Dialogue politique ou social, concertations, une querelle sémantique : Pour quels résultats ?

4 March, 2021 - 00:12

Depuis son élection à la tête du pays en Juin 2019, Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani est resté sourd à l’appel de l’opposition pour un dialogue inclusif visant à trouver des solutions consensuelles à divers problèmes nationaux. Le marabout-président en avait pourtant fait la promesse à certains acteurs politiques venus lui apporter leur soutien pendant l’élection présidentielle mais il a préféré plutôt privilégier la concertation individuelle au Palais. C’était, à son avis, le meilleur moyen de régler les problèmes, le pays n’étant pas en crise, dixit son ministre de l’Intérieur, Mohamed Salem Ould Merzoug. Mais la question dudit dialogue est revenue au-devant de la scène ces derniers temps.

 

Le déclic

Tout est parti d’une rencontre, le 18 Janvier dernier, chez le président d’APP, Messaoud Ould Boulkheïr. Lors de ce banquet, deux présidents de partis ; que tout oppose au demeurant : le docteur Kane Hamidou Baba (MPR) et Abdessalam Ould Horma (Sawab), étaient mandatés par leurs collègues présents à synthétiser les idées avancées ce jour-là. Répondant à une question sur la réticence du président Ghazwani à engager le dialogue réclamé par l’opposition, « il pense », estimait alors le leader d’APP, « que l’opposition doit rester à sa place ». Et le président Messaoud de regretter : « il est très dommage qu’à ce niveau de responsabilité on cultive encore ce genre d’incompréhension. La vérité vraie est que les promesses électorales n’engagent en définitive que ceux qui y croient. »  Autrement dit : si l’opposition ne peut ni ne veut bien évidemment pas se dissoudre dans la majorité, elle doit pouvoir discuter avec elle. Selon nos informations, une nouvelle réunion se serait tenue chez le président Messaoud dans l’après-midi du dimanche 28 janvier, pour parfaire le débat et l’harmonisation entre toutes les positions. On en attend l’éventuel compte-rendu pour en reparler la semaine prochaine, incha Allahou.

Quelques jours avant la première réunion de l’opposition, un media de la place rapportait que la direction de l’UPR avait informé ses membres de l’annonce imminente, par le président de la République, d’un dialogue « social ». Une information aussitôt démentie par le parti. Tout le microcosme politique se demandait d’ailleurs pourquoi « social » plutôt que« politique ». Suivait, le 24 courant dans un hôtel de la place, un rassemblement des partis représentés à l’Assemblée nationale, exceptés Tawassoul et ADJ/MR, pour se préparer tout de même à une telle éventualité. Et de publier, au sortir de leur conclave, une feuille de route sur les questions à soumettre au débat. Des thématiques jugés très pertinentes par nombre d’analystes politiques, en ce qu’une fois les pièges évités, elles pourraient permettre de dépasser les questions qui fâchent, notamment celle de l’esclavage et de la cohabitation des communautés. En somme, de l’unité nationale. Comme tout le monde le sait, ces deux questions demeurent, depuis des années, une véritable épine dans la construction du vivre ensemble en Mauritanie. À côté de ces deux thèmes majeurs, la gouvernance du pays et l’ancrage de la démocratie.

C’est donc de tous les côtés que les choses semblent bouger. Dans une interview accordée au Calame et publiée le 17 Février, monsieur Mohamed Yahya ould Horma répondait ainsi à une question relative aux solutions que son parti pourrait proposer à la question de l’esclavage et du passif humanitaire :« Il faut attendre le parachèvement du processus engagé à travers des ateliers régionaux, en interne, et des concertations, au niveau national, entre les partis et les associations, pour envisager des solutions consensuelles et globales ». Le vice-président de l’UPR ne parle donc pas de « dialogue » mais de « concertations ». Nuance décisive ? Wait and see ! En tout cas, le processus semble bel et bien lancé du côté de l’opposition, puisque sa propre feuille de route sera normalement remise dans les jours qui viennent au gouvernement qui aura trois semaines pour se décider ou non à y donner suites.

 

Le gouvernement a-t-il changé de position ?

Et la question que tout le monde se pose aujourd’hui est de savoir si le gouvernement accédera à la demande des partis politiques, dont l’UPR, principal parti de la majorité présidentielle et soutien du président de la République en exercice, son « unique référence » depuis le dernier congrès de fin Décembre 2019 ? Le cas échéant, quel sera le format de ces « concertations », puisqu’Ould Ghazwani n’entend pas les organiser en celui des dialogues précédents ? Suscités le plus souvent par le président Ould Abdel Aziz qui ne s’appuyait que sur quelques leaders de l’opposition, ces rencontres se retrouvèrent boycottées par les autres. Un boycott d’autant plus tenace que les résolutions adoptées, aussi importantes étaient-elles, ne furent jamais mises en œuvre par le gouvernement. Dans la course de fond – de fait, un vrai marathon… – derrière ces assises « arlésiennes »pour en finir avec les grandes questions nationales, on s’interroge sur les raisons du pouvoir actuel à refuser jusqu’ici la formule« dialogue politique ». On avancera ici quelques hypothèses.

Tout d’abord, les profondes divisions vécues par l’opposition lors de la présidentielle de Juin 2019.Faute de consensus autour d’une candidature unique, certains décidèrent de soutenir – ou plus simplement rejoindre – le candidat du pouvoir. D’autres choisirent de faire si profil bas, après l’élection, qu’on les a même accusés de cautionner l’action de son gouvernement. Une position confortée par la mise en place d’un front national de soutien quand, en Mars 2019, la pandémie COVID éclata. Un large consensus se dégagea contre la crise sanitaire, avant qu’un parti de l’opposition représentée à l’Assemblée nationale, l’AJD/MR en l’occurrence, ne s’avance à le rompre, en protestant officiellement contre la gestion du fonds COVID.

Le président Ghazwani qui s’appuie sur une large majorité à l’Assemblée nationale n’en a pas moins continué de bénéficier, non seulement, de « l’effet COVID » mais, aussi, de la fondation d’une Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) chargée de statuer sur les détournements de deniers publics durant la décennie de l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz. Une suite logique dans le conflit croissant entre les deux amis de quarante ans depuis l’élection du « dauphin » en Juin 2019. L’acte précédent s’était noué autour du contrôle de l’UPR et conclu par la victoire de Ghazwani lors du congrès dudit parti les 28, 29 et 30 Décembre 2019 à Nouakchott. Observant avec intérêt ces bisbilles entre les deux amis, l’opposition et l’opinion nationale accordèrent des circonstances atténuantes à la lenteur du processus du président élu et lui apportèrent même leur soutien.

Mais l’espoir tarde maintenant trop à donner ses fruits. Même si l’on peut mettre à l’actif du nouveau Président l’apaisement de l’arène politique et la relative normalisation des rapports avec l’opposition, sa gouvernance ne diffère que très peu de celle de son prédécesseur. Sa bonne capacité d’écoute reconnue par tous ceux qu’il a rencontrés ne suffit pas, il faut des actes ; rompre surtout avec le recyclage des épinglés par la CEP. On ne peut pas faire du neuf avec du vieux. Le président Ghazwani maintient une pléthore de conseillers au Palais et à la Primature, opère des choix et nominations incompréhensibles, alors qu’on attendait une réduction conséquente du train de vie de l’État. L’administration reste toujours inefficace. Pour preuve, la présence quasiment constante devant le palais présidentiel de citoyens réclamant des solutions à leurs problèmes. Les hakems, walis et même ministres ne leur sont manifestement d’aucun recours.

 

Conjoncture de plus en plus difficile

Plus grave, les populations qui espéraient voir leurs conditions de vie s’améliorer par des mesures bien ciblées se heurtent à une flambée continuelle des prix des produits de première nécessité. Elles ne voient et n’entendent, à la télé et à la radio, que des publicités de projets, tournées de ministres et autre Taazour à l’intérieur du pays. Et de s’interroger : pourquoi les milliards d’ouguiyas injectées chaque année dans la campagne agricole ne débouchent-elles pas sur une autosuffisance en légumes, voire en riz ? La fermeture, il y a quelques mois, de la passe de Gargaratt, frontière avec le Maroc, nous a rappelé l’impérative nécessité de changer notre stratégie agricole. Avec les lenteurs constatées dans le « dossier de la décennie Aziz », déjà amputé d’éléments importants comme ceux du port de l’Amitié et de la pêche, les gens s’interrogent sérieusement sur la sincérité du pouvoir. Diverses enquêtes lancées sur divers scandales tardent à être bouclées et/ou jugées.

Sur le passif humanitaire, enfin, les veuves, orphelins et rescapés qui le vivent toujours en souffrance – une cruelle réalité sociale que les autosatisfactions militaires ne peuvent si aisément gommer – ne comprennent pas pourquoi le Président n’accède pas à leur demande d’audience. Et la grogne atteint même les rangs de la majorité dont certains élus expriment désormais leur ras-le-bol face aux lenteurs et hésitations du gouvernement. Le président Ghazwani doit revoir sa stratégie. À défaut de quoi le camp de son ancien ami et désormais adversaire ne manquera certainement de profiter des mécontentements croissants, tant en nombre qu’en arguments.

                                                 Dalay Lam