Maitre Mohamed Lemine Ould Amar, député de l’UPR et président du groupe parlementaire de lutte contre la corruption : ‘’La création de la CEP est un pas sans précédent dans le renforcement et la consécration du travail parlementaire de contrôle’’

7 January, 2021 - 00:23

Le Calame: La naissance du groupe parlementaire de lutte contre la corruption que vous avez l’honneur de présider intervient en pleine enquête de la justice sur les recommandations de la commission d’enquête parlementaire (CEP) mise en place par l’Assemblée Nationale, le 30 janvier 2020. Que peut-il apporter de plus à cette enquête dont les mauritaniens attendent toujours les résultats ?

Maitre Mohamed Lemine Ould Amar :Il faut d’abord rappeler que la création de ce groupe s'inscrit dans le cadre de l'exercice de la responsabilité parlementaire, notamment le travail de contrôle du Gouvernement, conformément à sa mission qui lui a été confiée par le législateur. Mais la commission parlementaire dont vous parlez a été constituée suivant une procédure spéciale prévue dans les dispositions du règlement intérieur et elle a une mission spécifique dans l’espace et dans le temps et se termine en conséquence. Quant à l'équipe, sa mission se poursuit avec son existence et les résultats de ses tâches sont transmis au Président de l'Assemblée Nationale sous la forme d'un rapport sur la mission de contrôle et ce qu'elle a pu constater dans le cadre de la transparence et de la lutte contre la corruption en termes d’irrégularités et autres.

Par conséquent, la mission du groupe peut être considérée comme complémentaire des travaux de la commission, étant donné la continuité de son rôle d'enquête ou de contrôle. 

 

Quelle évaluation vous faites du travail de la CEP et des enquêtes par la justice du dossier de la corruption portant sur le règne de l’ancien président de la République, Ould Abdel Aziz ?

 

Le travail de la commission d’enquête et les enquêtes de la justice dans ce qu’on connaît aujourd’hui comme le dossier de la corruption relative à l’ère de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, selon votre expression, constitue à mon avis, un précédent inhabituel dans le travail parlementaire et partant la mesure est considérée en soi comme un pas sans précédent dans le renforcement et la consécration du travail parlementaire de contrôle et sous cet angle elle reflète le plus important acquis pratique, en l’occurrence l’opérationnalisation de l’indépendance du pouvoir législatif surtout quand on sait que  l’opération a eu lieu avec la participation de tous les partis politiques représentés au Parlement et sous la direction du parti au pouvoir, bien que l’initiative émanât de députés qui n’en sont pas membres, mais elle a obtenu la caution de tous.

Concernant le cheminement judiciaire, en ma qualité professionnelle d’acteur dans le domaine judiciaire et d’avocat praticien, je  pense qu’il estprématuré d’évaluer la procédure de l’enquête préliminaire eu égard à sa nature confidentielle sur laquelle il reste difficile de prédire des observations, d’une part, et d’autre part il faut offrir l’occasion au travail de la justice et en assurer l’indépendance loin des accusations politiciennes, pour éviter de l’influencer négativement ou positivement, l’influence n’étant pas limitée au pouvoir exécutif, mais résultant de nombreux mobiles. Par conséquent, du moment que la justice s’est saisie de la procédure, Il n'est pas du tout nécessaire d'y engager les discussions, car la confiance est la règle jusqu'à preuve du contraire.

 

Notre pays est gangrené par la corruption et la gabegie (137eme sur 180 pays) en 2019. Les rapports de la Cour des Comptes, de l’IGE et ceux de la CEP  le prouvent amplement. Quel  remède préconisez-vous pour extirper cette pandémie qu’est la corruption de notre pays ?

 

En effet, notre pays souffre de la corruption en tant que phénomène planétaire, à l’instar des autres pays du monde et notamment ceux du Tiers- Monde, et qui a pris sa dimensions dans tous les domaines de la vie, mais elle reste un phénomène auquel on peut faire face par les mécanismes et les stratégies à multiples facettes et la volonté politique du pays occupe la première parmi ces éléments.

 

Partant de ces déterminants, il a été établi que la volonté politique existe grâce à la disposition des hautes autorités de l’Etat à faire face à ce phénomène par les moyens disponibles, ce que le président de la République a exprimé en maintes occasions dont la première fut son programme électoral par lequel il s’est engagé à opérationnaliser le contrôle parlementaire et tous les mécanismes de contrôle de l’Etat et il s’avère du travail de la commission et du groupe que nous présidons la concrétisation de cette promesse bien que l’Etat ait déjà franchi des pas dans ce sens en promulguant des lois anti- corruption : la loi d’orientation et la loi de lutte contre la corruption, en plus de la cour spéciale de lutte contre la corruption, la création de deux pools à cet effet au niveau du Parquet et de l’Instruction, la Direction des Crimes Financiers et Economiques, avec une compétence territoriale qui couvre toute l’étendue du territoire national.

 

Pour consolider ces acquis, il convient de les opérationnaliser à travers la formation et l’encadrement et une dynamique efficace, tout en tenant compte des mesures d’accompagnement à dimension réaliste comme la transparence dans les recrutement et   les nominations, en faisant de l’élément de la compétence et de l’intégrité le principal critère requis, loin des éléments suspects comme le favoritisme et autres.

 

Œuvrer à aller de pair avec les Nations Unies  et toutes les conventions internationales relatives à la transparence et à la lutte contre la corruption constitue un appoint pour combattre le phénomène dans sa dimension internationale.

 

Comment cette pratique s’est-elle ancrée dans notre administration alors que nous disposons de beaucoup d’organes de contrôle  et un arsenal juridique bien étoffé ? A votre avis, pourquoi  les pouvoirs publics n’ont pas réussi  à mettre en application ces textes? Quel rôle entendez-vous jouer pour vulgariser et faire appliquer notre arsenal juridique ?

 

 

Ce phénomène s’est ancré à cause des phénomènes du sous- développement répandu dans la société et ayant revêtu diverses dimensions dont les plus importantes ont pour noms l’ignorance totale parmi la plupart des composantes de la société, le tribalisme dominant dans toutes ses manifestations négatives et certains aspects du détestable esprit de caste, ce qui a entrainé les manifestations du favoritisme et de la corruption au niveau des appareils du pouvoir. En outre, l’absence de l’élément de la compétence et de l’intégrité dans les déterminants de l’occupation des responsabilités officielles favorise l’enracinement du phénomène, en plus de la faiblesse de la volonté politique dans le passé tantôt dans la lutte  contre la corruption et parfois son absence.

 

Par ailleurs, le faible niveau de l’enseignement et sa détérioration continue ont aidé à la propagation du phénomène. Par conséquent, la lutte contre la corruption requiert la révision de la stratégie nationale pour répondre à cette nouvelle volonté sincère apparente du président de la République pour élaborer un ensemble de mesures à cour, moyen et  long termes, afin que la lutte soit actuelle et future pour que les acquis se réalisent en fin de compte. Dans ce cadre, on doit faire face par des mesures préventives et d’autres dissuasives, mettre à jour les textes et mécanismes à la lumière de la stratégie requise et je crois que la conjoncture actuelle est favorable à cette idée et nous avons grand espoir qu’une lutte sérieuse contre la corruption se réalise et que les conditions favorables soient créées pour notre groupe pour accomplir ses missions conformément aux aspirations de tous sur la voie de la réduction et de l’éradication de ce néfaste phénomène de la corruption.

Je vous remercie pour l’occasion que vous m’avez offerte.

 

Propos recueillis par Dalay Lam