoritairement concussionnaire.

Le passage éphémère du Colonel Ould Bousseif donnait les signes de transformations profondes, tant l’homme était cultivé et dynamique. Aussi, sa diplomatie semblait-elle frappée au coin du bellicisme, l’honneur lui étant vissé au cœur. Mort dans des circonstances obscures, la Mauritanie perdait en lui l’homme d’action déluré.

Apres lui, un officier filiforme, pieux et intègre, du nom de Haidalla, inaugura, paradoxalement, une ère de violence physique et symbolique sans précèdent. Le 12.12.84, il est surpris par l’officier le plus frêle et le plus effacé de la junte au pouvoir. Portant le nom du fondateur de la dynastie omeyade, un érudit de la Tijanya lui assura qu’il va régner autant de temps que son homonyme, l’Emir des croyants, Muawiya Ibn Abu Suffyan. Vingt durant, il comprit que pour rester au pouvoir, il faut être peu regardant sur le bien public. Alors intellectuels, analphabètes, vieux et jeunes rivalisèrent de détournements et de concussion. A chaque nomination, on s’empressait de dire‘’ vih chi’’ (y a –t-il quelque chose à siphonner ?) Il arriva au pouvoir en bon patriote ulcéré par le retard du pays, mais très vite le corps va dicter ses ordres à la tête. La Mauritanie des incertitudes est le poisson qui pourrit par le bas, avec une tête prédisposée à la putréfaction. Puis c’est toujours la prégnance de ‘’la politique par le bas’’ : les décisions sont initiées par la population et les résultats du Conseil des Ministres sont connus de tout le monde, depuis la veille. On dit que« l’homme de la rue en Mauritanie est membre du Gouvernement ».Aimant et généreux, avec des conseillers plus honnêtes, Maawiya, aurait mieux fait. Bouleversé par le putsch le plus alambiqué, le 8 juin 2003, Il versa éperdument dans l’arbitraire ubuesque. Ses collaborateurs les plus proches, biens informés de la déliquescence galopante du Pouvoir le destituèrent à la faveur de l’un de ses voyages officiels. La nouvelle junte eut à sa tête l’officier le plus charismatique, Un Ancien Enfant de Troupe du Man, féru de littérature et débonnaire, il était aussi le chef beïdane traditionnel parlant le wolof sans accent et dont la cuisine était marquée par l’art culinaire négre. La pression de l’occident avec son formalisme transitionnel ne le laissa régner outre mesure. Bien que trop lié à Maawiya, tout le peuple lui donna quitus le 3 aout 2005. Sur fond d’une situation « gabegiaque », il mit en place des réformes institutionnelles qui vont marquer l’espace public mauritanien ad vitam aeternam. Notamment la mise en place d’un pouvoir civil, à l’issue d’une alternance politique enviable dans notre Afrique chaotique. Après cela, il tira sa révérence, laissant derrière lui deux colonels du sérail ; qui ne tardèrent pas à froisser, puis déposer, avec un forceps, le nouveau Président civil, qui n’hésita pas à les élever au grade de Général, un fort attribut de la puissance. Les deux Généraux, Aziz et El Ghazouani cheminèrent pendant dix ans, malgré leurs caractères dissemblables. Le premier était bilieux, hargneux et d’une autorité cassante ; l’autre est d’une politesse déconcertante et savait commander sans heurter. Ce fut une combinaison cocasse dont seule la nature a le secret.

 

 

Dix années pleines et houleuses

El Ghazouani, bien que très informé, va donner l’impression de regarder les choses ex cathedra, laissant son acolyte faire et défaire le pays comme il le voulait. Aziz inaugura une méthode aussi curieuse qu’ambivalente : les réalisations concrètes et grandioses alternaient avec les destructions massives et le bradage du domaine privé de l’Etat. Sa ‘’achrya ‘’ (décennie) fut la période la plus tumultueuse de la Mauritanie postcoloniale. A l’issue de ces deux mandats, il imagina tous les stratagèmes pour rempiler un troisième quinquennat, mais il se rendit à l’évidence et passa la main, contraint, parait-il, par les Généraux qu’il avait nommés. Ceux- là l’aimaient bien ; mais la perspective du troisième mandat était aussi périlleuse que l’on risquait un bain de sang.

 

Covid - 40

A l’issue d’un scrutin quand même transparent et démocratique, Mohamed Ould Cheikh Mohamed AhmedEl Ghazouani prêtait serment le 1er aout 2019. La décennie précédente étant d’autant plus houleuse et controversée que l’héritage est quasiment intenable. Le nouvel espoir du pays, ou tout au moins ce que l’on veut qu’il soit, est un homme intelligent, affable, débonnaire et philosophe. Selon toute logique, il aime bien opérer le changement salutaire, mais ce n’est pas facile, quand il s’agit de la Mauritanie toujours atypique. Même les Français le savaient. En 1912, le Colonel Gouraud devait passer le commandement de l’Adrar au Commandant Gillier. Pour le conseiller, il lui dit – entre autres certainement – « ne te précipite pas, pour changer la mentalité des Maures, il faut être très patient ; ils sont têtus. Quand on sait que Mohamed Ould Mayouf repart dans une équipée militaire juste après un voyage de dix jours ; et que Ould Zoumzoum, un aveugle peut guider et commander un razzi, il faut faire attention. »

Connaissant la Mauritanie et sa diversité ethnique, imperturbable et particulièrement réceptif, le fils du saint qui enfourchait un lion, devra user du Coran et des formules ésotériques pour exorciser le Covid-40, l’épidémie de la corruption et de la concussion, qui dure depuis 40 ans. Mine de rien, ce fléau tue plus que la Covid-19, puisque lorsque le denier de l’Etat est siphonné, sans partage, par la frange des prévaricateurs, le petit peuple meurt par inanition. La lutte contre cette pathologie est d’autant plus difficile, voire impossible, que le Covid-40 contamine tout le pays collectivement et concomitamment et l’affame et qu’il est en mutation constante et permanente et qu’il est du type auto-immun. Ni Pfizer et son partenaire BioNTech, ni AstraZneneca, ni Moderna n’ont rien pour en vacciner.

 De toute façon, Président El Ghazouani doit et peut réussir, étant tenu de le faire, sous peine d’être puni par un peuple qui n’a que trop attendu. Deux conditions sont au demeurant nécessaires : Placer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Et éviter d’essayer comme ses prédécesseurs de faire du neuf avec du vieux.

 

        * Ecrivain et Politologue