Fiscalité et justice sociale/par M’Rabih Rabou ould Cheikh Bounena

27 January, 2021 - 23:04

Décriée, la fiscalité n’en est pas moins un instrument de solidarité et de justice sociale. Elle vient en particulier rappeler au riche que l’enrichissement personnel est tributaire d’une organisation collective. Sans un contexte social structuré, nul enrichissement ne saurait perdurer.

Le concept de justice sociale est apparu au milieu du XIXème siècle. On le définit aujourd’hui comme un principe politique et moral ayant pour objectif une meilleure égalité des droits et la construction d’une solidarité collective, afin de garantir, au sein de la société, une distribution juste et équitable des richesses, matérielles ou symboliques. La justice sociale présuppose une réflexion sur les inégalités, en particulier celles considérées comme injustes et devant être corrigées. Elle peut alors être définie de manière négative, en déclarant juste ou injuste une situation socialement acceptable ou non. Ainsi certaines inégalités, comme les inégalités de salaire, sont généralement considérées comme justes, car acceptées par la majorité des membres de la société, et justifiées, parce qu’elles sont la contrepartie d’activités demandant différentes qualifications.

Les systèmes de redistribution en matière de justice sociale se fondent sur deux principes : en un, l’égalité des droits ;en deux, la solidarité collective qui repose sur une répartition juste et équitable des richesses entre les différents membres de la société, une équité de situations qui tient compte de la situation personnelle des individus (ex : allocation sous conditions de ressources). Par rapport à l’égalité, qui considère tous les individus de la même façon, l’équité considère un traitement différencié selon les situations des personnes (handicapés, personnes âgées…). La justice sociale suppose donc l’intervention de l’État qui doit promouvoir un environnement favorable à la répartition équitable des biens, en donnant à chaque individu la même probabilité d’accéder à ces richesses. Il est alors nécessaire d’introduire la notion d’égalité des chances : « Alors que les inégalités tenant à la naissance et à l’héritage sont injustes, l’égalité des chances établit des inégalités justes, en ouvrant à tous la compétition pour les diplômes et les positions sociales. »

 

La Zakat

Un des piliers de l’islam, lazakat est prescrite par Allah Le Très-Haut aux musulmans afin de réaliser une sorte de solidarité sociale, d’entraide et de prise en charge des intérêts publics. Allah l’a liée à la prière dans de nombreux versets pour en souligner l’importance. Puissamment entretenu par le consensus de la Communauté, son caractère obligatoire est attesté dans le Coran et la sunna du Prophète (PBL).

Après la mort de Mohammed (PBL), diverses tribus arabes s’éloignèrent de l’islam, en renonçant notamment à payer la zakat. « Au nom d’Allah », déclara alors Abu Bakr, « s’ils refusent de me donner [en zakat, ndr] un lacet qu’ils donnaient au Prophète (PBL), je les combattrais sur ce refus, la zakat est un droit sur les biens des musulmans. » 

« Toute propriété nécessaire à un homme pour la préservation de l'individu et la multiplication de l'espèce », déclara quant à lui Benjamin Franklin, un des pères de l’indépendance américaine, « est son droit naturel dont personne ne peut légitimement le priver. Mais toute propriété superflue à de telles fins est une propriété de la collectivité, engendrée par ses lois, et celle-ci peut donc en disposer par d'autres lois, lorsque le bien-être de la collectivité l'exige. Celui qui n'apprécie pas la société civile en ces termes doit être libre de se retirer pour aller vivre parmi les sauvages. Qui ne paye pas son dû au soutien de la société n'a aucun droit à en jouir des bénéfices. »

Chaque fois que passe près des bourses de voitures, je suis effaré par la multitude de véhicules brûlant sous le soleil, sans autre fonction que celle d’être exposé : ils ne transportent ni personne ni marchandise, ils se prélassent. C’est ce que B. Franklin appelait une propriété superflue. Elle ne génère aucun revenu, aucun emploi, le propriétaire n’en a pas besoin pour son quotidien. Chacun a certes le droit de posséder des biens privés mais le rôle de l’État est de s’assurer que cette propriété contribue au mieux-être de la Nation et celui-ci dispose à cette fin d’un formidable instrument : la fiscalité. Taxer très lourdement cette « thésaurisation » est un devoir. Mais il ne s’agit pas tant de sanctionner que d’inciter ces propriétaires à investir dans des activités génératrices de valeur ajoutée et d’emplois. On tendra ainsi vers une justice sociale.