Aleg de mon enfance (8)/par Sneiba El Kory

7 January, 2021 - 00:14

Pendant les grandes vacances,  c'était aussi les grandes baignades et les tournois de football. Le scoutisme avait pignon sur rue. Nous en étions tous, mes amis et moi. Feux de camp,  chansons et récitation par cœur de tous les principes de Baden Powel égayaient ainsi les soirées alégoises, sous la supervision du chef Yahya ould Youssouf,  un animateur de jeunesse hors pair et de ses trois principaux lieutenants, feux Cheikh Ndiaye et Yacoub Faye, ainsi qu’Abdou Dembélé,  actuellement adjudant-chef de police à la Direction générale de la Sûreté nationale. Il y avait aussi les soirées endiablées de « Jerrican » qu'animaient des danseurs et danseuses exceptionnelles en divers quartiers. Danse typiquement alégoise, le Jerrican doit son nom à l’objet que des femmes battent, souvent à l’aide de chaussures, produisant un rythme enchanteur sur lequel un homme et une femme dansent, à tour de rôle, en sautant dans tous les sens sous les applaudissements de leurs pairs organisés en deux rangées se faisant face. Le Jerrican dure banalement jusqu'aux heures les plus tardives de la nuit. Les vacances coïncidaient aussi avec les travaux champêtres à Lekleïla,  la plaine à quelques encablures de la ville. Certains cultivaient également à Douwara, El Ver'e ou « Ellag », le lac qui a donné son nom à la ville. On cultivait généralement du mil,  des haricots et des pastèques avec des moyens rudimentaires. C'était chaque jour la ruée vers les champs avec nos parents dont cette agriculture saisonnière était la seule occupation. Pour la plupart,  les terres cultivées n'appartenaient pas à ceux qui la travaillaient. Les travaux champêtres n’en finissaient jamais. Comme aimaient à le dire nos parents : « au champ,  il  y a toujours quelque chose à faire, du premier semis à la moisson ». Mes amis et moi organisions souvent des « twizas », c’est-à-dire venir tous un même jour pour travailler dans l'un des champs d'une famille en charge, ce jour-là, de préparer un gros festin, habituellement un bon couscous, histoire d’encourager les membres de sa « twiza » et parfaite illustration de la solidarité sociale qui prévalait au sein de la communauté. Quand nous retournions des champs, le soir, nous passions par « Krei'e Mena », un petit affluent où nous nous baignions longuement pour chasser la fatigue de l’éprouvante journée.  Puis, quand nous n'assistions pas à une partie de Jerrican ou de « Chatt », nous nous retrouvions presque tous dans la grand-rue, rassemblés autour de quelques grands frères qui nous organisaient des séances dites de « sabotage ». À tour de rôle, nous nous envoyions deux à deux des petites piques qui suscitaient les rires, tantôt feints tantôt réels, de l'assistance et qui dégénéraient souvent en bataille entre les deux « saboteurs ». Quand leurs champs grandissaient, certaines familles déménageaient de la ville pour loger sous des tentes ou hangars au bord de ces champs, afin de les prémunir contre les animaux. Les régulières disputes entre les propriétaires de ceux-ci et les cultivateurs finissaient souvent devant le commandant de brigade ou même le préfet. En attendant,  les paysans s'organisaient pour monter la garde la nuit, afin de contrer les assauts des animaux divagateurs qui leur causaient beaucoup de préjudices. Je me rappelle qu’entelle sentinelle, feu mon père y passait jusqu’à cinq piles dans sa torche. Les cultivateurs entretenaient même une fourrière informelle où ils détenaient les animaux prédateurs, en attendant que les autorités et leurs propriétaires vinssent constater les dégâts subis. (À suivre).