Développement endogène : Les chainons manquants/Par Moussa Hormat-Allah*

20 January, 2021 - 22:51

Rien de durable ne peut être bâti sans fondation. Cette vérité élémentaire vaut, naturellement, pour la pérennité de l’Etat et de ses institutions.

C’est le peuple qui soutient tout l’édifice national. En retour, celui-ci attend de ses gouvernants la satisfaction de certains besoins basiques : moyens de subsistance, logement, santé, éducation, sécurité, etc. Ce sont là les piliers du contrat social. C’est là aussi, la condition sine qua non pour l’édification de toute société qui aspire à vivre en harmonie.

La clé de ce bien-être tant espéré, est le développement dans toutes ses dimensions, lequel ne peut se faire en brûlant les étapes. Il doit se réaliser par paliers successifs. Il exige des prérequis politiques, économiques, sociaux et culturels. Or, nombre de pays en développement ont une fâcheuse propension à brûler, précisément, les étapes. Au lieu d’assurer à leur population les acquis de base, ils se lancent dans des programmes d’investissements forts onéreux qui, généralement, n’aboutissent pas au résultat escompté. Ils se perdent, souvent, dans les méandres glauques de la bureaucratie, de la corruption et de la gabegie. On peut citer, à titre d’exemples, certains secteurs : pêche, agriculture, mines, infrastructures…

Ces programmes, certes nécessaires mais non prioritaires, sont financés par le budget de l’Etat et/ou par la dette extérieure avec tous les travers que cela comporte.

Développement : Une approche irrationnelle

Cette approche pour le moins irrationnelle est le talon d’Achille des économies des pays en développement. Quelques importants qu’ils soient, ces programmes sectoriels restent, par ailleurs, inadaptés car ils ne reposent sur aucune base solide. Ils sont un peu comme des nuages disséminés dans le ciel qui n’arrivent pas à arroser une terre aride qui se meurt lentement. Et les hommes despérés, interrogent, sans cesse, l’horizon à la recherche de la pluie bienfaisante. Décennie après décennie, au gré de la succession des régimes, on fait toujours du sur-place en attendant un déclic salvateur qui ne vient pas.

Ces programmes qui se veulent une panacée, ne profitent, généralement, si tant est qu’ils aboutissent, qu’à une infime minorité de gens, laissant à la traîne la masse des citoyens face aux affres de la soif, de la faim et de l’ignorance. Pire, ils peuvent même, par effets induits, menacer dangereusement la cohésion et l’unité nationales.

Au lieu de parer au plus pressé, avec une utilisation rationnelle des moyens du bord pour pallier la détresse de la population, on se fourvoie dans de coûteux programme d’investissements, aux lendemains pour le moins incertains.

Par mimétisme, on copie, souvent, les modèles de développement des sociétés occidentales. Mais on ne peut comparer que ce qui est comparable. Or, en matière de développement, il ne s’agit pas, dans le cas d’espèce, d’une différence de degré mais bien de nature. Pour utiliser une métaphore, c’est un peu comme si on veut entrer à l’université sans passer par le primaire et le secondaire.

Beaucoup de pays du tiers-monde n’arrivent toujours pas à intégrer une donne fondamentale : le développement doit se faire par étapes avec, une fois de plus, des prérequis politiques, économiques, sociaux et culturels. Car il serait vain de calquer des modèles conçus pour des sociétés avancées sans rapport avec les réalités locales. On doit d’abord asseoir une rampe de lancement. En d’autres termes, commencer par le commencement : assurer, au départ, le minimum vital pour les populations concernées. Un tremplin indispensable pour tout développement futur : eau potable et électricité dans les foyers, moyens de subsistance, éducation, santé, logement, sécurité… On verra plus loin, comment.

De tels projets structurants auront comme corollaires une nette amélioration du niveau de vie des citoyens et la consolidation de la cohésion et de l’unité nationales, sur fond de paix civile et sociale.

Des structures qui correspondent aux besoins vitaux des populations

Pour se faire, il faudra créer les structures adéquates pour cette transformation en profondeur de la société. De quoi s’agit-il ?

Sous l’autorité du président de la République, ces projets structurants devront être portés par des ministres, triés sur le volet, de préférence technocrates, spécialement affectés à cette mission avec un objectif bien déterminé et un calendrier précis pour les différentes étapes de leur réalisation.

1 Création d’un super département ministériel érigé en Ministère d’Etat, chargé de l’éradication de la pauvreté. Pour marquer les esprits et pour montrer l’importance que revêt aux yeux du président ce ministère, son titulaire devra être le numéro 2 du gouvernement. Sur le plan protocolaire, il viendra juste derrière le premier ministre. Ce nouveau département regroupera, en autres, le CSA, Taazour et les agences et administrations chargées de l’insertion sociale ou des aides aux démunis. Il aura aussi en charge entre autres, la construction de logements sociaux, les allocations d’indigence, les frais de scolarité et les bourses d’étude pour les enfants des citoyens démunis, etc.

Ce ministère sera un peu à l’image de celui qui fut spécialement créé, au lendemain de l’indépendance, pour superviser la construction de la route de l’espoir entre Nouakchott et Néma. Sa dénomination officielle était «Le ministère de la route». Outre les moyens financiers déjà affectés par l’Etat au CSA, à Taazour et autres agences d’insertion, ce ministère sera alimenté par le produit de la zakat (cf. mon étude sur la zakat, adressée au président en date du jeudi 8 août 2019). Cette idée d’instaurer une zakat centralisée en Mauritanie a été retenue par le nouveau pouvoir. Elle figure désormais, officiellement, dans le programme du gouvernement. L’étude en question a été publiée par Le Calame.

Sur un plan psychologique, la simple annonce de ce projet mettra du baume au cœur de nombre de citoyens meurtris et provoquera, sans doute, chez eux l’espoir, désormais, bien réel, qu’au-delà des promesses sans lendemain de jadis, leurs conditions de vie vont, effectivement, s’améliorer. Ce sera, si tout va bien, une question de temps. Le temps de tout mettre en place.

Ce sera aussi pour l’Etat une belle opération de marketing politique et un répit qui, vraisemblablement, va atténuer les tensions interethniques et apaiser les fortes angoisses, inhérentes à une situation économique et sociale, pour le moins difficile, héritée de la gestion calamiteuse des régimes précédents.

Cette expression «lutte contre la pauvreté» ne sera plus alors une notion vague, abstraite qu’on a toujours évoquée, ici ou là, sans jamais lui donner un contenu concret. Avec ce projet, elle sera visible, car elle prendra les traits d’un ministre d’Etat qui sera assis en conseil des ministres, toutes les semaines, à la gauche du président.

Parallèlement, à la création de ce ministère d’Etat en charge de l’éradication de la pauvreté, on pourra réfléchir sur l’opportunité de créer des secrétariats d’Etat auprès du premier ministre ou de certains ministères. Chacun de ces nouveaux départements aura à gérer un secteur stratégique qui correspond aux besoins vitaux des populations : eau, électricité, moyens de subsistance, éducation, santé, logement social, sécurité…

Pour éviter de faire trop long, on va dire, en style télégraphique, un mot sur chacun de ces départements. On pourra, dans un prochain article, faire une étude sectorielle approfondie sur les thèmes soulevés.

2 Ministère délégué auprès du premier ministre, chargé des dossiers politiques et sociaux sensibles, toujours en suspens. C’est là la condition sine qua non pour tout développement dans la stabilité et la concorde nationale.

3 Secrétariat d’Etat auprès du premier ministre, chargé de la généralisation de l’eau potable dans tous les foyers. L’organigramme de cette structure comprendra, notamment, la SNDE et autres directions à créer en rapport avec l’eau potable : direction de la recherche et de la planification, de la logistique, des opérations, etc.

4 Secrétariat d’Etat auprès du premier ministre chargé de la généralisation de l’électricité domestique dans tous les foyers. L’organigramme de cette structure comprendra, notamment, la SOMELEC et autres directions à créer, en rapport avec l’électricité domestique.

5 Secrétariat d’Etat auprès du ministre de l’économie, chargé de l’approvisionnement, de la régulation et de la surveillance des prix des denrées alimentaires de première nécessité et des fourrages pour bétail. Il s’agit là, d’une demande pressante des gens, notamment, de la part des milieux populaires. Les variations des prix devront être encadrées pour soulager le portemonnaie des citoyens et réduire le coût de la vie. Les aides occasionnelles aux démunis –l’immense majorité de la population—sous forme de distribution d’un petit pécule ou de denrées alimentaires a un impact éphémère. Seule une approche structurelle, même si elle n’est pas spectaculaire, aura le mérite et l’avantage de solutionner, à terme, les problèmes de fond.

6 Secrétariat d’Etat auprès du ministre de la santé chargé exclusivement de la réalisation, clés en main, des infrastructures sanitaires : Construction et équipement des hôpitaux et des dispensaires dans les capitales régionales et les départements.

7 Secrétariat d’Etat auprès du ministre de l’Equipement, chargé de la réalisation et de l’entretien des infrastructures routières…

Sans oublier une réforme, de fond en comble, de l’enseignement, notamment, celui du primaire en axant sur les fondamentaux : lire, écrire et compter.

On devra, par ailleurs, réfléchir sur l’opportunité de créer une structure nationale pour une mise en valeur agricole optimale de la Vallée du fleuve, avec le concours technique et financier de la Chine.

Mise en valeur agricole optimale de la Vallée du fleuve avec le concours technique et financier de la Chine

Avec une population de près d’un milliard et demi, l’Empire du Milieu doit veiller à nourrir toutes ces bouches. Une mission particulièrement difficile si on sait que la Chine possède seulement 7% des terres arables. De plus, les sols chinois sont de qualité moyenne.

Pour pallier cette grave pénurie de produits agricoles, Pékin a érigé en priorité nationale, l’acquisition et l’exploitation de terres agricoles à l’étranger. Les Chinois possèdent déjà 10 (dix) millions d’hectares de terres cultivées hors de leurs frontières, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie et en Afrique.

S’il venait à se réaliser, ce partenariat agricole avec la Chine pourra engendrer une métamorphose en profondeur de l’économie mauritanienne. En effet, une telle opération induirait une conséquence majeure : L’autosuffisance alimentaire pour notre pays. Dans la pratique, les Chinois exportent vers la Chine l’essentiel de leur production sur les terres cultivées à l’étranger. Toutefois, ils vendent une partie de cette production dans le pays d’accueil.

La Mauritanie pourra ainsi faire l’économie des précieuses devises qui servent à importer des denrées de première nécessité : céréales, farine, sucre, fruits, légumes pour ravitailler le marché national.

Sans oublier les importantes infrastructures qui seront, sans doute, réalisées par les Chinois à Sélibaby, Kaédi, Boghé, Rosso et Ndiago. Et des centaines, voire des milliers, d’emplois directs ou indirects qui seront créés… Une étude détaillée sur ce sujet a été adressée au président, en date du 17 août 2019. Cette étude sous le titre : ‘’De la terre mauritanienne à la table chinoise’’, a été publiée, par la suite, dans le journal Le Calame.

De par son potentiel agricole et ses anciennes et solides relations d’amitié avec Pékin, la Mauritanie devrait, en toute bonne logique, être au centre de cette ouverture commerciale de l’Empire du Milieu en Afrique. La Mauritanie a été, en effet, parmi les tous premiers pays à reconnaître dès le début de la décennie soixante, la République populaire de Chine. C’est là, l’une des raisons qui ont poussé la Chine, en retour, à réaliser d’importantes infrastructures en Mauritanie comme le port de l’amitié à Nouakchott.

Cette éventuelle coopération agricole avec l’Empire du Milieu pourrait apparaître, à première vue, comme sous-tendue par un certain optimisme. Simple impression. S’il est bien piloté, ce projet sino-mauritanien aboutira sûrement. Le marché, par définition, est le point de rencontre entre l’offre et la demande. Ces deux conditions sont réunies. Le reste est une affaire d’hommes.

Amélioration des conditions de vie des citoyens : Eviter les promesses sans lendemain

La mise en œuvre des chantiers évoqués plus haut, aura un impact psychologique et politique considérable sur l’opinion publique. Les Mauritaniens sauront, une fois de plus, que le temps des promesses non tenues est révolu. Et que l’amélioration de leurs conditions de vie n’est plus qu’une question de temps. D’autant qu’ils seront associés indirectement, en tant qu’observateurs vigilants, à la réalisation de ces projets. Ils en sauront, d’avance, la nature et les délais d’exécution. En effet, ils pourront, parallèlement aux pouvoirs publics suivre, en temps réel, l’évolution de ces chantiers dans une transparence totale, garantie solennellement par le président de la République. Un tableau de bord clairement affiché qui aura, probablement, comme corollaire la fin des doléances et des récriminations à l’endroit du pouvoir au sujet de la détérioration des conditions de vie des citoyens. Car le peuple, lui-même, deviendra une partie prenante. Ainsi la pression ne sera plus sur les seuls gouvernants. Avec l’implication tacite du peuple, elle deviendra collective. On se transportera alors sur le terrain du concret, du tangible. Car les avancées seront, on l’espère, réelles, mesurables et chiffrables.

Cela pourra induire un fait nouveau : une confiance réciproque retrouvée entre gouvernants et gouvernés dans l’intérêt bien compris du pays.

 

*Professeur d’université

Lauréat du Prix Chinguitt