Mauritanie... le pays du de million jeunes sans emploi/Par Boubacar Ahmed, Ingénieur et spécialiste en Management

22 March, 2021 - 22:57

« Plus nous avancerons vers l’avenir, plus les possibilités d’emploi se réduiront ». Avec cette phrase, l’une de grandes économistes a résumé la nature du nouveau système économique mondial, en conséquence au fait que la majeure partie des pays du monde souffrent du phénomène du chômage. Toutefois, la sévérité de ce phénomène, les moyens déployés pour s’y confronter et atténuer ses répercussions varient largement d'un pays à l'autre.

En Mauritanie et comme dans son voisinage immédiat, l’existence d’une crise du chômage est incontestable, ce qui n’est pas surprenant au vu des accumulations économiques et sociales, cependant l'évolution démographique et la dissipation de décennies d'efforts de développement ont doublé l'ampleur de la crise pour la rapprocher du désastre.

De plus, la problématique s'aggravera avec l'absence de mobilisation de la société et de l'État pour y faire face ainsi qu’avec le laxisme et la mollesse dans sa lutte en raison de données inexactes et de mauvaises stratégies, ce qui menace la sécurité et la paix sociales à moyen terme au minimum.

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Désastre du chômage en Mauritanie

Il y a une véritable tourmente dans les données sur le chômage, pour lesquelles Il n'y a qu'une seule source : les statistiques officielles. 

Une enquête menée par le Bureau national des statistiques indiquait que parmi un million trois cent soixante mille jeunes (entre 15 et 34 ans) en Mauritanie, seuls 107 000 occupent un emploi officiel avec un salaire mensuel (38 566 dans le secteur public ; + 68 561 dans le secteur privé) et près de 300 000 poursuivaient encore leurs activités académiques.

Quant au reste, estimé à environ un million, la plupart d'entre eux sont soit inactifs (pas de travail, pas d'études ou de formation, qui sont au nombre de 528 000) ou travaillent (sans salaire mensuel et manquent de sécurité d'emploi et ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir une pension, qui sont au nombre de 141 000 agriculteurs et 96 000 menant d’autres activités) ou soit au chômage.

Bien que les discours et les rapports officiels confirment que le taux de chômage total est de 10% en Mauritanie (sur la base de la définition de l'Organisation internationale du travail selon laquelle le chômeur est toute personne capable et désireuse de travailler, le recherche et l'accepte au salaire en vigueur, mais en vain). Cependant, le discours officiel ignore le fait que 56% de la population en âge de travailler ne recherchent pas activement des opportunités d'emploi et ne sont donc pas comptés parmi les chômeurs, et que nombreux de ceux qu'il considère comme chômeurs travaillent dans le secteur informel sans salaire mensuel et sans sécurité d'emploi.

Le chômage en Mauritanie se manifeste au sein de chaque famille, où chaque famille compte un nombre considérable de chômeurs, comme il se manifeste clairement dans les files d'attente encombrées de jeunes devant les institutions publiques et privées dès qu'ils annoncent un recrutement. Il apparaît également, à diverses occasions politiques, où politiciens et notables s'affrontent pour mendier des fonctionnaires officiels afin d'obtenir des emplois pour les jeunes de leur milieu social ou familial !  Nombreux ont également quitté leurs positions et opinions politiques pour avoir les mêmes avantages.

Personnellement, lors de l'un de mes précédents emplois en tant que Directeur des ressources humaines pour plusieurs entreprises et organisations Internationales opérant en Mauritanie, j'ai eu l'occasion, malheureusement, de rencontrer des dizaines de jeunes étudiants universitaires de différents groupes postulant pour un emploi de gardien !  Cela s'ajoute au grand nombre de candidatures que nous recevons à chaque poste (250 candidats pour un poste de comptable, 600 pour un agent de la saisie, 500 pour une secrétaire, etc.)

 

Causes de la catastrophe

Au milieu des années soixante-dix, l'État a abandonné son engagement de recruter tous les diplômés du système éducatif et n'a pas été en mesure de créer l'environnement économique approprié pour créer suffisamment d'emplois compte tenu du doublement du nombre d'arrivées dans les villes en raison des sécheresses successives. Mais l’émergence des marchés du travail arabes et étrangers en raison de la mondialisation a été un débouché important dans les années 90, en particulier dans les pays du Golfe.

Cependant, le marché du travail a été confronté à de forts chocs au cours des deux dernières décennies qui ont conduit à l'explosion de la crise du chômage en Mauritanie, dont les plus importants sont:

1. Le  programme de réforme économique qui a été mis en œuvre en accord avec la banque mondiale qui est essentiellement un programme de contraction visant à contrôler le taux d'inflation élevé et le déficit des soldes internes et externes, tout en acceptant un taux de croissance faible et un taux de chômage plus élevé, et avec la poursuite de ce programme et le démarrage du programme de privatisation, c'est-à-dire la vente du secteur public pour le secteur privé local et étranger et l'orientation d'une grande partie de ses travailleurs vers la  préretraite  ou la compression alors qu'ils sont toujours  en âge de travailler, ce qui les transforme en chômeurs

2. La crise a été exacerbée par la fragilité du secteur privé national, Il se limite principalement dans les secteurs du commerce et des services ; l'activité gouvernementale s'est concentrée sur le développement des infrastructures et le financement des dépenses courantes au lieu de la construction de nouveaux actifs productifs, ce qui a contribué à l'affaiblissement de l’efficacité de l’économie mauritanienne dans la création d’emplois.

3. Ceci s'ajoute aux variables démographiques où le nombre de jeunes adultes augmente rapidement, ce qui signifie l'émergence de nouveaux chômeurs face à l'incapacité permanente à offrir des opportunités.

4. L'effondrement des marchés du travail étrangers et arabes en raison de la baisse des prix du pétrole et des nouvelles politiques d'immigration en Europe et en Amérique, et le nombre de rapatriés depuis les Émirats arabes unis, l'Angola, l'Espagne, les États-Unis ... etc. ontaugmenté,  etexercent une pression supplémentaire sur le marché du travail intérieur.

Bien que le gouvernement a recruté des centaines de jeunes dans l'administration publique et à l'éducation, en plus des différents corps de sécurité et d'armée au cours des dernières années, mais son influence reste très limitée face à l'augmentation terrifiante des chômeurs au cours de la même période due aux raisons susmentionnées.

 

.   Programmes d’emploi en faveur des jeunes

Les programmes d'emploi des jeunes et le dialogue social en Mauritanie restent inefficaces et ont un impact limité, car:

* La couverture de ces programmes reste limitée, dans le sens où elle ne vise que les diplômés des universités et des filières professionnelles vivant en milieu urbain.

*<Les programmes côté offre sont dominants, mettent essentiellement l’accent sur la formation professionnelle et, dans une certaine mesure, sur le micro-entreprenariat des diplômés du supérieur. Les programmes limités côté demande, quant à eux, se concentrent sur l’amélioration du développement des PME, en relation avec les réformes réglementaires envisagées sur le moyen terme pour améliorer le climat de l’investissement.

* Onremarque qu’on ne trouve guère de mention de l'amélioration de la qualité du travail ou de la conversion des activités du caractère non classifié au classifié ... etc. malgré la reconnaissance de l'existence de ces problèmes dans la plupart des textes.

Pratiquement tous les programmes partagent un trait selon lequel ils sont mal conçus, mal mis en œuvre et mal évalués à titre d’exemple:

* Au niveau de la conception, presque tous les programmes ont été formulés au motif que la principale raison du chômage est l'insuffisance de l'éducation par rapport au marché du travail, malgré la reconnaissance officielle que le rythme de création d'emplois est limité par rapport à l'augmentation du nombre de demandeurs d’emploi et ne dépasse pas 30000 opportunités par an (Centre national d'analyse des politiques)

* Et au niveau du ciblage, au lieu de donner à des jeunes non éduqués ou à moitié scolarisés, des motocycles ou des potences d'eau... etc. qui sont à peu près compatibles avec leurs ambitions et leurs niveaux, ils sont attribués à des jeunes diplômes malgré l’impact négatif en termes de tuer l'ambition et détruire l'orgueil.

Le déficit du gouvernement face à ce problème apparaît clairement ces derniers temps. Après que l'actuel président de la République Mohamed OuldGhazwani s'est engagé à créer 100 000 emplois de qualité et les a inclus dans son programme électoral, nous avons été surpris par le Premier ministre qui tente de se soustraire à cet engagement devant le Parlement en annonçant que le gouvernement a créé 45 000 emplois en ouvrant la zone de Chegatt devant les orpailleurs, tout en négligeant la nature informelle de cette activité ainsi que le fait que la majorité des personnes y exerçant travaillent sans salaire et sans aucune sécurité d'emploi.

Il se montre également avec clarté une grande confusion dans la gestion du dossier de l'emploi, car ce dossier, bien qu’il soit vital, a toujours été transféré d'un ministère à un autre à chaque formation de gouvernement. Après la création d'un ministère de l'Emploi, de l’insertion et de la Formation professionnelle (2008), il s'est transformé en ministère délégué au Ministre d'Etat à l'Education Nationale (2013) puis au ministère de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et de TIC (2015) et ainsi de suite… Jusqu’à ce que ce dossier sensible aboutisse au Ministère de l'Emploi, Jeunesse et sports (2020 ).

 

 

Propositions et recommandations

Premièrement : au niveau de la vision

La crise doit être reconnue et le dossier de l'emploi doit avoir la priorité appropriée dans les politiques publiques, et la mentalité qui prévaut et selon laquelle la cause principale du chômage est l’inadéquation de l'éducation avec le marché du travail devra évoluer pour une vision plus globale en incluant les autres causes, et essentiellement la cause racine qui est l'incapacité de l'économie à créer des emplois.

Deuxièmement : au niveau des programmes d'exploitation

L'équilibre entre l'offre et la demande au niveau des programmes d’emploi doit être rétabli par la création de nouveaux projets du côté de la demande (création d'emplois) au lieu d'une focalisation absolue sur l'offre.

Troisièmement : au niveau de la politique économique

Reformuler progressivement les plans et tendances économiques et diriger une plus grande partie du budget d'investissement vers les secteurs productifs qui contribuent à créer des emplois au lieu de continuer à les gaspiller dans des projets d'infrastructure classés dans la catégorie "excédentaires ou inutiles''.

Il convient ici de noter que selon les rapports de la Banque mondiale, les investissements dans les infrastructures (routes, électricité, ports) au cours de la dernière décennie ont consommé environ 90 pour cent du total des investissements, tandis que les secteurs sociaux (emploi, santé, éducation) n'en ont reçu que 10 pour cent…

Restructurer les investissements publics, ou au moins une partie d'entre eux, et les orienter vers des secteurs productifs et industriels tels que la pêche, l'agriculture, l'élevage, le tourisme, etc. est une condition sine qua none pour créer des emplois et lutter contre le chômage.

Quatrièmement :  lutter contre l’informel, diversifier l'économie et relancer des projets qui ralentissent

Il est important de souligner qu'il existe d'importantes opportunités d'emploi qui peuvent constituer un véritable débouché en diversifiant l'économie, en relançant plusieurs secteurs et lutter contre les caractères informels des autres.

Une étude récente de la banque mondiale a souligné que le secteur agricole représente toujours une opportunité réelle pour la diversification de l’économie Mauritanienne vu les potentiels importants inexploités, mais il existe toujours des contraintes structurelles freinant son développement (réforme foncier, financement, recherche agricole et la commercialisation)

Aussi, le relance de certains projets d'extraction minière (mines de fer Al-Ouj, Tamaghout et ASkav, Uranium BirMoghrein, mine de phosphate Bofal, mine d'or Tijirit en plus de l'expansion de Tasiast), le gouvernement en tant que partenaire important peut collaborer avec les entreprises contractantes afin de réactiver certains de ces projets de manière urgente.

Il est presque certain que le gaz mauritanien attendu fournira des revenus supplémentaires importants au trésor public, mais la plus grande contrainte restera toujours la poursuite de la même approche économique en se focalisant sur les projets d'infrastructures et la négligence de la production industrielle et agricole, qui conduisent inévitablement à une exacerbation continue du chômage.

Cinquième : Au niveau organisationnel

La résolution du problème du chômage nécessitant une modification fondamentale et surtout complète de la nature du système économico-social, il est évident que le dossier de l’emploi doit être rattaché au ministère de l'Économie ou géré directement par la présidence ou la primature et en faire une priorité de développement national, car il est impossible pour des  agences sous la tutelle de l'un des ministères d'influencer les secteurs économiques importants ou de créer des opportunités d'emploi.

Un observatoire devrait également être mis en place (de préférence indépendant) afin de fournir des données réelles et correctes afin que la société et l'État puissent être mobilisés pour résoudre la crise, car la présentation de données inexactes n'aide en rien, mais au contraire conduit à une sorte de détente et relâchement dans la lutte contre ce fléau.

 

Sixième : Créer un système ou un fonds pour aider financièrement les chômeurs

Le plus grand obstacle que l'on puisse soulever à l'idée de créer un fonds d'aide aux chômeurs - à l'instar de nombreux pays du monde - est le manque de ressources pour fournir ces prestations, mais la principale contrainte n'est pas liée à l’absence de ressources, mais plutôt à l'ordre des priorités. Pendant des décennies, la priorité a été donnée aux projets secondaires en termes de viabilité économique et sociale avant de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens.

À titre de proposition, ce fonds pourrait être financé dans ses phases initiales par les recettes fiscales sur le prix du carburant, au lieu de les collecter sur un compte spécial afin de financer principalement des projets d'infrastructure.

Finalement : Continuer à améliorer l'éducation et son adéquation avec le marché du travail

La Mauritanie doit également poursuivre et concentrer ses efforts pour améliorer l'éducation. En augmentant les taux d'inscription dans l'enseignement, en améliorant sa qualité et en veillant à ce que la main-d'œuvre soit dotée de compétences conformes avec les besoins des employeurs.

Que Dieu aide les générations futures