L’élection présidentielle au Niger : une exception démocratique dans une sous-région complexe ?

2 January, 2021 - 18:13

Dans les prochains jours, ou semaines, les Nigériens vont connaitre le nom de leur nouveau Président. La particularité de cette élection demeure dans le fait que l’actuel Président en exercice, Mahamadou Issoufou, 68 ans, ne se représente pas à l’issue de ses deux mandats constitutionnels conformément à l’article 47 alinéa premier de la Constitution de la VIIème République du 25 novembre 2010. Ce sera une première dans  ce  pays,  ou  l’histoire  politique  est  jalonnée  de  coups  d’État  depuis  son indépendance, en 1960.  

Après dix ans au pouvoir, Mahamadou Issoufou espère passer le témoin à son bras droit, Mohamed Bazoum, son dauphin, âgé de 60 ans et grand favori du scrutin. Il s’agit d’un de ses fidèles depuis la création du parti et un homme d’expériences qui a occupé plusieurs postes stratégiques dont les portefeuilles ministériels des Affaires étrangères,  de  la  défense  et  de  l’intérieur  en  plus  de  son  statut  de  député  de  la « circonscription  spéciale »  de  Tesker  depuis  la  fin  de  Conférence  nationale souveraine  de  1991.  Si  45  partis  politiques  adhérents  à  la  Mouvance  pour  la Renaissance du Niger (MRN), ont apporté leur soutien à M. Mohamed Bazoum, le 21 novembre  2020  dernier,  dès  le  premier  tour  de  l’élection  présidentielle ;  cette « Coalition  Bazoum  2021 »  cache  les  dissensions  qui  ont  émergé  dans  le  Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS).

 

Un choix imposé aux structures du PNDS par Mahamadou Issoufou

Le choix de Mohamed Bazoum pour l’élection présidentielle remonte à février 2019, soit quasiment un an et demi avant la date prévisionnelle  prévue pour le Congrès d’investiture du candidat du parti. C’est suite au limogeage du ministre des Finances, M. Massaoudou Hassoumi, Secrétaire général du parti, que le Présidium du parti s’est réuni pour acter le choix du Président de la République en faveur du Président du parti. Certains ministres réticents, comme la ministre du Plan, Madame Aïchatou Kané, ou encore Monsieur  Foumakoye Gado, Ministre du Pétrole, Monsieur Kalla Ankourao, etc.,  se  sont  ralliés à ce choix.

Ainsi,  le  10 février  2019,  le Présidium  du  PNDS a proposé le nom de Mohamed Bazoum au Comité Exécutif National, qui décida, le 16 février  2019,  d’organiser  un  congrès  d’investiture  pour  le  31  mars  2019  par  les délégués  du  parti.  M.  Bazoum  est  donc  depuis  le  31  mars  2019  en  campagne électorale qualifiée de « tournée de proximité » avec les moyens de l’État, puisqu’il était encore Ministre de l’intérieur. Ainsi, les caciques du PNDS se sont résolus à l’adouber ou du moins à observer de la bienveillance à son égard.  

Toutefois,  cette  désignation  peut  amorcer  un  renouvellement  générationnel  de  la classe politique par une promotion de la jeunesse comme l’illustre le choix  de son directeur de campagne, M. Abba Issoufou, le fils de Mahamadou Issoufou, ou encore le choix de son porte-parole, M. Idrissa Waziri, etc. Il s’inscrit aussi dans une stratégie de continuité des programmes de la renaissance d’Issoufou avec une proposition d’un Acte III (2021-2026) après l’Acte I (2011-2016) et l’Acte II (2016-2021). En revanche, pour l’opposition et une partie de l’opinion publique nationale, cette candidature est loin d’être perçue comme un renouvellement.

 

Une opposition aux aboies  

L’opposition tout comme une partie des citoyens souhaite toujours que la lumière soit faire sur les affaires de détournements de deniers publics dont notamment le dernier en  date,  les  110  millions  d’euros  du  ministère  de  la  Défense.  

Mais  également, l’opposition est en quelque sorte déstructurée depuis le rejet de la candidature à la présidentielle de M. Hama Amadou du Moden Fa Lumana, ancien Premier ministre, par la Cour constitutionnelle qui l’a considéré comme « inéligible », le 13 novembre 2020, au regard de l’article 8 du Code électoral nigérien, suite à sa condamnation d’un an pour un délit de « supposition d’enfants ». C’est grâce au ralliement de ce dernier que le PNDS a pu gagner les élections de 2011 et en 2016 il arrive deuxième au premier  tour  de  la  présidentielle  et  n’a  pu  faire  campagne  au  regard  de  son emprisonnement pour le délit de « supposition d’enfants ». Notons que depuis 2011, le Niger connait une explosion de partis politiques qui sont passés  d’une  dizaine  à  163  selon  les  informations  de  la  Commission  électorale nationale indépendante. Certains membres de l’opposition, comme l’ancien Président, Mahamane Ousmane, premier Président élu démocratiquement après la conférence Nationale Souveraine, voit dans cet excès de pluralisme une stratégie de la majorité du « diviser pour mieux régner ». Il a par ailleurs obtenu le soutien de Hama Amadou, empêché par la décision de la Cour constitutionnelle, pour la présidentielle en cours. Il s’agit donc d’un véritable chalengeur de M. Bazoum.

L’opposition a aussi essayé de faire écarter la candidature de M. Bazoum devant la Cour  constitutionnelle  en  soutenant  qu’il  ne  serait  pas  un  « nigérien  d’origine » conformément à l’article 47 alinéa troisième de la Constitution de la VIIème République du 25 novembre 2010. La Cour constitutionnelle a rejeté ces prétentions par trois arrêts successifs du  19 novembre  2020,  du  8  décembre 2020  et  du  17 décembre 2020.

L’opposition y voit un ralliement de la Cour envers la majorité, mais la Cour a tenu à démentir et à condamner le discrédit de l’opposition à leur égard par un communiqué, aussi rare qu’exceptionnel, du 17 décembre 2020.

Il faut dire que la Cour a déjà par un arrêt du 15 juin 2020 déterminé que « le Covid-19 est un cas de force majeure qui justifie la suspension de l’enrôlement des nigériens de l’extérieur au fichier électoral national biométrique » et dès lors « une dérogation temporaire à la mise en œuvre de l’article 37 alinéa 1er du Code électoral relativement au fichier électoral national biométrique, en ce qui concerne l’enrôlement des nigériens de l’extérieur, n’est pas contraire à la Constitution ». L’opposition y voit une forme de « hold up » électoral organisée puisque la diaspora nigérienne est majoritairement pro-opposition.  Les  nigériens  de  l’extérieur  ne  participent  donc  pas  actuellement  au processus électoral en cours dans leur pays. Le modèle démocratique nigérien est donc particulier et s’inscrit dans un contexte sous régional spécifique.  

Une continuité démocratique à consolider  

Si  le  Niger  va  prochainement  connaître  sa  première  alternance  démocratique  de l’histoire  du  pays,  cette  exception  sous  régionale  cache  une  fragilité  sécuritaire  et développementale.

Le Niger est entouré de plusieurs foyers de tensions, Libye, Mali, Nigéria, avec des forces terroristes qui font souvent des incursions dans le pays. L’aspect sécuritaire demeure un consensus au niveau des 30 candidats en lice pour les présidentielles. Ils promettent tous de renforcer cette dimension. Mais le Niger fait face également à des défis en matière de santé, de la lutte contre le chômage, de sécurité alimentaire ou encore de dividende démographique.  

Face aux défis économiques et sécuritaires du Niger, il est regrettable qu’il n’y ait pas eu de débats entre les candidats sur leurs programmes, mais surtout sur les conditions de transformation d’un pays qui a un véritable potentiel de « ressources humaines » et d’industries fiables.                                                                                                                                                                                                                               Mansour LY